Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 26 octobre 2015

Cinéma : L’Échappée poétique d’Annie Le Brun

 

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

« C’est avec les yeux que je dévore le noir du monde », confesse celle qui, de Sade à André Breton en passant par Alfred Jarry et Victor Hugo, n’a de cesse de bousculer la triste réalité du monde à travers ses œuvres. Et c’est des yeux que nous suivons Annie Le Brun dans ce film curieux et troublant, “L’Échappée”, mêlant habilement le documentaire et la fiction. Une ballade qui éclaire une pensée mouvante et trop méconnue : luttant sans relâche contre l’appauvrissement de notre horizon sensible, l’écriture d’Annie Le Brun célèbre l’imaginaire, la révolte et l’amour comme les remèdes à la misère de notre temps, nous permettant de regarder ailleurs et autrement. À l’occasion d’une projection exceptionnelle au cinéma Le Zola de Villeurbanne, nous nous sommes entretenus avec sa réalisatrice Valérie Minetto et sa co-scénariste Cécile Vargaftig.

Comment avez-vous découvert Annie Le Brun ? Quelles sont les œuvres qui vous ont profondément marquées ?

baudelaire,michel fau,surréaliste,sade,jarry,andré breton,villeurbanne,le comptoir,cécile vargaftig,valérie minetto,ailleurs et autrement,film,le zola,sensible,horizon,cinéma : l’Échappée poétique d’annie le brun,sylvain métafiotValérie Minetto : Je ne connaissais pas Annie Le Brun avant de faire le film. C’est surtout Cécile qui, en tant que lectrice, la connaissait depuis longtemps et qui trouvait que ce serait bien de faire un film sur elle. J’ai donc commencé à me renseigner, à la lire et ça m’a vraiment interpellé : enfin une parole libre à laquelle on peut s’identifier et retrouver sa propre colère. J’ai commencé, dans le désordre, par Du trop de réalité, puis Les Châteaux de la subversionAppel d’airPerspectives dépravées… J’ai ensuite rencontré Annie et, bien que j’étais rétive à réaliser un film sur un écrivain car c’est un exercice compliqué, j’ai vu tout de suite qu’il y avait un film à faire.

 

Cécile Vargaftig : De mon côté, j’ai commencé à lire Annie Le Brun dans les années 1980 avec Les Châteaux de la subversion. Ce fut un coup de foudre car, loin de la fiction, c’était de la pensée qui ne s’exprimait pas sous une forme universitaire mais portée par le « je » d’une parole singulière et autonome. Ce livre, comme tous les autres, mêle la culture des anciens et l’observation du monde contemporain, et parle aussi bien de littérature que d’espace et d’image. J’ai continué à la lire depuis, guettant chacune de ses nouvelles parutions, et je continue encore aujourd’hui. J’avais découvert sa voix à France culture dans les années 1990 et, passant rarement à la télé, je me demandais à quoi elle pouvait bien ressembler. Je trouvais donc dommage que pour un auteur aussi incarné – qui défend le corps, la présence du sensible, l’empreinte du vivant dans le monde – on n’ait pas de traces de son corps. Alors que nous avons la trace du corps de beaucoup de personnalités médiatiques inintéressantes. Le but était donc de capter Annie Le Brun en entier.

Lire la suite

dimanche, 23 août 2015

Sous les tranchées, la peur

LA+PEUR+4+PHOTO2.JPG

 

« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. », récite le jeune Théophile dans le train qui emmène les soldats fraîchement engagés sur le champ de bataille. Moqués par ses camarades et traumatisés à la vue des estropiés revenants du front, le jeune poète deviendra fou avant de prendre part au massacre...

On le sait, les « films sur la Grande Guerre » sont aussi balisés narrativement que, par exemple, les « films de boxe ». Dans ce domaine difficile de passer après les brillantes réalisations d'Abel Gance, Stanley Kubrick, Raymond Bernard ou Lewis Milestone.

 

En adaptant le roman autobiographique de Gabriel Chevallier, Damien Odoul reprend à son compte (avec talent et un budget limité) les codes du « film de tranchées », ne négligeant ni l'insouciance de l'enrôlement volontaire, l'angoisse qui monte à l'approche du front, l'ennui et le désespoir en attendant l'attaque, la boucherie des bombardements, l'absurdité des assauts, les officiers planqués, le patriotisme imbécile, les litres de sang mélangés à la boue, les amas de cadavres, les rats, la haine et la pourriture, la folie et la mort. (Félicien Champsaur a également décrit cette hécatombe dans L'Enfer de Verdun.)

 

Otto-Dix-la-guerre.jpgMais la vision d'Odoul s'apparente à un cauchemar éveillé qui ne prend jamais fin, à l'image de ce cavalier se noyant lentement dans un trou d'obus, engloutissant l'homme et le cheval, sous un ciel de cendres. À deux reprises, le jeune Gabriel s’effondre dans les songes : constatant la mort de son innocence en tirant avec un pistolet d'or sur un papillon, se réveillant en hurlant de terreur ; et affrontant les réprobations de ses parents envieux de carriérisme militaire. L'épouvante est permanente, notamment quand une pluie de feu vient le tirer de ses maigres torpeurs. Les plans prennent le temps de capter l'effroi sur le visage des soldats, cette chair à canon judicieusement soulignée par une photographie ténébreuse. Odoul filme la guerre comme Otto Dix peignait les champs de bataille : d'une teinte apocalyptique.

 

Dans cet enfer il n'y a pas plus d'espoir que de tendresse. Les souvenirs de Marguerite, l'amour de Gabriel, s'intercalent de temps à autre entre deux instants d'horreur au gré des lettres envoyées, mais à la manière d'un paradis perdu dont la chute semble définitive. L'héroïsme n'est qu'une sombre propagande, comme l'explique l'auteur : « On enseignait dans ma jeunesse — lorsque nous étions au front — que la guerre était moralisatrice, purificatrice et rédemptrice. On a vu quels prolongements ont eu ces turlutaines : mercantis, trafiquants, marché noir, délations, trahisons, fusillades, tortures, tuberculose, typhus, terreur, sadisme et famine. De l'héroïsme, d'accord. Mais la petite, l'exceptionnelle proportion d'héroïsme ne rachète pas l'immensité du mal. D'ailleurs peu d'êtres sont taillés pour le véritable héroïsme. Ayons la loyauté d'en convenir, nous qui sommes revenus ».

Aux clairons de l'armistice, totalement désenchanté, ayant perdu foi en Dieu (« Seuls les obus peuplent le ciel. La guerre à tué Dieu ») autant qu'en les hommes, Gabriel n'a plus la force ni l'envie de retourner dans son village natal. Celui-là même où, dès la première scène, un homme fut lynché pour avoir refusé de fêter le début de la guerre. La douleur est devenue démente.

 

Sylvain Métafiot

mardi, 12 août 2014

À rebours avec Huysmans

 

« C'est l'histoire d'un misanthrope qui se coupe du monde pour se nourrir de son propre fonds (l'histoire d'un homme assis, dira-ton, à la manière d'André Gide). C'est aussi l'histoire d'un malade que sa névrose contraint à vivre en vase clos. L'histoire d'un aristocrate en rupture avec ses contemporains qui se consacrent au culte de l'argent. L'histoire d'un esthète qui amasse des valeurs dont il perçoit les dividendes sous les espèce d’œuvres d'art et d'ouvrages littéraires. L'histoire d'un amateur d'autres mondes, qui s'exile derrière le miroir afin de se laisser porter par ses rêveries, ses rêves, ses souvenirs ou ses réflexions. Ou encore celle d'un homme qui, ayant la conviction de vivre une période de « décadence », l'incarne dans son propre corps, dans chacun de ses goûts, chacune de ses activités, transformant une conception de l'Histoire en art de vivre. »

Présentation de Daniel Grojnowski

Lire la suite