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mercredi, 25 octobre 2023

Pornomelancolia : Gay sans joie

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Au passionnant regard documentaire sur le monde des films homoérotiques, Pornomelancolia adjoint un discours convenu sur l’ultra-moderne solitude à l’heure des réseaux sociaux.

 

Deux ans après la sortie de Pleasure de Nin­ja Thyberg, le réalisateur argentin Manuel Abramovich s’immisce à son tour dans les coulisses de l’industrie pornographique à travers le personnage de Lalo, ouvrier le jour et influenceur érotique la nuit. Répondant à l’annonce d’un casting de film X, Lalo décroche le premier rôle dans une adaptation très libre et très licencieuse de la vie d’Emiliano Zapata, leader de la révolution mexicaine (1910). Concomitamment, le nombre de ses followers ne cesse d’augmenter.

 

Avec le film de Thyberg Pornomelancolia partage une même vision documentaire sur les conditions de tournage d’un film porno, assainissant l’odeur de soufre qu’il véhicule dans l’imaginaire collectif. On découvre ainsi les problèmes techniques du placement des acteurs dans le champ, la recherche de la bonne intonation des répliques, mais aussi les longues pauses clopes entre deux doggystyle, les fous rires intempestifs, les anecdotes de tournage, les plaisanteries sur la taille des sexes, les à-côtés des acteurs pour gagner leur vie, les maladies que l’on cache à ses proches, la première fois que l’on a avoué son homosexualité… La caméra capte ainsi ces confidences de manière dérobée, s’attardant sur des visages rieurs, des regards complices, redonnant une sensibilité à des acteurs principalement sélectionnés pour leur beauté plastique. Cet aspect « véridique » est renforcé par le fait que Lalo Santos est réellement un acteur porno et que le biopic coquin sur Zapata est un véritable film pour adulte tourné en parallèle de celui d’Abramovich


À travers ces conversations anodines – ce faux making-of d’un vrai film que l’on croit être faux – on devine, en filigrane, la difficulté de vivre en tant que gay dans un pays profondément homophobe (entre 2002 et 2007 mille personnes ont été assassinées au Mexique en raison de leur homosexualité). Devenir acteur porno constituerait ainsi une affirmation libre et entière de sa sexualité, un pied-de-nez au machisme ambiant et au poids de la très conservatrice tradition catholique. C’est du moins ce que l’on aurait pu attendre d’un film cherchant à questionner la masculinité : qu’il se dote d’un vrai propos politique sur les conditions d’existences des minorités sexuelles et leur représentation dans les médias. Ressassé sur son personnage principal, le propos du long-métrage est tout autre.

 

La solitude des grandes villes

 

De fait, le sexe filmé (mais jamais montré explicitement) constitue moins l’agent de libération espéré qu’un piège à glu dont Lalo aura toutes les peines à s’échapper. Le film joue notamment sur les ruptures de tons pour souligner le caractère mécanique du coït en contraste avec un jeu de séduction parfois fiévreux. En témoigne cette scène du tournage où Lalo et son partenaire jouant son double se tournent autour, les regards se cherchent, les mains se font caressantes, les bouches se frôlent, quelques notes accompagnent leur danse voluptueuse… et d’un raccord sec on passe à une scène de pénétration, brute, sans musique, entrecoupées des râles exagérés des acteurs et des directives du réalisateur (« regarde-le », « sois plus expressif », « vas-y plus fort, comme une bête »). Une façon de montrer que Lalo n’est pas encore maître de sa propre sexualité, guidé hors-champ par un metteur en scène de fantasmes imposés. D’autant que tout n’est pas rose dans le monde des travailleurs du sexe. Au détour d’une scène où le consentement devient flou et la souffrance réelle, Lalo décide de quitter le tournage et de suivre sa propre voie.

 

« J’étais seul. Avec mon porno. » Ce souvenir de jeunesse raconté par le réalisateur du Pornozapata, Lalo va l’expérimenter de manière radicale en se transformant en « sex influencer » frénétique, postant des vidéos amateurs plusieurs fois par jour, recrutant ses partenaires sur les applications, collaborant avec d’autres « stars » du milieu… et passant ses soirées à scroller indéfiniment son fil Twitter. Aux plans fixes qui constituent la majeure partie de la mise en scène, viennent s’ajouter ceux des interfaces numériques sur lesquelles navigue Lalo pour tourner, monter, poster ses films, répondre aux messages, prendre des rendez-vous, consulter les fils des autres influenceurs. Le son mat du contact de ses doigts sur l’écran et sa respiration accompagnent ces séquences monotones ancrées dans une routine qui semble tourner à vide.

 

Manuel Abramovich accentue cette sensation de solitude en usant régulièrement d’une longue focale : Lalo est isolé dans le plan, demeurant à l’écart du monde environnant, l’interface de son smartphone devenant sa seule réalité. Il semble n’avoir aucun ami et le seul membre de sa famille qui « apparaît » à l’écran est sa mère avec qui il téléphone de manière épisodique. De ses rêves, de ses joies, de ses goûts, de ses opinions nous ne savons rien. Le film dépeint un cliché de l’individu « post-moderne », jouissant d’un présent perpétuel de manière égoïste et dissimulant un profond mal-être existentiel. L’exhibition permanente de son intimité ne dévoile, paradoxalement, que la facette superficielle de son identité : celle d’un corps svelte, bronzé et bien membré, un automate de plaisir qui ne tombe jamais en panne. L’excitante vanité du succès laisse rapidement place à un sentiment de vide et de frustration. À la précarité financière des débuts se substitue une précarité sentimentale. Les sollicitions de ses admirateurs par message privés finissent par le lasser, ses nombreux partenaires ne prenant pas la peine de simplement lui demander comment il va.

 

Mais le propos n’a malheureusement rien d’original. Qu’à l’époque des influenceurs narcissiques et avides de gains faciles le sexe devienne un produit commercial, répétitif, sans passion ni aventure et destiné à un public d’abonnés (Only Fans et consorts) n’est guère une grande découverte. Reste le visage – et surtout le regard – de Lalo Santos, beauté sombre et tourmentée qui a visiblement fasciné le réalisateur au point d’en faire la singularité (forcément limitée) autour de laquelle gravite tout son film. À rebours de cette chair un peu triste l’on pourra néanmoins tourner son regard vers les films du Brésilien Daniel Nolasco (Urano, Plutaö, Netuno…), rêveries fétichistes qui exsudent un désir brûlant dans un tourbillon de cuir, de muscles et de soleil. Car même à l’époque de Twitter le sexe demeure souverainement libre, gratuit et lumineux.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Zone Critique

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