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dimanche, 27 décembre 2015

Sarabande macabre

Sarabande macabre,Il est difficile d'être un dieu, Sylvain Métafiot, Alexeï Guerman,

 

Article initialement publié dans Le Comptoir

 

Si Mad Max figure le délire flamboyant des corps virevoltants, Il est difficile d’être un dieu représente le songe ténébreux des damnés d’une terre sans ciel. Pour son sixième film en cinquante ans de carrière, Alexeï Guerman s’est donc attelé à l’adaptation d’un roman de science-fiction des célèbres frères Arcadi et Boris Strougatski (auteurs notamment du fameux Stalker, porté au cinéma par Andreï Tarkovsky en 1979). Résumer l’histoire semble impossible au vu de son insondable complexité. Nous savons simplement que Don Rumata, sorte de chevalier errant mélancolique, est envoyé sur la planète Arkanar, bloquée dans un Moyen Âge violent et humide, afin de comprendre les tenants et les aboutissants de la persécution des intellectuels (les « raisonneurs ») par la cohorte obscurantiste des « Gris ».

 

Le film d’Alexeï Guerman est une danse infernale éprouvante dans laquelle cohabitent, avec une promiscuité étouffante, les corps sales, puants et dégoulinants d’une cour des miracles d’un autre monde illustrant « à merveille » notre propre enfer médiéval. Un univers de folie fangeuse qui prend explicitement ses sources dans les visions diaboliques de Jérôme Bosch et Pieter Brueghel. Les démons arpentant Le Jardin des Délices, Le Christ aux Limbes, La Dulle Griet ou Le Portement de Croix prennent ainsi vie dans un capharnaüm grotesque et écœurant. Nulle trace de grâce divine dans ce labyrinthe de boue et de sang, si ce n’est dans la virtuosité technique des plans-séquences qui composent chaque tableau de cette implacable mise en scène à la rigueur délicieusement soviétique.

 

En somme, Il est difficile d’être un dieu est une rude épreuve pour tout spectateur peu enclin à endurer une œuvre au propos métaphysique obscur (on ne comprend strictement rien à l’histoire), suffocante à force de coller au plus près des personnages et d’une durée conséquente (le film dure trois heures !). Ce calvaire est contrebalancé par une beauté plastique exceptionnelle, magnifiée par la photographie d’un noir et blanc pénétrant. S’il est donc ardu d’“entrer” dans un film dont le récit invite à la glose infinie, il sidère surtout par sa puissance visuelle, sublime dans sa répugnance.

 

Sylvain Métafiot