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mercredi, 23 novembre 2016

Dieu est une ligne de code

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Article initialement publié sur Le Gazettarium

 

L’une des particularités narratives de la Science-fiction est qu'elle délaisse le plus souvent la psychologie des personnages (considérés non comme des individus mais comme représentants de leur espèce) au profit de l’hypothèse philosophique (interrogations sur notre nature, notre place dans l’univers, notre devenir et nos fins). L’œuvre d’Arthur C. Clarke est emblématique de ces interrogations philosophico-religieuses, notamment celle, à la fois théorique et pratique, dont l’écho glaçant parcours l’univers : « qu’allons-nous faire de l’homme ? ». Et si l’homme devenait mutant, « individu spécifique » par excellence ? La question de son devenir dépendrait avant tout de sa particularité, comme l’affirme Gilbert Hottois, philosophe belge, spécialiste des questions d’éthique. En somme, si l’homme devient un mutant psy ou un cyborg son rapport à la transcendance deviendrait opératoire, comme nous le verrons plus bas.

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mardi, 01 novembre 2016

L’Odyssée de Clarke ou le mythe de l’altérité cosmique

 

Article initialement publié sur Le Gazettarium

 

De Nietzsche à Parménide, de Baudelaire à Platon, le voyage a longtemps été un enjeu des philosophes mais également un thème littéraire traversant les âges. De L’Odyssée d’Homère à L’Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, la filiation est évidente. Qu’il s’agisse de voyager sur la mer pour rejoindre Ithaque ou dans un vaisseau spatial aux confins de l’univers, tout n’est qu’une question de départ et de retour. Clarke fait ainsi de multiples références à l’œuvre d’Homère : le prénom du héros (Bowman, « l’archer »), le cheval de Troie, les sirènes, la perte de membres de l’équipage, etc. Tout comme la navigation sur la mer Égée du temps des dieux grecs, les voyages dans l’espace sont soumis aux aléas dangereux de l’univers : explosions d’étoiles, destructions de planètes, nouvelles formes de vie dans de nouvelles galaxies… Des périls qui entraînent une nouvelle perception de la terre et du cosmos, car la nature est essentiellement fragile et peut disparaître à tout instant. Ajoutons à cela, la conscience de la toute puissance de la science et de la technologie. Clarke fait évoluer ses personnages en lien direct avec les techniques les plus avancées. L’évolution des protagonistes n’est plus seulement interne à eux-mêmes mais dépend, en partie, des transformations extérieures.

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mardi, 11 octobre 2016

Éditions Le Feu Sacré : « La poésie c’est la littérature populaire par excellence »

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

C’est au cœur de l’été 2011 que la maison d’édition lyonnaise Le Feu Sacré vit le jour, bien décidée à tracer sa route en dehors du « ventripotent milieu de l’édition ». Atypique, la dizaine d’ouvrages publiée depuis semble confirmer ce pas de côté éditorial où de denses petits essais littéraires côtoient un feuilleton « pop et alchimique », des poèmes exhumés d’Ossang et une mémorable analyse de l’œuvre de Philip K. Dick. Nous nous sommes entretenus avec son fondateur et directeur de publication, Fabien Thévenot.

Le Comptoir : C’est une paraphrase de Nietzsche qui orne le “fronton” de votre maison d’édition : « Malheur à qui fait croître le désert ». Le paysage littéraire contemporain vous semblait à ce point aride pour vouloir y remédier ?

Éditions le feu sacré,la poésie c’est la littérature populaire par excellence,sylvain métafiot,littérature,lyonFabien Thévenot : Je n’ai pas la prétention d’y remédier, juste de faire mon possible pour que survienne cette “littérature qui manque” — comme Deleuze parlait du « peuple qui manque ». Il ne s’agissait pas pour lui de compter sur un peuple préexistant mais littéralement de l’inventer : « Le peuple qui manque est un devenir, il s’invente, dans les bidonvilles et les camps, ou bien dans les ghettos, dans de nouvelles conditions de lutte auxquelles un art nécessairement politique doit contribuer. »

 

J’essaie avec mes maigres moyens de publier cette « littérature qui manque » pour le « peuple qui reste », celui qui s’intéresse encore aux pouvoirs révélateurs ou divinatoires de la littérature (et non pas au roman en tant que distraction, moyen de communication ou de produire du capital) ; une littérature à la fois contemporaine, ambitieuse mais accessible. Je n’ai pas la prétention non plus de réussir ce que j’entreprends, mais je suis mon intuition. Il y a beaucoup à faire.

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vendredi, 22 juillet 2016

Trois visions totalitaires : lecture croisée d’Orwell, Huxley et Zamiatine

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

L’essor éditorial fulgurant qu’ont connu les contre-utopies durant le XXe siècle provient du fait qu’elles ont confronté leur discours littéraire à la notion de totalitarisme à laquelle elles font écho. D’où l’intérêt de s’attarder sur les concordances entre les caractéristiques du totalitarisme et le récit fictif minutieusement détaillé des contre-utopies et, particulièrement, trois œuvres emblématiques de ce genre littéraire : « Nous autres » de Evguéni Zamiatine, « Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley et « 1984 » de George Orwell.

 

Hannah Arendt.jpgLe totalitarisme désigne à la fois une notion (accédant à une véritable consistance conceptuelle avec l’ouvrage d’Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme en 1951) et une réalité historique, exclusivement moderne et radicalement inédite. Cette notion est toutefois rejetée par certains refusant toute comparaison, même globale, entre les régimes nazi et stalinien ; et, a contrario, élargie à l’excès par ceux qui voient sa main derrière chaque violence étatique. Elle concerne principalement l’Allemagne hitlérienne entre 1933 et 1945 et l’URSS stalinienne entre 1929 et 1953. Le terme de totalitarisme a d’abord été forgé par Mussolini afin de définir l’état fasciste comme une organisation intégrale de toutes les forces existantes, synthèse et unité de toutes les valeurs. Le totalitarisme demeure toutefois “autre chose” qu’une surenchère des tyrannies classiques. Le totalitarisme, ce n’est pas le despotisme associé aux techniques modernes de coercition et de communication, mais bien un stade supérieur dans la brutalité. Le fascisme italien, malgré ses prétentions, ne fut qu’une banale dictature.

 

Alfredo Ambrosi, Portrait aérien de Benito Mussolini en aviateur 1930.jpgPar conséquent, il convient de distinguer le totalitarisme des formes traditionnelles de régime liberticide et autoritaire et ainsi dépasser l’opposition facile entre totalitarisme et démocratie. Le totalitarisme n’est ni une tyrannie (un roi qui prend le pouvoir), ni un despotisme (basé sur le principe de terreur exercé de part en part et sur la diffusion totale du despotisme), ni une dictature (pouvoir despotique exercé de haut en bas), ni un absolutisme (pouvoir monarchique arbitraire “sans liens” mais pas “sans limite”). Il est bien plus que cela. Selon Hannah Arendt, ce régime, qui a constamment bénéficié du soutien des masses, a« manifestement pulvérisé nos catégories politiques ainsi que nos critères de jugements moraux » (La Nature du totalitarisme) en en révélant l’impensé. Reprenant à son compte les critères declassification des régimes de Montesquieu, Arendt voit dans la nature du totalitarisme « la terreur » et dans son principe« l’idéologie », les deux s’enracinant dans une expérience extrême de la condition humaine : la désolation. Les totalitarismes sont une réponse monstrueuse à la maladie du monde qui leur préexiste – monde qui a transformé la solitude en désolation : « La domination totalitaire […] se fonde sur la désolation, l’expérience d’absolue non-appartenance au monde, qui est l’une des expériences les plus radicales et les plus désespérées de l’homme. […] Elle est liée au déracinement et à la superfluité dont sont frappées les masses depuis le commencement de la révolution industrielle, et qui sont devenus critiques avec la montée de l’impérialisme […] et la débâcle des institutions politiques et des traditions sociales à notre époque ». Le totalitarisme peut être considéré comme l’évènement politique majeur du XXe siècle, celui qui nous fait changer de monde : « La terrible originalité du totalitarisme ne tient pas au fait qu’une “idée” nouvelle soit venue au monde, mais à ce que les actions mêmes qu’elle a inspirées constituent une rupture par rapport à toutes nos traditions ».
 

À ce titre, les contre-utopies seraient, selon la chercheuse Gladys Kostyrka, « une réponse littéraire critique à l’émergence de mouvements et de pouvoirs totalitaires ». C’est au sortir de la Première guerre mondiale, alors que s’érodent les valeurs et les certitudes de l’Occident moderne, que ces œuvres se développent, constituant un acte (et une dénonciation) politique de leur temps simultanément à l’exercice littéraire. Si nous retenons les ouvrages typiques de la contre-utopie (Nous autres, Le Meilleur des mondes et 1984) c’est qu’à eux trois ils regroupent les six caractéristiques fondamentales du totalitarisme : l’idéologie du parti unique, la violence systématique adossée à la terreur omniprésente, l’impérialisme exponentiel, le nihilisme couplé à la négation de l’altérité, la propagande et la manipulation du langage, le négationnisme.

 

« Tout totalitarisme traverse par intermittence l’utopie. Et tout dictateur fabrique de l’utopie dans la mesure où il s’éloigne de son bureau politique, lequel lui fournit habituellement du lest en le collant au sol ». Gabriel Venaissin, revue Esprit, 1953

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mardi, 28 juin 2016

Thomas Bouchet : « L’amour charnel, la bonne chère et la fête sont des enjeux sociaux »

Un reve de bonheur - Dominique Papety.jpg

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Maître de conférences en histoire du XIXe siècle à l’université de Bourgogne, Thomas Bouchet explore dans « Les Fruits Défendus », le rapport du socialisme à la sensualité sur les deux derniers siècles, de Charles Fourier à Daniel Guérin, en passant par Claire Démar, Prosper Enfantin, ou l’inventeur du mot “libertaire”, Joseph Déjacque. Il dresse ainsi une cartographie générale et contrastée de cette constellation sensualiste (extrêmement minoritaire au sein de l’univers socialiste) prônant une émancipation totale qui redonnerait toute sa place aux passions charnelles.

Le Comptoir : La volonté d’émancipation qui caractérise le socialisme se manifeste avant tout dans la sphère sociale. Or, le plaisir et la sensualité renvoient avant tout à la sphère individuelle. Comment le socialisme sensuel arrive t-il à concilier cette opposition sans sombrer dans la dictature des mœurs ?

Thomas Bouchet bis.pngThomas Bouchet : Ceux qui font le pari d’un socialisme sensuel voient l’expression de l’émancipation des corps dans la vie sociale. Cela ne s’arrête pas, pour eux, à la porte d’entrée du logement qu’ils occupent. Ils estiment que la libération des esprits et des corps n’est pas simplement économique, sociale, politique ou culturelle : elle est aussi charnelle. En ce sens, lorsqu’ils dénoncent l’oppression qui abat les corps à l’usine, à l’atelier ou dans les champs, certains d’entre eux disent qu’il faut aller plus loin et se demander ce que ce corps libéré de l’oppression peut devenir dans une société autre (puisque les socialistes ont tout de même le projet, surtout au XIXe et XXe siècles, d’esquisser les contours d’une société qui fonctionne différemment). Dans ce cas, sur les terrains que j’ai étudié – l’amour charnel, la bonne chère et la fête – il y a un enjeu social et pas simplement individuel. Ces sensualités-là sont théorisées, revendiquées, mises en pratique éventuellement, mais dans une optique qui est au-delà de l’interaction et de la vie intime des individus.

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mercredi, 08 juin 2016

Frédéric Pajak : « les héros de mes livres sont des sentiments »

 

Écrivain, dessinateur, éditeur... difficile de cerner Frédéric Pajak tant son œuvre et son parcours débordent le cadre de nos représentations souvent étriquées de la littérature. Faisant dialoguer Nietzsche et Pavese sous le ciel de Turin, explorant la profonde solitude de Luther ou traçant au lavis la destinée de Walter Benjamin dans son Manifeste Incertain, sa plume trempe dans l'encre noire de sa propre mélancolie pour retranscrire l'étrange intranquillité du monde. À l'occasion de son passage à la libraire Le Bal des Ardents, il a volontiers accepté de répondre à nos questions.

 

Vos ouvrages « écrits et dessinés » sont plus proches du journal intime que du roman ou de la bande-dessinée illustrative. De quelle manière vos expériences personnelles vous amènent-elles à vous intéresser à des personnalités aussi tourmentées qu'Apollinaire, Kafka, Pound, Joyce, Benjamin ou Gobineau ?


Le Gazettarium,Apollinaire, Bal des Ardents, Benjamin, Copi, entretien, Fournier, Frédéric Pajak, Gébé, Gobineau, Joyce, Kafka, lavis, les héros de mes livres sont des sentiments, manifeste incertain, Marcel Bascoulard, Nietzsche et Pavese sous le ciel de Turin, Pound, sylvain métafiot, Topor,Ce sont des auteurs que j'ai lu dans ma jeunesse, entre 18 ans et 25 ans. Je lisais beaucoup à cette période, deux à trois livres par jour, même si je ne comprenais pas toujours tout. Puis, des années plus tard j'ai eu envie de les relire. Et c'est à partir de ces relectures, qui sont comme des découvertes, que j'ai fait ces ouvrages. Mais ces livres sont toujours partis d'un sentiment. Les héros de mes livres sont des sentiments (la solitude, le chagrin d'amour, la mélancolie, l'humour, etc.). Concernant le chagrin d'amour, par exemple, j'ai longtemps cherché quel auteur pouvait exprimer ce sentiment dans sa vie plutôt que dans son œuvre et je suis arrivé à Apollinaire. Sa vie, sa façon de réagir, ses liaisons, sa chanson du Mal aimé... sont comme une recherche du chagrin d'amour, un peu comme les troubadours qui doivent être en état permanent de demande ou d'attente pour pouvoir aimer.

 

Arthur de Gobineau, autre exemple, m'a passionné. Ce n'était absolument pas le raciste que l'on dépeint sans l'avoir lu. Il n'y a aucune trace d'antisémitisme dans son œuvre, au contraire c'était un philosémite acharné. C'était un érudit, fin lettré, grand connaisseur de la Perse, et profondément pessimiste : son Essai sur l'inégalité des races humaines est un délire sur l'avènement de la fin du monde que même le plus acharné des racistes d'aujourd'hui ne peut prendre au sérieux une seule seconde.

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jeudi, 19 mai 2016

Contes de la folie dystopique

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Après avoir navigué dans les eaux claires et bienveillantes des fictions utopiques, il est temps d’accoster son envers ténébreux, le sinistre continent carcéral des dystopies. Inspirées des satires du XVIIe siècle, les dystopies (ou contre-utopies) naissent à une période critique et anti-totalitaire survenant au lendemain de l’âge d’or du scientisme, du positivisme social et de la croyance dans le progrès élaborés durant le XIXe siècle.

 

Les progrès de la technique et de la science n’ont pas seulement permis l’industrialisation de l’Occident mais ont profondément transformé les rapports de l’homme à l’univers et à sa propre nature biologique. La Première Guerre mondiale et son cortège d’armes chimiques, l’échec des grandes idéologies, la montée du fascisme en Europe de l’Ouest et l’expérience des camps de la mort durant la Seconde Guerre mondiale sont les principales causes de la dégénérescence de l’utopie. Les nombreuses désillusions qui traversent le XXe siècle vont progressivement pousser les utopistes à changer leur conception de l’avenir de l’humanité. Ils imaginent un monde dans lequel l’homme, constitué entièrement par la science, verrait ses actes et ses pensées déterminés génétiquement. Pourtant, les prémisses de la critique du “totalitarisme utopique” avaient déjà vu le jour trois siècles auparavant.

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jeudi, 14 avril 2016

L’archipel des fictions utopiques

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

De la Renaissance au XXe siècle, l’évolution de la pensée politique a déplacé le sens originel du mot utopie” – qui désignait le titre d’une œuvre littéraire – jusqu’au sens actuel où le terme est plus ou moins confondu avec celui d’idéal et/ou de société totalitaire. L’utopie est pourtant un genre bien spécifique, qui ne se confond pas avec les autres formes de productions imaginaires auquel il est souvent assimilé. Voyageons au sein de ces insularités fictionnelles.

 

Ayant souvent été considérée comme un programme politique (ce qui est vrai chez certains socialistes utopistes du XIXesiècle, comme Étienne Cabet ou Charles Fourier), l’utopie demeure essentiellement une construction fictionnelle formant un réticule d’enchevêtrement imaginaire : eunomies, uchronies, contre-utopies, etc.

 

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jeudi, 25 février 2016

Raskar Kapac : nouvelle gazette artistique et inflammable

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Article initialement publié sur Le Gazettarium

 

L’arrivée d’une nouvelle publication à vocation artistique est un petit événement dans un secteur de la presse saturé de périodiques consacrés à l’automobile, aux sports, aux voyages, au bien-être, à l’actualité culturelle, à la chasse, aux régimes minceurs, etc. Mettant un point d’honneur à valoriser le beau style littéraire et refusant de coller à l’actualité, Raskar Kapac n’a pas la prétention universitaire d’une revue ni l’aspect parfois racoleur des magazines. C’est une simple gazette de huit pages, dénuée de publicité, ayant pour volonté « de faire resurgir en pleine lumière quelques artistes incendiaires qui nous ont enseigné la puissance libératrice de la création ». La profession de foi est claire : « Dans une période de morosité intellectuelle, de mollesse spirituelle, nous croyons en une résurrection par le feu de l’écriture ! Dans une époque qui nie toute verticalité, nous affirmons le caractère révolutionnaire de l’acte créateur. » Pour ce premier numéro, c’est l’écrivain Jean-René Huguenin qui à l’honneur d’allumer la mèche.

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vendredi, 18 décembre 2015

Pasolini : comment la culture a tué l'art

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Pour Pier Paolo Pasolini, l'art n'était pas un mot doux susurré aux oreilles des bourgeois et ouvrant miraculeusement les vannes des fontaines à subventions. C'était une matière vivante, radicale et désespérée. Une pâte à modeler les désirs et les rêves issues de la triste réalité. Une exception fragile face au règne de la culture. Ou tout du moins de la nouvelle culture moderne.

 

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Le nouveau pouvoir consumériste impose ainsi un conformisme en accord avec l'air du temps utilitariste : la morale, la poésie, la religion, la contemplation, ne sont plus compatibles avec l'impératif catégorique de jouir du temps présent. L'art qui se nourrit des passions humaines les plus tragiques et les plus violentes n'a plus sa place dans un monde soumis aux stéréotypes médiatiques et aux discours officiels. À quoi servent encore des livres qui transmettent une représentation d'un monde passé dans une société exclusivement tournée sur elle-même ?

 

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Poète irréductible, cinéaste enragé, Pasolini s'est toujours élevé contre les normes oppressantes du vieux régime cléricale-fasciste, bouleversant les codes et les styles. Mais tout à son irrespect aux désuètes hiérarchies imposées par le pouvoir il est un des rares à avoir compris que le sacré (l'art), débarrassé de sa léthargie bourgeoise, possédait une aura de subversion scandaleuse. Que dans un monde spirituellement desséché et ricanant, il ne faut « pas craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches. »

 

Dans la lutte cruelle, et pourtant vitale, de l'art contre la culture (le cinéma contre la télévision, le poète contre l'animateur, le théâtre contre les créatifs, l'érotisme contre la transparence, la transcendance contre le matérialisme) la voix de Pasolini, tranchant l'air vicié de la publicité et de la vulgarité, rejoint celle d'un autre grand cinéaste mécontemporain italien, Federico Fellini : « Je crois que l’art est la tentative la plus réussie d’inculquer à l’homme la nécessité d’avoir un sentiment religieux. »

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur le site Profession Spectacle