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lundi, 08 avril 2024

« Le léopard meurt avec ses taches » : Les derniers jours des fauves de Jérôme Leroy

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Nathalie Séchard, présidente d’un « pays riche peuplé de pauvres », sorte de Macron au féminin, décide de ne pas se représenter à l’élection présidentielle. Plutôt que gérer un pays en plein chaos elle préfère passer le reste de son temps à faire l’amour avec son jeune mari dans sa maison en Bretagne et à regarder des films de Jim Jarmusch (on la comprend). Une lutte impitoyable pour sa succession se déclenche alors et avec elle une longue série de cadavres.

 

Avec Les derniers jours des fauves, Leroy poursuit avec brio son exploration des zones d’ombres de notre démocratie, celles qui abritent les discours extrémistes, les machinations politiques et les violences fanatiques. S’appuyant sur les remous des dernières années, l’auteur décrit un pays en proie à la révolte des Gilets jaunes, les manifestations contre les réformes libérales, la catastrophe climatique, les ravages de la pandémie du Covid-19, la violence fasciste et le complotisme rampant. Dans la lignée du Bloc et de L’Ange gardien, cette nouvelle fiction politique grossit légèrement la réalité pour mieux nous alerter sur les dangers des tentations autoritaires. On retrouve d’ailleurs quelques protagonistes du Bloc Patriotique, le parti d’extrême-droite dirigé par Agnès Dorgelles, son intello de mari Antoine Maynard et le chef du service d’ordre, Stanko le nazillon.

 

Ici, l’antagoniste principal se nomme Beauséant, vieux gaulliste tendance Pasqua et nouveau ministre de l’Intérieur de Séchard. Son goût du pouvoir le poussera à manipuler les fachos du Bloc Patriotique dans un complot visant à accéder à la fonction suprême. Pour lui faire face, Guillaume Manerville, ministre d’État à l’Écologie sociale et solidaire, seul recours de la gauche pour contrer les ambitions de Beauséant et son désir d’ordre ultra-sécuritaire. Manerville a une fille, Clio, aspirante normalienne qui s’encanaille gentiment avec les Bonobos Effondrés (clin d’œil aux Chimpanzés du futur de Pièces et Main d’œuvre) des jeunes post-situs qui refont le monde dans un bar du Xe arrondissement, L’Hacienda bleue. Problème : Clio devient une cible et devra compter sur la protection du Capitaine, ancien barbouze et lié par un pacte secret avec son père, pour éviter de finir éparpillée façon puzzle comme la voiture d’une ministre de Séchard.

 

Si la poésie et la littérature constituaient le remède à l’effondrement du monde dans Vivonne (2021), elles infusent autant les pages de ce roman noir, comme un contre-poison à la brutalité des rapports humains, accompagnant le périple de Clio et du Capitaine dans une France en proie au chaos. Ces deux-là deviendront inséparables à la fin du roman, lui veillant sur elle comme l’ange gardien qu’il a toujours été, un Glock 19 toujours à portée de main, L’Anabase de Xénophon dans l’autre. Au-delà de la maîtrise de la dramaturgie, Leroy arrive en quelques tirades bien senties à brosser le portrait d’un personnage dans toute sa complexité, à donner corps à ses rêves et ses désirs, à le projeter dans une histoire qui le dépasse. Ou l’art de réunir Balzac et Manchette sous l’égide de l’humour noir le plus féroce.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir