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mardi, 06 octobre 2015

Niggaz Wit Attitudes

 

À la fin des années 1980, alors que le mythique groupe Run-DMC s'éteignait lentement sur les rives de l'Hudson-river à New-York une autre légende du rap émergeait sur la côte ouest des États-Unis, dans le quartier malfamé de Compton à Los Angeles : le collectif N.W.A. composé d'Eazy-E, Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren, DJ Yella, Arabian Prince. La sortie de leur album Straight Outta Compton en 1988 signe la naissance du gangsta-rap, version hardcore du rap américain relatant leur vie dans les quartiers ultra-violents de Los Angeles, qui deviendra le courant dominant durant toute la décénnie 90.

 

À partir de ce moment charnière dans l'histoire de la musique américaine Felix Gary Gray a réalisé un film d'excellente facture, rivalisant avec les meilleurs biopic musicaux de ces dernières années. Le sujet, alléchant, avait tout pour plaire aux nostalgiques de l'âge d'or du gangsta-rap comme aux cinéphiles se délectant de l'univers des gangs du south side. Les amateurs de Training Day (2001), Dark Blue (2002), Bad Times (2005) et End of Watch (2012) sont en terrain conquis tant le film de Gray charrie les mêmes codes narratifs propres aux hood movies. À ceci près que les battles de rap remplacent les fusillades : l'émancipation et la réussite par la musique, sujet récurrent s'il en est de l'imaginaire de l'american dream, est au coeur du film, décrivant de façon chronologique la montée en puissance de gamins un peu paumés jusqu'à la renommée internationale (et notamment celle de Dr. Dre, compositeur de génie ayant crée la G-Funk et collaboré avec les plus grands, qui perdure encore aujourd'hui).

 

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Se voulant les chroniqueurs de leur propre condition sociale, les rappeurs ne ménagent pas leur auditoire en déclamant des textes d'une violence jamais vue dans l'histoire de la musique. Les trafics de drogue, les violences policières (qui inspirera le célèbre Fuck tha Police), les règlements de compte entre les Bloods et les Crips... ne sont pas des figures de style, elles gravitent constamment autour d'eux, constituant le paysage photographique en négatif de leur réussite musicale : sans être de véritables gangsters leur environnement explosif les conditionnent à jouer a, quitte à fricoter avec de vrais truands. Le ton de l’œuvre de Felix Gray est certes hagiographique mais elle n'évacue pas la face sombre de ce milieu trouble (c'est aussi ce qui lui procure cette dose d'authenticité nécessaire à la fascination).

Ainsi, croisant d'autres légendes du rap, tels que Snoop Dogg et Tupac Shakur, les membres de N.W.A croiseront aussi celle de Suge Knight, véritable mafieux, catégorie poids lourd, qui profite de la dislocation du groupe suite à des brouilles financières avec leur manager Jerry Heller pour imposer son règne dans la production musicale avec son label Death Row Records.

 

Inculpé pour meurtre sur le tournage du film, Suge Knight est également soupçonné d'avoir commandité, avec l'aide de policiers corrompus, les assassinats des frères ennemis du rap, Tupac Shakur et Biggie Smalls, en 1996. Mais ceci est une autre histoire...

 

Sylvain Métafiot

dimanche, 23 août 2015

Sous les tranchées, la peur

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« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. », récite le jeune Théophile dans le train qui emmène les soldats fraîchement engagés sur le champ de bataille. Moqués par ses camarades et traumatisés à la vue des estropiés revenants du front, le jeune poète deviendra fou avant de prendre part au massacre...

On le sait, les « films sur la Grande Guerre » sont aussi balisés narrativement que, par exemple, les « films de boxe ». Dans ce domaine difficile de passer après les brillantes réalisations d'Abel Gance, Stanley Kubrick, Raymond Bernard ou Lewis Milestone.

 

En adaptant le roman autobiographique de Gabriel Chevallier, Damien Odoul reprend à son compte (avec talent et un budget limité) les codes du « film de tranchées », ne négligeant ni l'insouciance de l'enrôlement volontaire, l'angoisse qui monte à l'approche du front, l'ennui et le désespoir en attendant l'attaque, la boucherie des bombardements, l'absurdité des assauts, les officiers planqués, le patriotisme imbécile, les litres de sang mélangés à la boue, les amas de cadavres, les rats, la haine et la pourriture, la folie et la mort. (Félicien Champsaur a également décrit cette hécatombe dans L'Enfer de Verdun.)

 

Otto-Dix-la-guerre.jpgMais la vision d'Odoul s'apparente à un cauchemar éveillé qui ne prend jamais fin, à l'image de ce cavalier se noyant lentement dans un trou d'obus, engloutissant l'homme et le cheval, sous un ciel de cendres. À deux reprises, le jeune Gabriel s’effondre dans les songes : constatant la mort de son innocence en tirant avec un pistolet d'or sur un papillon, se réveillant en hurlant de terreur ; et affrontant les réprobations de ses parents envieux de carriérisme militaire. L'épouvante est permanente, notamment quand une pluie de feu vient le tirer de ses maigres torpeurs. Les plans prennent le temps de capter l'effroi sur le visage des soldats, cette chair à canon judicieusement soulignée par une photographie ténébreuse. Odoul filme la guerre comme Otto Dix peignait les champs de bataille : d'une teinte apocalyptique.

 

Dans cet enfer il n'y a pas plus d'espoir que de tendresse. Les souvenirs de Marguerite, l'amour de Gabriel, s'intercalent de temps à autre entre deux instants d'horreur au gré des lettres envoyées, mais à la manière d'un paradis perdu dont la chute semble définitive. L'héroïsme n'est qu'une sombre propagande, comme l'explique l'auteur : « On enseignait dans ma jeunesse — lorsque nous étions au front — que la guerre était moralisatrice, purificatrice et rédemptrice. On a vu quels prolongements ont eu ces turlutaines : mercantis, trafiquants, marché noir, délations, trahisons, fusillades, tortures, tuberculose, typhus, terreur, sadisme et famine. De l'héroïsme, d'accord. Mais la petite, l'exceptionnelle proportion d'héroïsme ne rachète pas l'immensité du mal. D'ailleurs peu d'êtres sont taillés pour le véritable héroïsme. Ayons la loyauté d'en convenir, nous qui sommes revenus ».

Aux clairons de l'armistice, totalement désenchanté, ayant perdu foi en Dieu (« Seuls les obus peuplent le ciel. La guerre à tué Dieu ») autant qu'en les hommes, Gabriel n'a plus la force ni l'envie de retourner dans son village natal. Celui-là même où, dès la première scène, un homme fut lynché pour avoir refusé de fêter le début de la guerre. La douleur est devenue démente.

 

Sylvain Métafiot

samedi, 09 mai 2015

Les cochonneries du Judge Dredd

Troisième millénaire de notre ère. Lassé de tuer arbitrairement des punks du futur, Judge Dredd, décide de se détendre en s’adonnant au stupre et à la lubricité en compagnie d’un Max von Sydow en perdition, d’un frère diabolique qui zozote, d’un sidekick insupportable et de donzelles friponnes. 

 

 

On commence par la présentation des jouets coquins

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mercredi, 11 mars 2015

Dieu cinématique

 

Après le questionnaire du Miroir et celui sur la Politique, Ludovic Maubreuil nous propose un questionnaire portant sur les dieux et les mythes au cinéma. L'occasion de mettre sa foi de cinéphile à l’épreuve.

 

1) Parmi tous ceux qui ont été représentés au cinéma, quel est votre dieu préféré ?

Celui qui créa la femme, pardi !

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2) Quel édifice religieux, présent dans un film, vous a donné envie de vous y attarder ?

Celle qu'occupe Andreï Roublev dans le film de Tarkovski.

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Bien que je serais curieux de découvrir le mystère de l'église démoniaque de L'Antre de la folie de John Carpenter.

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3) Quel personnage de prêtre vous a le plus marqué ?

Don Pietro Pellegrini, l'admirable prêtre résistant dans Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini.

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jeudi, 05 mars 2015

Kingsman : le beauf s’habille chez Henry Poole

 

Les gentlemen seraient-ils devenus vulgaires ? Telle est la question qui nous titille l’occiput durant le visionnage du dernier film de Matthew Vaughn, réalisateur de l’excellent Kick-Ass (2010) et du très correct X-Men : First Class (2011). Si incongrue que ce soit cette question sa réponse n’en est pas moins malséante : oui, en flattant un public nourrit au relativisme culturel contemporain, l’alliance du beauf et du dandy est réalisée.

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samedi, 14 février 2015

Il est difficile d'être un dieu

 

S'il est difficile d'être un dieu il est d'autant plus ardu d'écrire sur une œuvre dont l'histoire obscure invite à la glose infinie mais qui happe surtout par une puissance visuelle aussi sublime que répugnante.

 

À l'image du Faust d'Alexander Sokurov le film d'Alexeï Guerman est une danse infernale éprouvante dans laquelle s'entrechoque les corps sales, puants et dégoulinants d'une cour des miracles d'un autre monde illustrant « à merveille » notre propre enfer médiéval.

 

Ainsi, c'est aux visions diaboliques de Bosch et de Brueghel que cet univers de folie fangeuse fait songer...

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Le Christ aux Limbes

 

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Le jardin des délices (détail)

 

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La Dulle Griet

 

Sylvain Métafiot

dimanche, 25 janvier 2015

Pasolini : le chant de l’abyme

 

 Article initialement publié sur Le Comptoir

 

« Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir. Et le refus d’être scandalisé est une attitude moraliste. » Devant le journaliste français qui l’interroge, Pier Paolo Pasolini ne mâche pas ses mots. Il ne l’a jamais fait. Il vient de terminer Salo ou les 120 journées de Sodome. Le lendemain, il sera mort. C’est ainsi que débute le beau film qu’Abel Ferrara a consacré à cet homme qui paya de sa vie son droit sacré au blasphème moderne.

 

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Alternant les scènes de vie familiale avec les interviews politiques, Ferrara s’aventure également, à la manière des récits en cascade des Mille et une nuits, dans le champ de l’imaginaire en illustrant son roman inachevé Pétrole et les premières esquisses du film Porno-Teo-Kolossal racontant le voyage d’Epifanio et de son serviteur Nunzio à travers l’Italie à la recherche du Paradis, guidés par une comète divine. Enchâssant la fiction dans la réalité (et même la fiction dans la fiction), Ferrara trace une ligne de vie viscérale entre Pasolini et ses œuvres : « Pasolini n’était pas un esthète, mais un avant-gardiste non inscrit, affirme Hervé Joubert-Laurencin. Il n’a pas vécu sa vie comme un art mais l’art comme une vie, il n’était pas "décadentiste" mais "réaliste", il n’a pas "esthétisé la politique" mais "politisé l’art". »

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lundi, 29 décembre 2014

Cimes cinéphiliques 2014

 

Qui succède au Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese au titre de meilleur film de l'année ? La réponse dans notre habituel top 10, suivi de son flop 10 tout aussi subjectif.

 

Au sommet cette année

 

1) Alleluia de Fabrice du Welz : un cauchemar sadien dans lequel virevolte Eros, Thanatos et les puissances oniriques du cinéma.

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2) Gone Girl de David Fincher : une plongée renversante dans le grand bain du négatif américain.

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3) Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch : l’éternelle mélancolie des vampires face à la vulgarité des « zombies » humains.

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4) Whiplash de Damien Chazelle : la naissance d’un dieu sous l’égide d’un tyran.

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5) Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan : les pérégrinations morales et philosophiques d’un roi seul dans son royaume glacé.

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mercredi, 24 décembre 2014

Noël cinéma contre la gueule de bois

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En attendant le désormais habituel top 10 ciné de fin d’année, voici un petit classement spécial Noël concocté par la fine équipe de Blow Up

 

 

Joyeuses fêtes à tous et buvez frais !

 

Sylvain Métafiot

jeudi, 11 décembre 2014

Debord cinéaste : la haine de l'image

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

« Le monde est déjà filmé. Il s’agit maintenant de le transformer », affirme Guy Debord, en bon marxiste hétérodoxe, dans son film « La société du spectacle ». Anti-cinéma (à ses yeux un « spectacle dégradé »), considérant le spectateur comme un « homme méprisable », il réalisa pourtant six films. Comment ce génie insupportable et paradoxal a-t-il résolu, voire dépassé, cette contradiction fondamentale ? Essayons d’y voir plus clair derrière les apparences.

 

debord cinéaste,haine de l'image,situationnisme,sylvain métafiot,le comptoir,détournement,maxisme,surréalismeÀ l’instar des surréalistes, les situationnistes admiraient les poètes des ténèbres que sont Lautréamont, Lacenaire, Arthur Cravan, Sade… Et c’est en hommage au divin marquis que Debord réalisa son premier film, en 1952 : Hurlements en faveur de Sade, même si « on ne parle pas de Sade dans ce film ». Dans la préface au scénario d’une première version du film, il écrivait : « L’amour n’est valable que dans une période prérévolutionnaire. J’ai fait ce film pendant qu’il était encore temps d’en parler. Il s’agissait de s’élever avec le plus de violence possible contre un ordre éthique qui sera plus tard dépassé. […] Les arts futurs seront des bouleversements de situations, ou rien. » (Prolégomènes à tout cinéma futur). Alternance d’écrans blancs et noirs, le film témoigne d’un dégoût profond pour l’image, refusant radicalement toute représentation. Au flot de paroles décousues et volontairement inexpressives du blanc — mélange d’aphorismes philosophiques, de dialogues poétiques et d’articles du Code civil — résonne le silence assourdissant du noir. C’est son premier usage des phrases détournées. Mais bien qu’ayant proclamé que « le cinéma est mort », il va continuer à arpenter le paysage cinématographique en faisant évoluer sa pratique du détournement.

 

Pour Debord, le dadaïsme et le surréalisme furent stoppés dans leur élan car n’engageant leur projet révolutionnaire que d’un seul côté : « Le dadaïsme a voulu supprimer l’art sans le réaliser ; et le surréalisme a voulu réaliser l’art sans le supprimer. La position critique élaborée depuis par les situationnistes a montré que la suppression et la réalisation de l’art sont les aspects inséparables d’un même dépassement de l’art. » (La société du spectacle) C’est dans ce processus de bouleversement et de dépassement qu’intervient le détournement cinématographique.

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