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jeudi, 12 décembre 2013

Gravity : la grâce de l'apesanteur

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

L’angoisse du vide a happé nombre de spectateurs déplorant avec rage que Gravity, le dernier film d’Alfonso Cuaron, ne sorte pas en IMAX à cause d’une embrouille avec Jean-Pierre Jeunet. Priver un tel spectacle des meilleures conditions de visionnage semble être un affront à l’impressionnant déluge visuel du film… Laissons donc à d’autres le soin de clore le débat et intéressons-nous plutôt à l’union intersidérale de la science-fiction et de la métaphysique au cinéma.

 

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Pour accéder à cette dimension spéculative, il convient de basculer dans le genre de la science-fiction, ce jeu d’extrapolation qui, selon l’écrivain Gérard Klein : « décrit de manière réaliste ce qui n’existe pas. » Il convient néanmoins de distinguer deux grandes orientations : celle de la SF classique techno-scientifique, à travers les thèmes des voyages dans le temps et dans l’espace, ayant un rapport idéaliste et métaphysique à la philosophie, et interrogeant le devenir de l’humanité (destruction totale ou accession à la divinité) ; et celle de la SF dite d’anticipation, émergeant dans les années 1960, projetant la société dans des futurs souvent cauchemardesques, étant en cela proche des utopies et des contre-utopies techno-scientifiques.

 

Vers le cosmos et retour

 

Les films de science-fiction sont des explorateurs spéculatifs de l’innovation mettant en scène des nouveautés techniques (téléportation, cryogénisation, trous de ver intergalactiques, voitures volantes, etc.) et les façons dont ces nouveautés vont transformer la façon de vivre, de percevoir. Ils ont aussi le mérite, contrairement aux sciences, d’exposer les problèmes, les risques et les possibilités d’imaginer au plus grand nombre.

 

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En effet, à défaut de produire systématiquement un discours scientifique ou pseudo-scientifique, la science-fiction, genre très prisé sur nos terres occidentales, en reproduit la philosophie dominante, fondée sur une approche matérialiste et rationnelle du réel. Méliès insère des éléments fantastiques dans son film, lui conférant ainsi une dimension onirique rafraîchissante. Depuis, les voyages dans l’espace ont bien évolué.

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jeudi, 14 novembre 2013

Natacha Vas-Deyres : « Derrière la science-fiction française, il y a une réflexion politique »

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Cloud Atlas, Elysium, Pacific Rim, Oblivion, After Earth : la science-fiction a fait son grand retour dans les salles obscures entre la fin de l’année 2012 et la première moitié de 2013. La qualité des productions varie, mais l’engouement d’Hollywood est bien présent. En France ? En France, pas grand-chose. Et pourtant, science-fiction, utopie, contre-utopie ou dystopie ont une longue histoire de ce côté-là de l’Atlantique, cantonnée la plupart du temps, faute de moyens ou d’ambition, à la littérature. Natacha Vas-Deyres est professeur de littérature générale à l’université Bordeaux 3 et spécialiste de la littérature utopique et de la science-fiction. Pour comprendre ce pan fondamental de la culture, nous l’avons interrogée sur l’importance de la création française sur la scène science-fictive internationale et sur les différences intrinsèques entre les critiques formulées par les auteurs français et anglophones.

 

Le genre post-apocalyptique, sous-genre de la science-fiction, trouve ses racines dans la littérature française avec La Planète des Singes de Pierre Boule et Malevil de Robert Merle. Quelle est la place de la veine française dans l’essor de cette thématique devenue centrale dans la culture ?

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Dans La fin d’Illa, c’est vraiment l’explosion de ce qu’il appelle la « Pierre Zéro », une arme cataclysmique qui a détruit une civilisation très ancienne. Dans les années 1920, on la retrouve sur Terre et, malencontreusement, la bonne du scientifique qui la retrouve appuie sur un bouton sans savoir ce qu’est la Pierre Zéro et tout explose.

 

En 1937, vous avez aussi Quinzinzinzili de Régis Messac où ce sont des bombes à base de gaz hilarant. L’histoire se passe en 1934 : l’auteur anticipe sur la marche à la guerre qui va conduire à la Seconde Guerre mondiale et anticipe bien sûr sur ce qu’il s’est passé dans le Pacifique. Toute la population est détruite sauf un groupe d’enfants avec un adulte. Ce groupe va littéralement sombrer dans la barbarie : on est dans la régression totale. Le post-apocalyptique est donc bien né en France dans les années 1920.

 

Et c’est un constat mondial ou il est apparu ailleurs en même temps ou avant ?

C’est plus complexe aux États-Unis. En France, on a déjà un regard négatif sur la science, d’abord parce qu’on a subi la Première Guerre mondiale dans laquelle les armes chimiques ont joué un rôle prépondérant. On a déjà un regard méfiant sur la science. Aux États-Unis, il n’y a pas eu la guerre et on a une confiance absolue dans le progrès scientifique, technologique et dans le développement du nucléaire. Les Américains sont les premiers d’ailleurs qui ont créé l’arme nucléaire. Ils n’avaient pas cette méfiance-là et donc la science est très bien perçue dans la science-fiction américaine dans les années 1920. Il y avait une confiance, ce n’est pas du tout le même contexte.

 

D’ailleurs, quelles influences ont eu des auteurs utopiques français comme Cyrano, Mercier, Fourrier, etc., sur les utopies littéraires anglaises et américaines ?

Difficile de répondre ! On ne sait pas véritablement si les auteurs américains ont connu cette littérature. Il faut les distinguer des anglais d’ailleurs. Chez les Français, l’influence est manifeste – c’est une position critique, tout le monde ne la défend pas. Je pense qu’il y a une veine littéraire française qui court depuis un ferment utopique, depuis les auteurs que vous avez cités. Cette veine va se poursuivre tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle. En Angleterre, celui qui va changer la donne, c’est Wells. Il va fonder l’anticipation à partir de l’utopie parce qu’outre-Manche, les auteurs sont beaucoup plus influencés par des Américains comme Poe et l’on est bien plus dans le gothique littéraire. Ne pas alors oublier Shelley et son Frankenstein : c’est une œuvre de science-fiction d’ambiance gothique ! C’est un fait scientifique avéré, le docteur Frankenstein qui va faire des expériences, c’est-à-dire ranimer une personne qui a été recousue à partir de cadavres. Et il va utiliser la force électrique pour donner la vie. On le considère souvent comme du fantastique, c’est totalement faux. C’est un fait rationnel.

 

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Isaac Asimov

 

Alors en quoi pourraient se distinguer les utopies françaises de celles des autres pays, les anglophones, mais aussi l’Italie ou l’Allemagne ?

En France, il faut bien distinguer ce qui appartient à la littérature utopique de ce qu’on appelait les « voyages extraordinaires », comme ceux de Jules Verne dans les années 1860. À la fin du XIXe et jusque dans les années 1920, il y avait aussi ce que l’on appelait le « merveilleux scientifique en France », on pense à Maurice Renard. Les modèles utopiques vont se dissoudre dans ces espèces de sous-genre. En France on ne parle pas de science-fiction : on n’en parlera qu’à partir des années 1950. Aux États-Unis, c’est Hugo Gernsback, qui a commencé ses premiers magazines comme Modern Electrics en 1919, qui, à partir de 1926, va fonder Amazing Stories en disant à ses auteurs d’écrire ce qu’il appelle de la « scientifiction ». Cela consistait en l’écriture d’histoires de science fiction à partir d’un fait scientifique, voilà le cahier des charges. Le terme ensuite va entrer dans une détermination générique avec d’autres revues et devenir de la science-fiction. En France, on va réutiliser ce terme pour dire « science-fiction française ».

 

Pour ce qui est de l’utopie, elle se dissout dans tous ces sous-genres : il n’y a plus alors d’utopie à proprement parler, pour une raison politique. On est à ce moment-là, dans les années 1920 en Europe, dans la réalisation du socialisme. Il faudra attendre la fin de la période stalinienne pour avoir les premières critiques qui montreront comment, in fine, l’utopie réelle tourne au cauchemar.

 

Quelles différences entre utopie politique, utopie programmatique, utopie littéraire, utopie régressive, etc. ? Une rapide typologie est-elle possible ?

La question concerne les domaines dans laquelle l’utopie va s’appliquer. Partons de la base : Utopia de Thomas More en 1515 est une utopie politique. Le modèle originel de l’utopie c’est l’utopie politique. On va réfléchir au meilleur système de gouvernement, c’est d’ailleurs le sous-titre d’Utopia. Nous sommes au XVIe siècle et More est quelqu’un de dérangeant, même si ce n’est pas à cause d’Utopia qu’on lui coupa la tête. On réfléchit donc à la meilleure forme de gouvernement possible et de là on va imaginer la meilleure société possible pour les individus. Ça c’est l’utopie programmatique : on va imaginer un programme social pour faire évoluer les individus.

 

L’utopie littéraire est sur un autre plan. Également créée par Thomas More même si certains la font remonter à la description de l’Atlantide dans La République de Platon. Mais ce n’est pas une utopie littéraire, contrairement et éventuellement au Banquet. Ce n’est pas le même genre que celle inventée par Thomas More. Il faut attendre une réflexion des temps moderne (XVIe siècle) pour réfléchir à ce qu’est l’utopie. C’est vraiment le marqueur civilisationnel de la modernité historique. L’utopie littéraire est donc un texte de récit. Cela dit, même littéraire, Utopia de More est un texte statique, il n’y a pas d’aventure, c’est descriptif. L’utopie littéraire se caractérise par un récit et une narration. Il faudra donc attendre H. G. Wells, et son Utopie moderne en 1905, pour avoir cette mise en marche de l’utopie statique vers un vrai récit littéraire au sens strict du terme. À partir des années 1890 l’utopie va donc complètement intégrer la science-fiction, la littérature d’anticipation, etc., et va devenir un vrai récit.

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mercredi, 16 octobre 2013

Huis clos, le cinéma sans issue de secours

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Foin des grands espaces fordiens, des voyages intersidéraux ou des fresques historiques. L'humanité crue se dévoile parfois dans une cellule de six mètres carrés, en présence d'autres compagnons d'infortune, sans échappatoire. S'adaptant aux différents genres, le huis clos en tant que dispositif narratif et scénique confronte impitoyablement l'homme avec ses congénères et, pire, avec lui-même. Un carburant inflammable de situations souvent explosives ingénieusement employé par HitchcockLumet, Friedkin ou Polanski. Craquons une allumette.

 

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Une adaptation de la pièce a bien été réalisée par Jacqueline Audry en 1954 mais ne respecte pas l'unité de lieu et ne présente pas un grand intérêt, contrairement aux films qui vont suivre. Si enfer il doit y avoir on songera davantage à la chambre d'hôtel poisseuse de Barton Fink (1991) des frères Coen ou à l'appartement de Carnage (2011) de Polanski sur lequel nous reviendrons.

 

Justice for All

 

Genre fondamental, d’où provient le terme, les films mettant en scène la justice sont idéalement propices aux huis clos fiévreux. Sans surprise, la plupart des grands films mettant en scène la justice en action sont américains. Les hommes de loi, qu’ils soient juges, avocats ou policiers, fascinent l’Amérique, et provoquent plutôt les railleries en France.

 

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Qui mieux que Sidney Lumet a su filmer les rouages de la justice américaine ? Parmi ses huis clos, on pourrait citer Le Crime de l’Orient-Express (1974) et Un Après-midi de chien (1975), mais celui qui nous intéressera ici est son premier chef-d’œuvre, Douze hommes en colère (1957), qui s’immisce dans l’étouffante salle de délibération d’un jury devant statuer sur le cas d’un jeune homme accusé de meurtre sur son père. Vont-ils le condamner à mort ? Tous sont persuadés de sa culpabilité. Tous sauf un, le juré n°8 (Henry Fonda), simple citoyen tenacement en prise au doute, l’empêchant d’envoyer le gamin à la mort. Semant ce doute au sein des jurés, passablement énervés de devoir revivre le procès à huis clos et pressés de rentrer chez eux, la tension palpable se transforme en suspense sur l’issue du verdict que donneront les jurés. Toute l’intelligence du film tient à cette volonté farouche, démocratique, d’opposer un doute raisonnable aux préjugés expéditifs quand la vie d’un homme est en jeu. Ici, la pièce n’est pas verrouillée physiquement mais mentalement : les jurés ne pourront sortir qu’une fois unanimement d’accord. C’est le degré de volonté à faire émerger la vérité qui leur permettra de se libérer de cette étuve.

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samedi, 14 septembre 2013

Nous autres, enfants de la totalité


Article initialement paru sur RAGEMAG


Si Thomas More a créé l’œuvre utopique archétypale avec Utopia, le Russe Evguéni Ivanovitch Zamiatine peut être considéré comme son pendant contre-utopique avec Nous autres. La première grande contre-utopie du Xxe siècle est un monument de science-fiction politique, l'incarnation d'une nouvelle et radicale dimension romanesque contre le mythe du progrès.


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Retour au livre. Nous sommes au XXXVIème siècle, l’État unique règne sur une société parfaite, celle de la « dernière révolution », une ville monde où ni le plaisir ni la misère n'existent. Au sommet se trouve le Bienfaiteur (numéro d’entre les numéros), sinistre anticipation du stalinisme et caustique analyse de ce que, déjà, en 1920 recèle le système bolchevique. Le grand Guide est ainsi réélu tous les ans à la même date à l’unanimité et impose l’Harmonie à tous ses membres. L’ironie contre-utopique est de mise : là où règnent l’inversion et le faux-semblant, le Bienfaiteur est celui qui élimine les opposants, de la même façon que le « Big Brother » d’Orwell incarne l’espionnage et la répression.

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samedi, 07 septembre 2013

I Wish, l'éruption d'un miracle

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Sur l'île de Kyushu, au Japon, Koichi, petit garçon de 12 ans vit à Kagoshima avec sa mère et ses grands-parents, tandis que son frère Ryûnosuke vit avec son père dans un village du nord de l'île. Attristés par ce divorce, les enfants décident de se rendre au lieu où les deux premiers trains du Shinkansen se croiseront pour y exaucer le vœu de réunir leur famille. Paradoxe émouvant : c'est au sommet de la technologie, qui restreint de plus en plus notre liberté, que le miracle pourra se réaliser. En arrière-plan, un autre sommet gronde : le volcan Sakurajima.

 

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La grâce du film c'est aussi cette mélancolie estivale quelque peu caractéristique des productions japonaises : on songe à la famille atypique de The Taste of Tea de Katsuhito Ishii, à la plupart des films de Takeshi Kitano (Sonatine, L'été de Kikujiro, A Scene at the sea), ou, plus traumatisant, aux grillons perpétuels de la série Evangelion. Devant ces films, on expérimente le « bonheur d'être triste » selon la belle définition de Victor Hugo. Le quotidien de Koichi et de Ryûnosuke est ainsi sublimé par la poursuite d'un bonheur idéal, mais une poursuite à l'allure d'une marche joviale.

 

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I Wish c'est une aventure enfantine qui fait pleurer les grands, hantés par les réminiscences fugaces d'une quête aussi belle que titanesque (l'union dans l'amour), en enserrant leurs cœurs vides de rêves.

 

Sylvain Métafiot


"I Wish, l'éruption d'un miracle", article publié sur RAGEMAG, 07/08/2013, URL : http://ragemag.fr/cinema-la-selection-dete-de-la-redactio...

mardi, 27 août 2013

Halimi, Lordon et Corcuff contre Michéa : retour sur la controverse


Article initialement paru sur RAGEMAG


Les polémiques enflent dans le microcosme de la philosophie politique. Au cœur du cyclone ? Jean-Claude Michéa, auteur de dix ouvrages en un peu moins de vingt ans. Serge Halimi ouvrit les hostilités estivales, dans un éditorial du Monde diplomatique accusant le penseur montpelliérain de mythifier un prolétariat qui n’existe plus. La Revue des Livres, sous la plume de l’économiste Frédéric Lordon, consacra onze pages à dénoncer « L’impasse Michéa ». Philippe Corcuff envoya la dernière salve, dans les colonnes de Mediapart, et lui reprocha de brouiller les clivages idéologiques… Un point s’impose.


L’affaire n’a rien d’inédit : les penseurs ferraillent depuis que le monde est ce qu’il est. Platon fit savoir qu’il tint à brûler l’œuvre de Démocrite, Voltaire et Rousseau s’écharpèrent par textes interposés, Marx tenta d’esquinter Proudhon au fil des pages de Misère de la philosophie, la tribu des Temps modernes se souleva après la parution de L’Homme révolté d’Albert Camus et l’année 2013 fut témoin d’un vigoureux duel, opposant Slavoj Žižek, philosophe communiste, à Noam Chomsky, linguiste libertaire…

 

Bisbilles de savants ? Chicaneries d’experts ? Empoignades d’intellectuels ? Le monde des livres a, plus souvent qu’à son tour, fait sécession du monde réel : gloses et entre-gloses, commentaires de commentaires, monologues ou débats incestueux — les hommes de pensée se plaisent à penser entre eux, parlant du peuple de leur pupitre… Mais ces joutes, par-delà les conflits de clans, de clochers ou d’égos, en disent parfois plus long qu’il n’y paraît. La querelle qui, pour l’heure, nous intéresse est intestine : Halimi, Lordon, Corcuff et Michéa aspirent tous à briser les reins du calcul égoïste et de la marchandisation, toujours plus grande, des sociétés et des humains qui les peuplent — mais leurs chemins se séparent quant aux voies pour y parvenir… Les hommes ont trop communément le goût du sang et du spectacle : essayons, comme nous le pouvons, de préférer la pensée au pugilat.

 

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Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique et auteur de plusieurs essais incontournables, dénonce l’« image superficielle et dépassée de la société » que les ouvrages de Michéa colporteraient. Les classes populaires y seraient peintes en sépia : bérets, baguettes et bras de fer. Prolos du bon vieux temps, des usines et des camarades, du drapeau rouge et des corons, un pied chez Thorez et l’autre au bar-tabac. « Musclé, français, chef de famille », résume Halimi. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il mentionne le travail de Michéa : une précédente chronique, vieille de dix ans, rendait compte de la lecture qu’il fit de son essai L’Impasse Adam Smith — il le blâmait, en substance, de ne pas prendre toute la mesure des avancées sociétales.

 

Frédéric Lordon, économiste de sensibilité communiste, directeur de recherche au CNRS et contributeur régulier au Monde diplomatique, s’est fendu d’une charge pour le moins cinglante dans ce « magazine bimestriel de critique politique, sociale et culturelle, ancré à gauche ». La polémique est sans contredit l’une des modalités de l’échange intellectuel — Michéa lui-même n’est jamais avare d’un bon mot ou d’une bourrade — mais il est dommageable que l’auteur, pourtant si fin lorsqu’il aborde des questions d’ordre économique, ait privilégié la controverse au débat d’idées… Le chapeau de l’article, rédigé par la rédaction du magazine, s’étonne, au regard de l’accueil favorable que Michéa reçoit parfois à droite, que des sympathisants de gauche puissent apprécier sa pensée. Et Lordon de lui reprocher d’être paradoxalement « prisonnier de la flèche du temps axiologique » puisqu’il resterait « enfermé » dans la problématique de ce Progrès qu’il conteste tant — c’est-à-dire, en langage courant, que le penseur serait dépendant d’une lecture progressiste du monde, même s’il la nie et la dénonce, puisqu’il reconnaît qu’il existe bien un avant. Michéa serait également sourd aux concepts qui, seuls, permettent d’appréhender rationnellement le monde sans céder aux sirènes de « l’intuitionnisme inspiré ». La notion de common decency, que l’on sait chère au philosophe (et qu’il emprunte à George Orwell penseur dont Lordon accable « la faiblesse conceptuelle »), ne résisterait pas à l’analyse : le peuple ne serait pas plus décent que les élites mais il serait, comme elles, capable de tout — preuve en est, précise Lordon, qu’il peut passer des Arabes et des homosexuels à tabac, voler, tricher, être chauvin ou sympathisant nazi. Michéa construirait, de sa tour d’ivoire, une image angélique et désincarnée d’un peuple vertueux et digne par nature (ce qu’il nomme « son anthropologie sélective ») idéalisation d’autant plus délétère qu’elle traduirait un « racisme social ». Après l’avoir invité à sortir de chez lui et à ouvrir les yeux, Lordon l’accuse, à grand renfort de citations de Spinoza, d’entretenir un « fantasme de ré-enchantement » et de n’avoir qu’une idée en tête : remonter le temps, celui, bien sûr béni, des communautés familiales et villageoises qui fleuraient bon la tradition. Et Lordon de se demander ce qu’un Michéa du XIIIe siècle aurait pensé de l’hypothèse de la possession d’une âme par les femmes…

 

Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique et militant anarcho-altermondialiste passé par le NPA, fait preuve de plus de nuances. S’il reproche à Michéa d’essentialiser le Bien et le Mal, de nier le rôle émancipateur des Lumières dans le mouvement ouvrier et d’opposer, trop schématiquement, le libéralisme au socialisme, il ne s’aventure toutefois pas sur le terrain de l’excommunication. Michéa se tromperait également de cibles en fustigeant — il est vrai sans jamais se lasser — le libéralisme-libertaire si prisé par la gauche moderne. Il donnerait en sus des armes à l’adversaire en livrant certaines analyses « conservatrices » et « réactionnaires » et en refusant le vocable « gauche » pour fédérer les luttes émancipatrices. « Michéa est aujourd’hui un socialiste libertaire doté de certains penchants conservateurs. C’est un être métis, mais sa philosophie, fascinée par les essences, a du mal à penser le métissage. » Signalons que Corcuff avait écrit en 2009 l’article « Michéa et le libéralisme : hommage critique », dans lequel il exposait notamment son désaccord avec l’idée, michéiste en diable, d’une unité du libéralisme (culturel et économique).

 

Enfin, quelques lignes à propos du libelle « Michéa, c’est tout bête », rédigé par le sociologue Luc Boltanski et paru dans Le Monde des Livres en 2011L’auteur du Nouvel esprit du capitalisme — essai que Michéa avait d’ailleurs salué dans l’un des siens — l’accusait de mener une « véritable entreprise de captation » à l’endroit d’Orwell et insinuait que ses idées pourraient conduire à une « révolution conservatrice » — allusion évidente au mouvement allemand d’avant-guerre, souvent considéré comme précurseur du fascisme…

 

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Signalons néanmoins que le philosophe met en cause « ces nouveaux chiens de garde » et s’étonne d’une telle campagne : « J’ai décidément dû taper dans une sacrée fourmilière pour susciter ainsi une telle levée de boucliers ! On ne compte plus, en effet, les courageux croisés de la sociologie d’État qui ont jugé soudainement indispensable de mettre en garde le bon peuple — il est vrai déjà suffisamment échaudé par l’actuelle politique de la gauche — contre le caractère profondément hérétique et « réactionnaire » de mes analyses philosophiques. »

 

Michéa évoque « les bourdes théoriques les plus invraisemblables » des analyses de Corcuff et affirme que ce dernier a décrit « un auteur fantasmatique dans lequel il [luiest évidemment impossible de [s]e reconnaître ». Il relève les procédés iniques de ses contempteurs (travestissement de citations et mauvaise foi) et s’emploie, textes à l’appui, à contrer les accusations de manichéisme et d’essentialisme. « C’est toi, et toi seul, qui a délibérément inventé toutes ces catégories surréalistes et qui a aussitôt jugé médiatiquement rentable d’en faire le fond réel de ma pensée, quitte à manipuler, pour ce faire, tous les lecteurs de Mediapart. » Il revient enfin sur le principe de common decency et réfute l’idée, qu’on lui prête, que les classes populaires seraient bonnes par nature.


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Max Leroy

dimanche, 25 août 2013

Cinéma : le grand spectacle contre-attaque

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

La sortie de Pacific Rim de Guillermo del Toro, avec ses batailles de robots et de monstres à grands coups de sous-marin, nous a amené à nous poser une petite question : jusqu'où le cinéma hollywoodien contemporain est-il prêt à aller pour nous offrir du « grand spectacle » ?

 

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Deux hommes capables de monter des projets dantesques sur leur simple nom (les films qu'ils ont réalisés – on ne compte donc pas Star Wars V et VI pour Lucas – ont rapporté plus de 5,8 milliards de dollars dans le monde) qui tirent (presque) la sonnette d'alarme. Non pas pour annoncer un désastre – tout cinéaste qu'ils sont, ce sont aussi des businessmen capables de s'adapter aux règles du marché – mais pour décrypter le vent du changement. En effet, derrière les phrases choc, on retiendra le constat. Hollywood produit, à grands coups de centaines de millions de dollars, de plus en plus de remakes (Total Recall, récemment), de suites (Iron Man 3), de prequels (Monstres Academy), de reboots (The Amazing Spider-Man) ou encore de suites de remakes (The Hills Have Eyes II) ou de suites de reboots (The Dark Knight) et des adaptations de comics. Très souvent, le budget de production des films atteint les neuf chiffres. Et lorsque l'un d'eux se plante, l'addition est salée. Le flop de Battleship, « touché-coulé avec Rihanna » en gros, a coûté 150 millions de dollars à Universal Pictures.

 

Pourtant, la tendance continue, et les studios auraient tort de se priver. En 2012, The Avengers, un film qui a coûté près de 300 millions de dollars, en a rapporté 1,8 milliards à travers le monde (sans compter les produits dérivés, licences et autres réjouissances). Cette année, Iron Man 3 tutoie les scores de son prédécesseur. Les succès rachètent les échecs, et permettent aux producteurs de gagner du temps.

 

Et de toujours proposer encore plus d'effets spéciaux, de relief et de destructions massives. Dans un marché qui voit désormais la télévision câblée et gratuite, les pure-players de l'Internet et les sites de téléchargement en tout genre proposer un catalogue infini de contenus de qualité, le cinéma, un vieux réflexe, surenchérit dans le spectaculaire. Le langage marketing a même définitivement lié « expérience de la salle de cinéma » avec « prouesses techniques », en accumulant sur les affiches de poussifs « événement » ou « 3-D hallucinante ». Les liens entre le grand-spectacle et le Septième Art existent bien. Uniquement pour le pire ? Retour sur ce qui fait d'un certain type de cinéma un réceptacle pour les excès les plus fous.

 

Attraction et technologie

 

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Dans les années 1920-1930, la volonté de grandiose se retrouve aussi dans l'architecture des salles de cinéma. C'est à cette époque que les premiers movie palaces se construisent à travers l'Europe et les États-Unis. Accueillant des centaines de personnes dans leurs murs, ces cinémas d'un nouveau genre remplacent les vieilles salles décrépites, et offrent luxe, confort et grooms. Ouvert le 11 janvier 1933, le Radio City Hall de New-York peut accueillir près de 6 000 personnes dans sa grande salle, dédiée au cinéma, à l'opéra et aux comédies musicales – le bâtiment ne projette plus de films aujourd'hui. Los Angeles voit pousser le Grauman Chinese Theater, toujours debout, et l'Egyptian, qui loge désormais la cinémathèque de la ville. Les références culturelles exotiques donnent un cachet particulier à ces grandes salles, destinées à transporter les spectateurs dans un nouveau monde pour deux ou trois heures de films. Fréquentées par la riche bourgeoisie qui occupait encore les centre-villes avant la Grande Dépression, ces salles faisaient partie intégrante de l'expérience cinématographique. Des années plus tard, l'émergence des multiplexes au plus près des banlieues cossues suivra ce modèle, en accentuant les prouesses technologiques (sièges de stade, écran panoramique, son fidèle, etc.), au grand dam de la décoration, cantonnée à un triste gris et à des lignes désespérément raides.

 

Mais qu'importe, le home-cinema peut recréer chez vous l'ambiance d'une véritable salle ! La popularisation des systèmes Dolby Digital 5.1 et de la Haute-Définition a permis aux vendeurs de DVD et de Blu-Ray de promettre une expérience à la maison aussi époustouflante qu'en salle. La surenchère récente pour pousser à l'achat de téléviseur en 3D-relief, en attendant la 4K (une définition 4 fois supérieure à notre HD actuelle), montre surtout que le marché de la salle et de la consommation de contenus à la maison avance main dans la main. Le souci des constructeurs étaient d'assurer aux consommateurs une profusion de contenus 3D visibles chez soi. Et ils s'appuyaient sur la nouvelle vague de films en relief pour convaincre les clients, avec l'exemple ultime : Avatar. Malgré ces efforts, les chiffres ne sont pas au rendez-vous, et si on prévoit une poussée des ventes dans les années à venir, la raison est simple : tous les téléviseurs seront équipés de la technologie 3D.

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dimanche, 18 août 2013

Solange Bied-Charreton : « L'individu contemporain est un enfant gâté insupportable. »

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Dans son premier roman, Solange Bied-Charreton fait un compte-rendu acide de l’inconsistance d’une génération post-moderne qu’elle juge composée d’individus gâtés, égocentriques et insupportableséblouissant d’une lumière noire les illusions de cette société désœuvrée et narcissique. Une auteur qui semble faire sienne l'exigence nietzschéenne de « Vaincre son temps et donc de soutenir le plus rude combat avec ce par quoi [elle] est l'enfant de son temps ».

 

Enjoy brosse le portrait de Charles, jeune bourgeois calquant son existence par rapport au réseau social ShowYou, un mélange entre Facebook et YouTube. Pour vous, exister socialement, est-ce désormais exister sur Internet ?

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Une tâche ô combien difficile, d’écrire sur le rien.

Il faut procéder par élimination, se poser la question mallarméenne de la poésie de l’objet. Étudier ce que l’objet veut dire : telle fille est rentrée chez elle, a allumé son ordinateur, a regardé une photo de ceci ou une vidéo de cela, voilà ce qui sert de matériau à la construction de mon roman. C’est une histoire qui est basée sur l’observation de l’inconsistance. Cela me fait d’ailleurs plaisir d’en parler très librement parce qu’une des raisons pour lesquelles ce livre s’est vendu est que les gens ont cru que c’était un roman branché, notamment à cause de certains mots-clés associés : génération Y, réseau social, etc. Ces deux mots-clés ont fait en sorte qu’une certaine partie de la population s’est totalement détournée de ce livre, croyant que je faisais l’apologie de cette génération branchée.

 

Votre roman fut mal compris avant même d’être lu ?

Oui, mais j’ai beaucoup joué sur l’argumentaire de promotion. Je me souviens d’un reportage sur France 3 sur la génération Y où le présentateur n’avait, bien évidemment, pas lu l’ouvrage, ce qui explique la méprise médiatique suscitée à sa sortie. À la limite on s’en fout… Non seulement les journalistes télé ne lisent pas les livres, mais ils ne lisent même pas les résumés que les éditeurs leur envoient. Ils s’en foutent royalement.

 

On songe à Olivier Pourriol, ex-chroniqueur littéraire du Grand Journal de Canal+, à qui l’on conseillait de lire la première, la 100e et la dernière page d’un livre pour en parler et qui avait l’interdiction de citer des auteurs morts.

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Lesquels voudriez-vous voir mourir pour pouvoir enfin les lire ?

Comme je vous l’ai dit, je lis des auteurs morts, et pour certains autres de ma connaissance j’adorerais qu’ils soient morts et ne les avoir jamais lus. À part peut-être Michel Houellebecq, mais c’est une découverte assez récente. En réalité je n’aime pas les vivants.

 

Un des personnages de votre roman, Anne-Laure, affirme d’ailleurs qu’« être mort [est] un gage de qualité. »

Oui, elle ressemble à ce que j’étais quand j’avais vingt ans, en forçant certains traits. Elle est un peu paumée et caricaturale. Je voulais raconter le vide mais j’ai de la tendresse pour certains de mes personnages. Ce qui n’est pas le cas de mon prochain roman…

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mercredi, 12 juin 2013

Secte & cinéma : les illuminés des salles obscures

 

 

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

La sortie de The Master en DVD a réveillé en nous le désir de léviter en pyjamas roses, couronnés de fleurs, purifiés par les larmes cristallines de notre rédacteur gourou en chef lors d'une cérémonie chamanique où nous répéterions en boucle des "Hare Krishna" en agitant des clochettes. Toi aussi tu veux baiser le cul du démon avant de lui offrir ta femme, ta fille et ta mère ? Choisis la Voie du Grand Ecran et rejoins les élus.

 

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Il n’est guère étonnant de voir les sectes en tous genres prospérer sur cette société anxiogène en proposant de soigner de la maladie de vivre. Privé de repères, souffrant de solitude, subissant la pauvreté ou la violence sociale, l’individu égaré est la cible favorite des gourous pervers qui offrent une grille de lecture simplifiée du monde. Le dogmatisme sectaire ne pouvait qu’intéresser le cinéma : le cloisonnement dans une contre-culture autarcique et la négation de la complexité du monde constituent des thèmes riches pour un art ancré dans la réalité, aussi inconfortable soit-elle.

 

Manipulation mégalomaniaque

 

Toute secte est liée à un gourou (ou presque : Landmark Education, par exemple). L’illuminé en chef sait comment appâter les faibles d’esprits. Patrick, le gourou de Martha Marcy May Marlene, a tout du hippie à la cool, travailleur des champs et chanteur folk, il séduit et embobine facilement les jeunes gens ayant fui leurs parents et leur condition sociale à la recherche d’une famille de substitution.

 

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Un jouet sexuel notamment. Le gourou a un appétit sexuel à satisfaire, voyez-vous, et le génie de ces braves hommes est de convaincre que le viol est un idéal. C’est qu’ils doivent prendre des forces pour développer leurs pouvoirs extraordinaires faisant passer Chuck Norris pour un tétraplégique autiste : Shoko Asahara passait à travers les murs et méditait six heures sous l’eau, Sri Chinmoy a peint 100 000 tableaux, écrit 750 livres, rédigé 17 000 poèmes et faisait léviter des éléphants, Moon a rencontré Jésus et Ron Hubbard s’est rendu deux fois au paradis.

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mardi, 09 avril 2013

Cinéma : cachez cette bande-annonce que je ne saurais voir

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas la critique d’un ou plusieurs films que nous vous proposons cette semaine mais celle… d’une bande-annonce. Ou plutôt de l’archétype de LA bande-annonce, notamment américaine. Vous l’aurez sans doute remarqué, mais on assiste depuis quelques années à une véritable homogénéisation des trailers outre-Atlantique, principalement ceux des blockbusters, productions destinées au plus grand nombre. Petit décryptage.

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