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lundi, 03 août 2020

Guy Marignane : « Il y a une extraordinaire matière poétique chez Sade »

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Producteur et scénariste, Guy Marignane a réalisé son premier long-métrage « Les Mélancolies de Sade » dans lequel l’écrivain est livré à la solitude de la détention et dont l’imagination révoltée sera sa seule échappatoire. Un théâtre d’ombre de lumière hanté par les lettres de Renée Pélagie et Mlle de Launay, le fantôme de son ancêtre Laure de Sade, l’apparition de son héroïne Juliette ou la conversation imaginaire avec Jean-Jacques Rousseau, dévoilant un Sade amoureux et insoumis, épris de doutes mais toujours de liberté.

Le Comptoir : Comment est survenue l’envie d’adapter une partie de la vie du marquis de Sade ? Et pourquoi cette période d’emprisonnement particulièrement ?

Guy Marignane : Le marquis de Sade est resté 27 ans enfermé, je me suis intéressé à la fragilité qui découlait d’une si longue peine ; le désir de mettre fin à ses jours, l’abandon des proches, qu’est ce qui fait que l’on tient, à quoi se raccroche-t-on pour tenir toutes ces années ?

 

Cet emprisonnement dans le film est la représentation métaphorique des cellules occupées toute sa vie Il ne s’agissait surtout pas de faire un biopic, en reprenant une période précise de l’histoire de Sade.

 

Une fidélité aux textes oui, mais pas de fidélité à sa biographie.

 

« Je voulais faire un film, court, dense avec une seule couleur. »

Les nombreuses correspondances de Sade constituent la matière première de votre œuvre. Avez-vous également consulté des biographies et des essais littéraires pour le travail préparatoire ?

Bien entendu, j’ai consulté les biographies de Maurice Lever et celle de Gilbert Lely, pour laquelle j’ai une vraie faiblesse, Lely était poète, et j’ai toujours associé Sade à la poésie, il y a une extraordinaire matière poétique chez Sade.

 

J’ai lu quelques essais, mais surtout de nombreux ouvrages de Sade, les plus connus mais aussi d’autres moins connus, comme ses Voyages d’Italie (1775), Aline et Valcour (1793), les Contes étranges (1800) qui se partagent entre réalité et imaginaire.

 

Puis j’ai laissé passé beaucoup de temps avant de commencer la rédaction d’une continuité.

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jeudi, 09 janvier 2020

Cimes cinéphiliques 2019

 

Qui succède aux Garçons sauvages de Bertrand Mandico au titre de meilleur film de l'année ? La réponse dans notre habituel top 10, suivi de son flop 10 tout aussi subjectif.

 

 

Au sommet cette année

 

1) Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino : preuve, une nouvelle fois, que l’art seul peut nous consoler et nous venger du réel.

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2) Bacurau de Kleber Mendonça Filho : les furtifs prennent les armes.

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3) An Elephant Sitting Still de Hu Bo : dépression en basse altitude dans la Chine moderne.

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4) Sunset de László Nemes : la quête de la vérité est un labyrinthe vers la folie.

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5) Parasite de Bong Joon Ho : la théorie du ruissellement jusqu’au débordement.

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dimanche, 29 décembre 2019

Les Furtifs : Bacurau de Kleber Mendonça Filho

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Tout commence dans l’espace. La caméra en orbite autour de la terre se rapproche progressivement du sol, traverse les nuages vers la région du Nordeste du Brésil, suivant enfin la route d’un camion citerne slalomant entre des cercueils éparpillés sur le bitume (signe précurseur que la mort planera tout au long du film, prenant notamment les traits d’un drone aux allures SF des années 50). Perdu dans le Sertaõ, la commune de Bacurau manque d’eau, cette dernière étant retenue par un préfet corrompu et bedonnant qui a engagé des mercenaires américains (menés par le génial Udo Kier) pour soumettre les habitants du village.

 

D’une grande beauté plastique le troisième film de Kleber Mendonça Filho arrive à mêler génialement les différents genres (post-apocalyptique, chronique sociale, horreur furtive) pour finalement établir une ambiance fiévreuse de western en pleine pampa mélangeant l’archaïque et le futuriste dans une escalade de violence revancharde et implacable. La musique Night qui retentit au mi-temps du film lors d’une scène d’enterrement sous psychotropes ne doit rien au hasard : l’ombre tutélaire de John Carpenter plane sur tout le film (l’école est par ailleurs baptisée « João Carpinteiro »). Menacés de disparition, les habitants du village feront de leur invisibilité une stratégie de défense et de leur propre histoire une faculté d’attaque (le musée faisant office d’armurerie), organisant une fusillade mémorable face à une équipe d’américains puérils et arrogants considérant la guerre comme un jeu. À ce titre, le personnage de Lunga, gangster transgenre et ultraviolent organisant la résistance, fulmine de charisme et aurait mérité davantage de présence à l’écran.

 

À ce climat poisseux et explosif s’ajoute l’intransigeance du message politique (que l’on devine résonner avec la récente élection du président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro) : face à l’envahissante surveillance technologique et la logique libérale de privatisation de toutes les parcelles de vie sur terre menée par les politicards et les affairistes, Kleber Mendonça Filho montre que la communauté (village, famille, groupe) est une force, qu’elle peut se dissimuler aux yeux des puissants ou bien, si nécessaire, résister avec violence pour préserver ses traditions, sa culture et ses biens communs.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

mercredi, 25 décembre 2019

Dépression en basse altitude : An Elephant Sitting Still de Hu Bo

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Dans une grande ville du nord de la Chine cerclée de fumées charbonneuses, quatre personnages désœuvrés, atteints d’un profond mal-être existentiel se croisent, se frôlent et se confrontent le temps d’une journée brumeuse, dessinant sur la carte de la modernité industrielle les ramifications d’une mélancolie urbaine en noir et bleu.

 

Radiographiant la détresse collective de tout un pays, Hu Bo déploie une narration étirée (le film dure presque 4h) permettant de symboliser intensément la douleur de ses différents protagonistes. Que ce soit pour fuir la vengeance d’un malfrat, la culpabilité d’un amour interdit, le mépris de sa propre famille ou les remords d’avoir provoqué le suicide d’un ami, c’est le même désir de s’échapper d’un monde privé d’empathie qui n’a plus rien à offrir que de sombres destins dans des paysages morts. Et la seule évasion possible se fera en direction d’un mythe au repos apaisant (le fameux éléphant du titre). S’attardant sur les gestes, les visages et les corps – au point de rendre leur environnement flou – la mise en scène s’enroule dans une succession de plans-séquences et d’analogies métaphoriques d’une beauté crépusculaire stupéfiantes. Collant au plus près des personnages, les effleurant de manière douce, la caméra colle parfois au ras-du-sol, glissant le long de l’asphalte d’une ville tentaculaire baignée d’une lumière spectrale et froide.

 

Cette grande tristesse, cette absence totale d’amour, qui imprègne le long-métrage de Hu Bo n’est, par ailleurs, sans doute pas étrangère à l’extrême souffrance intérieure de celui-ci (bien qu’il ne faille pas réduire les qualités esthétiques du premier à l’état dépressif du second). Le jeune réalisateur de 29 ans mis fin à ses jours quelques mois après la fin du tournage. Le réalisateur hongrois Béla Tarr disait de lui : « C’était un homme impatient, dans une urgence perpétuelle. Peut-être savait-il qu’il lui restait peu de temps… Il faisait tout pour obtenir sans attendre ce qu’il voulait. Il n’acceptait pas le monde, et le monde ne l’acceptait pas. »

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

vendredi, 06 décembre 2019

Ludovic Maubreuil : « Le cinéma européen a su parler des variations de l’âme féminine à travers le parcours d’actrices singulières »

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Ludovic Maubreuil est critique et théoricien du cinéma. Il a notamment publié des essais aux éditions Alexipharmaque : « Le Cinéma ne se rend pas » (2008), « Bréviaire de cinéphilie dissidente » (2009), « Les images secondent » (2012), « Ciné-méta-graphiques » (2016), mais aussi un recueil de nouvelles « L’Égrégore rétinien » (Hypallage, 2015). Il vient de faire paraître « Cinématique des Muses » (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), soit les portraits d’une vingtaine d’égéries énigmatiques et fascinantes qui, à travers leurs carrières composites, dévoilent une autre histoire du cinéma.

Le Comptoir : Ce qui étonne en ouvrant votre ouvrage c’est que vos « muses » ne sont pas des stars, des divas de renom, mais bien plutôt des comédiennes abonnées aux seconds rôles. Pourquoi un tel choix ? Chacune d’entre elles est-elle porteuse d’un cinéma qui lui est propre ?

tina aumont,catherine jourdan,francine bergé,marie-france pisier,amanda langlet,cinématique des muses,le comptoir,sylvain métafiot,ludovic maubreuil,le cinéma européen a su parler des variations de l’âme féminineLudovic Maubreuil : Si la plupart d’entre elles ont en effet été abonnées aux seconds rôles, quelques-unes ont eu droit aux premiers, mais pour des œuvres souvent mineures, tandis que d’autres se sont limitées aux personnages de troisième ordre, voire aux courtes apparitions. Je pense là tout particulièrement à Tina Aumont. Il y avait plusieurs raisons de privilégier ces actrices-là. D’abord parce qu’elles sont sinon méconnues du moins négligées. Si Catherine Jourdan ou Francine Bergé ne disent rien à beaucoup de spectateurs d’aujourd’hui, Amanda Langlet ou Cathy Rosier sont réduites à leur présence marquante, respectivement dans Pauline à la plage de Rohmer et Le Samouraï de Melville. Quant aux actrices comme Marie-France Pisier ou Claude Jade, qui ont en revanche beaucoup tourné, on croit les avoir si bien cernées qu’elles souffrent aujourd’hui d’un désintérêt certain. Toutes ces actrices participent ainsi de ce que Léo Ferré appelait avec nostalgie, « le parfum qu’on oublie dans le bruit des odeurs ». Leur singularité splendide risque d’être recouverte par le charme commun des vedettes du moment, ou par la beauté immédiatement reconnaissable des comédiennes célèbres, laquelle, étalée aux yeux de tous, ne pose plus question.

 

La différence qu’incarnent ces actrices ne sera bientôt plus comprise que comme une aimable coquetterie, un particularisme pour esthètes, une somme de détails désuets, alors qu’elle s’avère, et c’est la deuxième raison de ce choix, la plus solide contradiction à ce que le cinéma contemporain entérine comme image incontestable de la féminité. Enfin, je voulais raviver le souvenir de ces actrices du monde d’avant, leur rendre hommage non seulement en raison de l’effacement qui les guette, mais aussi parce qu’elles me semblent toutes porteuses d’une spécificité : chacune d’entre elles a en effet poursuivi de films en films, un récit particulier et c’est à ce spectacle qu’elles nous ont conviés.

 

« Toutes ces actrices participent ainsi de ce que Léo Ferré appelait avec nostalgie, "le parfum qu’on oublie dans le bruit des odeurs". »

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mardi, 26 novembre 2019

Crise sociale, remède littéraire : Revue Zone Critique #1

Revue Zone Critique #1.pngAprès sept années d’existence en ligne, la revue Zone Critique sort son premier numéro papier dont le thème principal – et très actuel – est la crise sociale. Servie dans un écrin du plus bel effet (la mise en page, la typographie, les illustrations : tout est d’une grande finesse), la revue accorde une large place à la réflexion littéraire mais aussi à l’analyse cinématographique avec notamment des portraits de Bong Joon-ho et sa « révolte biologique » des prolétaires, Ken Loach et sa dénonciation du libéralisme économique, Lee Chang-Dong et son « thriller poétique » Burning. Mais l’on parcourt aussi la rugosité des paysages dans le cinéma de Bruno Dumont et des frères Dardennes, la sublimation du réel chez Godard ou les apories du capitalisme dans la saga Alien.

 

Côté littérature, on apprend notamment que Les Misérables de Victor Hugo est l’antithèse du roman social ; ainsi que la différence entre un roman militant (un discours univoque calqué sur une intrigue manichéenne, à l’instar des Renards pâles de Yannick Haenel) et un roman politique (saisissant la complexité des personnages, leurs contradictions, introduisant nuance et précision, comme chez Arno Bertina ou François Bégaudeau). Ce dernier, dans un long entretien, assume « la beauté et la puissance de la pensée radicale », tandis que Marion Messina appel à retrouver le sens de la beauté et de l’universel en littérature contre les « petites ambitions » de l’autofiction.

 

On y trouve également un portrait de Houellebecq en lyrique contrarié dont l’œuvre « cartographie un monde déstructuré par l’économie de marché, par la libéralisation des corps et la fragmentation du lien social » ; une analyse de l’écriture à contre-courant de l’aliénation moderne de Marc-Emile Thinez et une exégèse de la « langue virevoltante » et politique d’Alain Damasio. Céline, en « diagnosticien du social », dynamitant la langue et incorporant dans « l’écriture la rage des victimes modestes », fait face à Steinbeck et son « humanisme compassionnel », sa « pitié grandiloquent », ses grands principes et ses bons sentiments en somme. Enfin, quelques écrivains, poètes et essayistes répondent chacun à leur manière à la question d’Hölderlin : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? »

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

jeudi, 10 octobre 2019

Le théâtre de la liberté : Comrades de Bill Douglas

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Article initialement publié dans le 1er numéro de La Revue du Comptoir

 

Idéologie et cinéma font rarement bon ménage. Assujettir l’art à un objectif purement didactique, c’est le transformer en un manuel bien-pensant à destination du parfait petit militant. Dans cette entreprise de propagande culturelle, le réalisme socialiste soviétique et l’anticommunisme hollywoodien des années 1950 sont emblématiques d’un affrontement mimétique barbifiant et manichéen. Pourtant, dans les flots du cinéma politique, émergent aussi des œuvres qui savent allier avec intelligence la férocité du combat politique, l’élégance de la mise en scène et la profondeur des personnages. Parmi eux, un sommet : Comrades, de Bill Douglas, réalisé en 1986.

 

Quelques précisions liminaires. Si nous pouvons citer quelques exceptions notables du cinéma engagé (tels que Le Cuirassé Potemkine de Sergeï Eisenstein, Blitz Wolf de Tex Avery, Pluie noire de Shōhei Imamura, La Belle équipe de Julien Duvivier), il serait vain de dresser la liste de ceux qui représentent de façon emblématique non pas “le socialisme au cinéma”, mais l’empathie pour les petites gens. Tout au plus, pourrions-nous regarder du côté de certaines réalisations de Jean Renoir, Franck Capra, Costa-Gavras, Elio Petri, René Vautier, Chris Marker, Francesco Rosi, Bruno Dumont, etc. Mais c’est du côté de l’Angleterre qu’on trouve certaines des œuvres les plus saisissantes en ce qui concerne la lutte des classes. Des films de Peter Watkins à ceux de Ken Loach, en passant par Mike Leigh et Alan Clarke, la patrie de George Orwell, mère de la révolution industrielle et des crises sociales qui s’ensuivirent, est un terreau fertile à l’engagement en faveur des laissés-pour-compte de la société capitaliste.

 

Comrades a fait l’objet d’une sublime restauration en 2014 et bénéficié d’une ressortie en salles la même année. Le choix, ici, de ce film permet de donner un peu de lumière à un cinéaste quasiment méconnu en France : Bill Douglas. Humaniste, soucieux de la justice sociale, se revendiquant du socialisme utopique, il a réalisé une belle trilogie autobiographique dans les années 1970 : My Childhood (1972), My Ain Folk (1973), My Way Home (1978). Enfin, l’inactualité de l’histoire véridique narrée dans Comrades est plus intemporelle et percutante que les arguties sociologiques récurrentes des mauvais films à thèse (à ce compte-là, la France a subi – et subit toujours – son lot de films débordants de catéchisme révolutionnaire à la petite semaine). Ainsi, à cent lieues d’un certain cinéma qui, d’une “hauteur” journalistique, s’évertue à filmer de la façon la plus laide et lourde qui soit des situations purement démonstratives afin d’accréditer ses théories “transgressives”, nous préférons le lyrisme révolutionnaire qui ne sacrifie pas la beauté visuelle sur l’autel de la cause, embrase l’esprit critique et alimente la flamme de la révolte.

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samedi, 27 juillet 2019

De Palma au bal du diable

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Né en 2012, le blog collectif Zoom Arrière a pour objectif de passer en revue le cinéma de 1945 à nos jours en proposant un récapitulatif des films sortis via un classement d’étoiles et des liens vers les articles des contributeurs. À l’occasion de la sortie de leur premier ouvrage revisitant l’intégralité de la filmographie du réalisateur Brian De Palma, nous nous sommes entretenus avec le fondateur du projet, Édouard Sivière (auteur de « L’Esprit “Positif” : Histoire d’une revue de cinéma, 1952-2016 », Eurédit, 2017), ainsi qu’avec les contributeurs Vincent Roussel (auteur de « La Brigandine : les dessous d’une collection », Artus Livres, 2017) et Vincent Jourdan (auteur de « Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci »Lettmotif, 2018).

Le Comptoir : Comment est né le projet Zoom Arrière ?

Zoom Arrière, Édouard Sivière,Vincent Jourdan,Vincent Roussel,De Palma au bal du diable, Le Comptoir, Sylvain Métafiot,Édouard Sivière : Pour en expliquer les origines, il faut revenir dix ans en arrière. Sur Internet, entre 2005 et 2010, s’est fortement développée la pratique du “blogging” et une multitude de blogs consacrés au cinéma est ainsi apparue. Si certains en passaient par là pour devenir journaliste ou critique, la plupart se sont emparés de l’outil simplement pour donner leur avis, plus ou moins développé, sur les films qu’ils pouvaient voir et se sont constitués ainsi un véritable réseau. Malgré le côté “amateur”, parfaitement assumé en général, on s’est vite aperçu que dans ces espaces pouvaient s’écrire des textes dont la qualité n’avait rien à envier à ceux publiés dans la presse et que, grâce au système de commentaires, des débats enflammés et passionnants s’y déroulaient.

 

Au fil de la décennie 2010, le nombre de blogs a diminué, beaucoup ont fermé ou ralenti leur activité et les débats se sont progressivement déplacés vers les réseaux sociaux. Mais en 2012, alors que c’était encore l’effervescence, j’ai créé un blog collectif du nom de Zoom Arrière. J’ai tout simplement invité les blogueuses et blogueurs avec lesquels j’avais le plus d’échanges et celles et ceux qui me paraissaient écrire de la façon la plus intéressante, pour mener à bien un projet un peu fou : revisiter une à une toutes les années cinéma depuis 1945, en rappeler les événements marquants, proposer un tableau d’étoiles récapitulant les films sortis en salles et renvoyer vers les textes écrits sur nos blogs respectifs.

 

En animant cet espace de façon mensuelle, l’expérience avait une particularité : celle d’une fin annoncée. En effet, sept ans après le début de l’aventure, nous bouclerons la boucle à la prochaine rentrée en traitant l’année 2018. La question d’une suite à donner s’est donc posée ces derniers mois et l’idée de basculer sur une publication papier s’est peu à peu imposée. Le regroupement de nos textes est une chose à laquelle certains d’entre nous pensaient depuis un bon moment déjà. Par ailleurs, le hasard a fait que nous avons été plusieurs, ces derniers temps, à faire l’expérience d’un premier livre. Nous avons donc décidé de nous servir de la matière que nous avions sous la main pour proposer un ensemble de textes, réactualisant ceux déjà publiés sur nos blogs et en écrivant d’autres pour aboutir à un panorama complet de l’œuvre d’un cinéaste, en l’occurrence Brian De Palma.

 

« Les jugements portés sur les films de Brian De Palma dans notre ouvrage sont très divers, tout comme la façon dont ils sont abordés : dans les textes, l’approche peut être intime ou historique, fragmentaire ou très complète. »

 

Vincent Jourdan : À côté de l’idée collective, il y a aussi le désir de conserver une trace de nos écrits, pour ce qu’ils valent. Internet est un support volatil et nous sommes plusieurs à avoir eu des expériences frustrantes, fermetures de plate-forme ou de site. Les réseaux sociaux sont encore plus dans l’immédiat. Ils n’ont aucune mémoire. Revenir à un support physique, et au papier, au livre, c’est gratifiant. Ça correspond aussi à ce qui a formé nos cinéphilies, les ouvrages et les revues. Au cours de l’aventure Zoom Arrière, nous sommes effectivement plusieurs à avoir fait l’expérience de l’édition. Tout ceci participe d’un mouvement stimulant.

Sur quels critères avez-vous réunis la plupart des contributeurs au projet ?

Édouard Sivière : Pour un projet collectif de ce type, la constitution d’une équipe de rédacteurs peut vite s’avérer un casse-tête insoluble. On peut se retrouver à n’intéresser personne avec ça ou bien être débordé par les demandes de participation. Je n’ai donc pas eu à réfléchir bien longtemps : j’avais un groupe déjà constitué de personnes habituées à se côtoyer “virtuellement” depuis des années et dont je connaissais et appréciais les connaissances et la qualité d’écriture. Celles et ceux qui font Zoom Arrière papier sont celles et ceux qui ont contribué, à un moment ou à un autre, au blog Zoom Arrière. Le fonctionnement, totalement “amateur” encore une fois, s’en trouve grandement simplifié. Ce choix a une conséquence importante, et bénéfique à mon avis : nous vivons aux quatre coins de la France, généralement loin géographiquement comme professionnellement du monde du cinéma, nous venons d’horizons divers et nous avons construit notre cinéphilie chacun différemment. Nous ne voyons et n’apprécions pas forcément les mêmes films, loin de là. Zoom Arrière n’a donc rien d’une rédaction au sens traditionnel du terme, au sein de laquelle une ligne directrice serait suivie par un groupe homogène. Ainsi, les jugements portés sur les films de Brian De Palma dans notre ouvrage sont très divers, tout comme la façon dont ils sont abordés : dans les textes, l’approche peut être intime ou historique, fragmentaire ou très complète. Personnellement, j’apprécie cette variété et je pense qu’elle peut intéresser le lecteur, à qui plusieurs pistes sont proposées.

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lundi, 24 juin 2019

À la recherche du paradis français d’Éric Rohmer

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Ancien rédacteur en chef des « Cahiers du cinéma », Éric Rohmer avait, comme nombre de ses camarades cinéphiles de l’époque (Rivette, Godard, Chabrol, Truffaut), franchi la barrière de la réalisation, fusionnant le stylo et la caméra en un style d’une singularité antique au sein de la Nouvelle Vague. Épris de culture classique, filmant – dans la lignée de Rossellini et Renoir – la vie sans artifices, il réalisa contes, proverbes et comédies d’une préciosité digne du Grand Siècle. « Un paradis français intellectuel, pour reprendre les mots d’Aurora Cornu, dans lequel les garçons et les filles discutent de livres ». Nous nous sommes entretenus avec deux éminents rohmériens, Ludovic Maubreuil et Pierre Cormary – contributeurs à l’ouvrage collectif « Le Paradis français d’Éric Rohmer »(éditions Pierre-Guillaume de Roux) – pour parcourir l’éden du plus moraliste des cinéastes français.

Le Comptoir : Quel a été votre premier contact avec le cinéma d’Éric Rohmer ?

Le paradis français d'Eric Rohmer.jpgLudovic Maubreuil : Je devais avoir quinze ans, à l’occasion de la sortie en salles de Pauline à la plage (1983). Ne connaissant ni les filles ni le bord de mer, les photos colorées, dans le hall du cinéma, m’avaient captivé. J’en étais ressorti à la fois ému et désappointé : j’aurais voulu vivre dans ce film, côtoyer ces corps-là, mais en même temps je comprenais que je n’avais pas les mots pour y parvenir.

 

L’année suivante, des photos tout aussi aguicheuses me faisaient découvrir L’Année des méduses de Christopher Frank, à vrai dire bien plus simple à appréhender. C’étaient des corps aux postures sans équivoque, et des situations à ce point fabriquées que leur séduction ne pouvait qu’être à la fois violente et sans mystère. Il ne s’agissait que d’images filmées, qui ne m’incluaient en aucune manière dans leur récit. C’était finalement rassurant. Je me suis perdu pendant une dizaine d’années dans la sidération procurée par le cinéma formaliste, qui n’exigeait rien d’autre de moi que la reddition fascinée. Et puis j’ai vu un jour qu’Amanda Langlet, l’interprète de Pauline, était à l’affiche d’un autre film de jeunes filles et de bord de mer, et c’était Conte d’été (1996). J’y suis entré à tout hasard, mais cette fois je n’ai pas ressenti la frustration d’être mis à l’écart du film, car celui-ci peignait avec une évidence tranquille, l’aveuglant réalisme psychologique de ma propre existence ! La forme n’y cherchait pas à masquer quoi que soit, mais au contraire à porter avec le plus d’élégance possible, la vérité des sentiments, la justesse des interactions, l’authenticité du regard. C’est alors que je suis devenu rohmérien. J’ai tiré sur le fil de la vérité, comme dirait l’autre, et tout est venu ; je n’ai plus manqué un seul de ses films.

 

Pierre Cormary : Ce devrait être à l’époque de la sortie de Conte d’été en 1996, j’avais vingt-six ans. Je ne connaissais pas du tout Rohmer et en avais, par ouï-dire, une assez mauvaise opinion, celle d’un cinéma verbeux, artificiel, affreusement mal joué, avec des personnages imbuvables. Et puis, je suis tombé sur la bande-annonce de ce film et tout de suite j’ai été fasciné. Ces jeunes gens qui glosent sur la plage. Ces paroles qui semblent détachées de ceux qui les prononcent. Ce mélange de documentaire et de théâtre précieux. Quelque chose d’immanent, d’épiphanique, d’ultra-vrai se produisait sur l’écran. Je n’avais jamais vu ce genre d’image – ou mieux ce genre de paroles en images, car il s’agit bien de ça chez Rohmer : “voir la parole”. Je suis donc allé voir ce film et j’en suis ressorti comme un ado qui a vu un Spiderman et qui se dit que Spiderman, c’est lui. Gaspard (Melvil Poupaud), c’était moi, verbeux, artificiel, jouant mal mon propre rôle auprès des filles et peut-être imbuvable ! Dès lors, j’ai découvert ses autres films et me les suis tous appropriés. Il suffit que je revoie quelques images de l’un ou de l’autre pour me sentir immédiatement “chez moi”. Et pourtant, le sentiment d’étrangeté est resté jusqu’à aujourd’hui. Il y a quelque chose de très décalé, d’inconnu entre “lui” et “moi”. Comme si, même en le connaissant par cœur, on ne s’y habituait jamais. C’est le cinéma le plus proche et le plus lointain que je connaisse.

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jeudi, 11 avril 2019

Olivier Maillart : « Nous sommes toujours des spectateurs à l’intérieur et en dehors des salles de cinéma »

Énigmes cinéma, Le Comptoir, Sylvain Métafiot, Olivier Maillart, Nous sommes toujours des spectateurs à l’intérieur et en dehors des salles de cinéma,

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Co-directeur du « Dictionnaire du cinéma italien«  (Nouveau Monde Éditions, 2014), Olivier Maillart est aussi l’auteur d’une étude sur « Lola Montès«  de Max Ophuls (Éditions Atlande, 2011), et contribue régulièrement aux revues L’Atelier du Roman, Philitt et L’Inconvénient. Il vient de publier « Énigmes, cinéma » aux éditions Marest, un intriguant petit essai qui interroge notre désir de déceler derrière chaque image un sens caché, derrière chaque symbole un mystère à résoudre, comme à la recherche d’un trésor perdu que seuls des yeux exercés à la scrutation minutieuse des photogrammes pourraient découvrir. Une quête éperdue de l’interprétation filmique, faisant naître un « dialogue esthétique entre le monde, l’œuvre d’art et celui qui vit dans le premier et contemple la seconde », et dans laquelle nous ne cessons de nous perdre.

Le Comptoir : En quoi le cinéma serait-il une énigme ? À première vue, il n’y a rien de plus plat et de plus explicite qu’une image projetée sur un écran. Y aurait-il forcément un sens caché qui échappe au spectateur, un secret derrière la porte pour reprendre le titre d’un film de Fritz Lang ?

Énigmes cinéma, Le Comptoir, Sylvain Métafiot, Olivier Maillart, Nous sommes toujours des spectateurs à l’intérieur et en dehors des salles de cinéma,Olivier Maillart : Il n’est pas sûr que le cinéma soit en lui-même une énigme. Cependant, sa manière de nous restituer le monde est bien souvent susceptible de faire de ce dernier quelque chose d’énigmatique, affichant signes et symboles à déchiffrer. Le cinéma capte, enregistre et restitue (partiellement, mais d’une manière étonnamment convaincante pour nos sens) le monde, sous la forme d’une image animée, projetée sur une surface plane, qui mime la réalité. Cependant, ce que vous prenez pour quelque chose de « plat » et d’ »explicite » ne l’est à vos yeux que parce que vous avez appris à la lire, dès votre plus jeune âge, de manière largement inconsciente. Songez au héros des Carabiniers de Godard qui, devant l’image d’une femme prenant son bain, essayait de pénétrer l’écran pour l’y rejoindre ! Le cinéma, comme tout art et tout langage, demande un apprentissage. Un apprentissage à la lecture d’image, qui rejoint notre habitude (largement inconsciente, elle aussi) de la lecture des signes que la vie en société nous envoie en permanence. Nous sommes toujours, pour partie, où que nous soyons, des spectateurs, à l’intérieur et en dehors des salles de cinéma. Mon livre s’efforce de réfléchir à cette situation qui ne cesse de m’étonner, et de m’émerveiller.

 

« Le cinéma, comme tout art et tout langage, demande un apprentissage. »

Pourquoi faire de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock le « le film par excellence de l’homme qui regarde, du monde comme énigme », davantage que d’autres films où excelle la pulsion scopique, tels Psycho du même Hitchcock, Le Voyeur de Michael Powell ou Le Locataire de Roman Polanski ?

La différence entre Fenêtre sur cour et les autres films que vous mentionnez me semble assez facile à cerner : le personnage incarné par James Stewart, rivé à son fauteuil (il a la jambe dans le plâtre) à la suite d’un accident, est réduit à son seul regard. Il n’est plus qu’un regard, pourrait-on dire en forçant un peu le trait, ce qui n’est pas le cas des autres personnages que vous évoquez. Stewart doit déléguer en permanence, demander de l’aide pour la moindre action. C’est sa fiancée, jouée par Grace Kelly, qui pénétrera dans l’appartement du meurtrier à sa place. Et lorsqu’il sera menacé, c’est avec le flash de son appareil photo qu’il se défendra, après avoir passé toute la durée du film à s’identifier à ses jumelles. Il est, décidément, le meilleur « homme-regard » qu’on puisse imaginer.

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