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jeudi, 01 juillet 2021

Le fou caressant : Arthur Cravan, la terreur des fauves de Rémy Ricordeau

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C’est un drôle de bonhomme qui déambule dans le quartier Latin en cette année 1912. Un géant d’1m95, cheveux courts et verbe haut, harangue les passants à propos d’une tout jeune revue antilittéraire, Maintenant, dont il est l’unique rédacteur. Arthur Cravan, puisqu’il s’agit de lui, ne passe pas inaperçu. Se présentant comme poète, boxeur, neveu d’Oscar Wilde mais aussi barman, cueilleur d’orange et charmeur de serpents déguisé en Indien, les journalistes se régalent de ses frasques lors de soirée où les démonstrations pugilistiques succèdent aux déchainements poétiques. Des coups de poings qui au propre comme au figuré, lui vaudront huit jours de prison avec sursis pour avoir eu le mauvais goût de déplaire au couple de peintres orphistes Robert et Sonia Delaunay. Refusant de marcher au pas lors de la déclaration de guerre, ce dadaïste avant l’heure s’embarque ensuite pour New-York précédé d’une réputation sulfureuse et retrouve ses amis Marcel Duchamp et Francis Picabia afin de continuer à « mener une vie pleine, sous le signe de la passion, de toutes les passions », comme le note le documentariste Rémy Ricordeau à qui l’on doit l’établissement de ce bel ouvrage rouge de plaisir réunissant certains documents inédits.

 

On y trouve ainsi une revue de presse française et américaine assez désopilante, relatant sa vie aussi extravagante que subversive (« Cravan tel qu’en lui-même») ; le célèbre « prosopoème » Notes rédigé quelques mois avant sa disparition (et qui avait été publié par André Breton en 1942 dans un magazine new-yorkais lors de son exil aux Etats-Unis) ; enfin, le cœur du livre, sa correspondance amoureuse avec les trois femmes de sa vie : Renée Bouchet tout d’abord, rencontrée en 1909, compagne de soif dans les cabarets de Montmartre et soutien indéfectible de ses années parisiennes ; Sophia Treadwell et Mina Loy ensuite, aventurières modernes fréquentant l’avant-garde new-yorkaise, journaliste féministe pour l’une, poète et peintre audacieuse pour l’autre. Loin d’être une brute que certains aimaient à caricaturer, Cravan est surtout une âme d’une extrême sensibilité, avide du désir amoureux. Cet amour fou dont il n’est jamais rassasié lui revigore le sang jusqu’à l’extrémité des doigts, lui inspirant ces nombreuses « lettres de passion et de désertion ».

 

La correspondance qu’il entretien avec ces trois « amours-passions » durant une année et demie donne à voir l’évolution de ses sentiments, tour à tour enjoué et bravache lorsqu’il clame sa flamme (« J’ai ta photographie toute mouillée devant moi et je t’adore comme je crois aucun homme n’a jamais adoré une femme. Je suis absolument assommé d’avoir trop pensé à toi et je n’arrive pas à terminer ma lettre » lettre à Mina Loy, 20 décembre 1917), nostalgique des étreintes charnelles (« Je n’oublierai jamais le dernier soir où, étendus sur le lit, nous nous plûmes à nous charger d’amour » lettre à Sophie Treadwell, 28 mai 1917), puis inquiet et désespéré quand les réponses tardent un peu trop et lorsque les conditions matérielles deviennent éprouvantes (« Si tu continues à te montrer aussi froide dans tes lettres tu me feras complètement perdre la tête, car c’est dans la logique de l’amour » lettre à Sophie Treadwell, 28 mai 1917 ; « Mourir de l’âme c’est dix mille fois pire que le cancer. Et je suis bien perdu. […] La vie est atroce » dernière lettre à Mina Loy, 31 décembre 1917). Lors de son exil au Mexique, pour fuir la guerre, sa frénésie épistolaire atteint parfois les trois lettres par jour. Mina parviendra à le rejoindre en janvier 1918, ils se marieront en mars de la même année, mais leur situation frôle la misère la plus extrême. Résolus à quitter Mexico séparément, Mina embarque sur un navire à destination de Buenos Aires tandis que Cravan disparaît dans le golfe de Tehuantepec à bord d’un voilier. Son corps n’a jamais été retrouvé.

 

On regrette, par ailleurs, de ne pouvoir lire les réparties des demoiselles en question, bien que cela nécessiterait sans doute un volume à lui seul. Malheureusement, les lettres de Sophie n’ont pas été retrouvées et celles envoyées à Renée après leur séparation ont été perdues, ce qui rend cette correspondance d’autant plus légendaire, comme en témoigne Blaise Cendrars dans Le Lotissement du ciel (1949) : « Il semble bien que son séjour au Mexique, le voyage dans le sud du pays, la prospection des mines d’argent, eût été pour lui un chemin de Damas s’il n’avait pas fait demi-tour dans la solitude. Il a adressé alors à son épouse parisienne des lettres extraordinaires d’émotion et de poésie intense et contenue, des hymnes à la nuit aussi profonds et suaves que ceux de Novalis et des illuminations aussi prophétiques et rebelles et désespérées et amères que celles de Rimbaud. » Un propos qui rejoint celui d’Annie Le Brun qui, en postface de l’ouvrage, fait l’éloge de ce « sauvage amour courtois » et de « l’irrésistible force poétique » de Cravan « qui est de prendre à revers le monde des mots et des idées, pour atteindre chacun au plus profond de sa nuit ». Précipité de détresse et de tendresse, Cravan amalgame la désertion de tous les nationalismes et des gesticulations sociales avec le pari insensé de « réinventer l’amour » pour accéder à la « vraie vie ». C’est grâce à cette fureur amoureuse que Cravan combat le monde tel qu’il va et la banalité affligeante de la réalité qui l’accompagne. Soit « l’affirmation brute et sans apprêt d’une vie en insurrection en quête d’un sens et d’une intensité toujours renouvelée ».

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

lundi, 26 octobre 2015

Cinéma : L’Échappée poétique d’Annie Le Brun

 

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

« C’est avec les yeux que je dévore le noir du monde », confesse celle qui, de Sade à André Breton en passant par Alfred Jarry et Victor Hugo, n’a de cesse de bousculer la triste réalité du monde à travers ses œuvres. Et c’est des yeux que nous suivons Annie Le Brun dans ce film curieux et troublant, “L’Échappée”, mêlant habilement le documentaire et la fiction. Une ballade qui éclaire une pensée mouvante et trop méconnue : luttant sans relâche contre l’appauvrissement de notre horizon sensible, l’écriture d’Annie Le Brun célèbre l’imaginaire, la révolte et l’amour comme les remèdes à la misère de notre temps, nous permettant de regarder ailleurs et autrement. À l’occasion d’une projection exceptionnelle au cinéma Le Zola de Villeurbanne, nous nous sommes entretenus avec sa réalisatrice Valérie Minetto et sa co-scénariste Cécile Vargaftig.

Comment avez-vous découvert Annie Le Brun ? Quelles sont les œuvres qui vous ont profondément marquées ?

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Cécile Vargaftig : De mon côté, j’ai commencé à lire Annie Le Brun dans les années 1980 avec Les Châteaux de la subversion. Ce fut un coup de foudre car, loin de la fiction, c’était de la pensée qui ne s’exprimait pas sous une forme universitaire mais portée par le « je » d’une parole singulière et autonome. Ce livre, comme tous les autres, mêle la culture des anciens et l’observation du monde contemporain, et parle aussi bien de littérature que d’espace et d’image. J’ai continué à la lire depuis, guettant chacune de ses nouvelles parutions, et je continue encore aujourd’hui. J’avais découvert sa voix à France culture dans les années 1990 et, passant rarement à la télé, je me demandais à quoi elle pouvait bien ressembler. Je trouvais donc dommage que pour un auteur aussi incarné – qui défend le corps, la présence du sensible, l’empreinte du vivant dans le monde – on n’ait pas de traces de son corps. Alors que nous avons la trace du corps de beaucoup de personnalités médiatiques inintéressantes. Le but était donc de capter Annie Le Brun en entier.

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jeudi, 03 octobre 2013

62, année onirique

 


Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme ressort en salles dans une version restaurée, cinquante ans après sa réalisation, et nous conte un Paris fourmillant et éclectique, une capitale de lumière et d'ombre filmée avec amour et gourmandise. Comme un voyage ethnologique qui déraperait en fable on passe des rues populaires aux grands boulevards, des salles des fêtes aux banlieues toutes fraîches, d'un chat habillé à des amoureux timide en passant par les convives éméchés d'un mariage. On transite ainsi d'un personnage (d'une situation) à un autre avec malignité et élégance. C'est mai 1962 raconté par les Parisiens eux-mêmes, avec leur gouaille, leur joie, leur crainte, leur humanité. C'est Paris en paix, tranquillement observé, sans jugements ni précipitations mais avec une liberté de ton qui colle au plus près des visages et des paroles.

 

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C'est une caméra qui scrute les détails aux marges ou aux arrières plans, saisissant, là des mains qui s'agitent, ici une araignée qui se balade, ailleurs l'allée poisseuse d'un bidonville, ou encore l'air interrogateur des passants. Un regard véritablement décalé sur une époque politiquement convulsive dont l'intérêt est à la marge. Jean-Luc Godard et Anna Karina passent en voiture, nous lancent un regard. Et là, n'est-ce pas Alain Resnais ? La Nouvelle Vague déferle dans les salles obscures et redonne du souffle au cinéma de papa tandis que Marker et Lhomme prennent le pouls de la rue et donnent à voir le caractère d'une ville sous la forme d'un poème urbain.

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samedi, 27 octobre 2012

Epuration festive

Epuration festive


« La culture, devenue intégralement marchandise, doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire. »

Guy Debord, La Société du spectacle

 

Que celui qui n’a jamais eu envie de prendre un flingue et de shooter dans le tas, à la manière surréaliste, me tire la première balle ! Franchement, qui n’a ressenti le goût du meurtre devant un enfant pourri-gâté, une vieille acariâtre, un adepte du tunning, un porteur du tee-shirt du Che, un intello sectaire, un élève d’école de commerce, un hippie, une racaille, une journaliste de mode, un fanatique religieux, un accro au portable, un supporter, ou Jean-Marc Morandini ? Cette sensation d’être constamment cerné par des cons. Franck, lui, a ressenti cette envie de carnage. Et il a décidé de l’assouvir, jusqu’à satiété. Voici le point de départ de God Bless America de Bobcat Goldthwait.

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