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dimanche, 25 août 2013

Cinéma : le grand spectacle contre-attaque

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

La sortie de Pacific Rim de Guillermo del Toro, avec ses batailles de robots et de monstres à grands coups de sous-marin, nous a amené à nous poser une petite question : jusqu'où le cinéma hollywoodien contemporain est-il prêt à aller pour nous offrir du « grand spectacle » ?

 

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Deux hommes capables de monter des projets dantesques sur leur simple nom (les films qu'ils ont réalisés – on ne compte donc pas Star Wars V et VI pour Lucas – ont rapporté plus de 5,8 milliards de dollars dans le monde) qui tirent (presque) la sonnette d'alarme. Non pas pour annoncer un désastre – tout cinéaste qu'ils sont, ce sont aussi des businessmen capables de s'adapter aux règles du marché – mais pour décrypter le vent du changement. En effet, derrière les phrases choc, on retiendra le constat. Hollywood produit, à grands coups de centaines de millions de dollars, de plus en plus de remakes (Total Recall, récemment), de suites (Iron Man 3), de prequels (Monstres Academy), de reboots (The Amazing Spider-Man) ou encore de suites de remakes (The Hills Have Eyes II) ou de suites de reboots (The Dark Knight) et des adaptations de comics. Très souvent, le budget de production des films atteint les neuf chiffres. Et lorsque l'un d'eux se plante, l'addition est salée. Le flop de Battleship, « touché-coulé avec Rihanna » en gros, a coûté 150 millions de dollars à Universal Pictures.

 

Pourtant, la tendance continue, et les studios auraient tort de se priver. En 2012, The Avengers, un film qui a coûté près de 300 millions de dollars, en a rapporté 1,8 milliards à travers le monde (sans compter les produits dérivés, licences et autres réjouissances). Cette année, Iron Man 3 tutoie les scores de son prédécesseur. Les succès rachètent les échecs, et permettent aux producteurs de gagner du temps.

 

Et de toujours proposer encore plus d'effets spéciaux, de relief et de destructions massives. Dans un marché qui voit désormais la télévision câblée et gratuite, les pure-players de l'Internet et les sites de téléchargement en tout genre proposer un catalogue infini de contenus de qualité, le cinéma, un vieux réflexe, surenchérit dans le spectaculaire. Le langage marketing a même définitivement lié « expérience de la salle de cinéma » avec « prouesses techniques », en accumulant sur les affiches de poussifs « événement » ou « 3-D hallucinante ». Les liens entre le grand-spectacle et le Septième Art existent bien. Uniquement pour le pire ? Retour sur ce qui fait d'un certain type de cinéma un réceptacle pour les excès les plus fous.

 

Attraction et technologie

 

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Dans les années 1920-1930, la volonté de grandiose se retrouve aussi dans l'architecture des salles de cinéma. C'est à cette époque que les premiers movie palaces se construisent à travers l'Europe et les États-Unis. Accueillant des centaines de personnes dans leurs murs, ces cinémas d'un nouveau genre remplacent les vieilles salles décrépites, et offrent luxe, confort et grooms. Ouvert le 11 janvier 1933, le Radio City Hall de New-York peut accueillir près de 6 000 personnes dans sa grande salle, dédiée au cinéma, à l'opéra et aux comédies musicales – le bâtiment ne projette plus de films aujourd'hui. Los Angeles voit pousser le Grauman Chinese Theater, toujours debout, et l'Egyptian, qui loge désormais la cinémathèque de la ville. Les références culturelles exotiques donnent un cachet particulier à ces grandes salles, destinées à transporter les spectateurs dans un nouveau monde pour deux ou trois heures de films. Fréquentées par la riche bourgeoisie qui occupait encore les centre-villes avant la Grande Dépression, ces salles faisaient partie intégrante de l'expérience cinématographique. Des années plus tard, l'émergence des multiplexes au plus près des banlieues cossues suivra ce modèle, en accentuant les prouesses technologiques (sièges de stade, écran panoramique, son fidèle, etc.), au grand dam de la décoration, cantonnée à un triste gris et à des lignes désespérément raides.

 

Mais qu'importe, le home-cinema peut recréer chez vous l'ambiance d'une véritable salle ! La popularisation des systèmes Dolby Digital 5.1 et de la Haute-Définition a permis aux vendeurs de DVD et de Blu-Ray de promettre une expérience à la maison aussi époustouflante qu'en salle. La surenchère récente pour pousser à l'achat de téléviseur en 3D-relief, en attendant la 4K (une définition 4 fois supérieure à notre HD actuelle), montre surtout que le marché de la salle et de la consommation de contenus à la maison avance main dans la main. Le souci des constructeurs étaient d'assurer aux consommateurs une profusion de contenus 3D visibles chez soi. Et ils s'appuyaient sur la nouvelle vague de films en relief pour convaincre les clients, avec l'exemple ultime : Avatar. Malgré ces efforts, les chiffres ne sont pas au rendez-vous, et si on prévoit une poussée des ventes dans les années à venir, la raison est simple : tous les téléviseurs seront équipés de la technologie 3D.


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Ils sont également présents, ces superlatifs, lorsque la couleur arrive en grand pompe sur les écrans. Après quelques essais peu fructueux dans les années 1910 et 1920, Herbert Kalmus sort une caméra capable de capter en couleurs, la Technicolor Trichrome. L’une des fondations de l’installation et de la popularisation du procédé dans les salles de cinéma reste Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz, sommet du film d’aventures, avec Errol Flynn et Olivia de Havilland. Avec Blanche-Neige et les Sept Nains (David Hand, 1937), Autant en emporte le vent et Le Magicien d’Oz (tous deux de Victor Fleming, 1939), il installe durablement l’idée que la couleur est associé au cinéma, et qu’elle apporte une nouvelle dimension à l’expérience.

 

Mais ce que le son et la couleur impriment dans l’esprit des spectateurs, c’est que l’avancée technologique va de pair avec le spectacle. En placardant « Vitaphone », « Technicolor » sur les affiches, Hollywood renouvelle son produit, mais surtout, garantit au spectateur un divertissement neuf, jamais vu et sensationnel. La même technique que lorsque La Tunique fut projeté en Cinemascope, « le miracle moderne que l’on voit sans lunettes » – petite pique à la vague de films en relief qui sortent à partir de 1952. Une fois de plus, le marketing associe spectacle et progrès technologique, et attire le chaland, qui, de plus, a installé, au début des années 1950, la télévision dans son salon, et peut se connecter à un flux ininterrompu de programmes. Pour amortir la chute du box-office, le cinéma se doit de réinventer sa manière d’impressionner, d’en mettre plein la vue, pour se démarquer et convaincre qu’Hollywood est le lieu où le spectacle est roi.

 

Au fil des années, le triptyque technologie/spectacle/cinéma se renouvelle au rythme des avancées scientifiques. La 3D-relief revient dans les années 1980, avec des pépites comme Les Dents de la mer 3D ouVendredi 13 3D, à l’heure où le câble fait son entrée dans les salons, avec HBO. Puis, ce sont les effets spéciaux qui prennent le dessus, avec deux étapes cruciales. Terminator 2 repousse les limites visuelles de l’industrie en proposant un morphisme convaincant et en parvenant à modéliser le métal liquide. Jurassic Park, en plus d’introduire le format de son DTS dans les salles, repose sur un grand nombre d’effets spéciaux conçus sur ordinateurs. La sortie de Toy Story en 1995 est un autre pas vers un avenir encore plus spectaculaire, alimenté par la motion-capture (Le Pôle Express, Final FantasyLes Aventures de Tintin – Le Secret de la Licorne), et le High-Frame Rate, le passage de 24 à 48 images par secondes sensé fluidifier la narration, de Le Hobbit.

 

L’innovation avance. Mais l’important demeure pour les cinéastes de s’approprier cette innovation. Et d’en faire quelque chose d’artistiquement viable.

 

Dérive du tout spectacle et appropriation des auteurs

 

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Que ce soit par paresse ou par incompétence, toujours est-il qu’en négligeant le scénario, la direction d’acteurs, la précision de la mise en scène, la photographie, etc., et en se reposant uniquement sur les extravagantes possibilités de la technologie, certains réalisateurs en viennent à sacrifier leur âme d’artiste sur l’autel du conformisme. Image clichée certes, mais les images ont du sens – comme nous le verrons plus bas – et à celle-ci s’ajoute le fait que les cinéastes conformistes croient réellement se démarquer en proposant une vision innovante de leurs œuvres (le récent Man of Steel en est une parfaite illustration). Une telle avalanche d’effets visuels, de 3D et/ou d’IMAX semble ainsi masquer un manque cruel d’inspiration chez les scénaristes, producteurs et réalisateurs. Rares sont les cinéastes ayant le talent d’un Godard, d’un de Palma ou d’un Howard Hawks pour travailler la matière purement formelle d’un long-métrage, parfois même sans scénario prédéfini.

 

Néanmoins, certains réalisateurs ont su tirer parti des avancées technologiques pour élaborer des films qui sortent réellement de l’ordinaire. Dès les années 1950, quand le Cinemascope débarque, certains cinéastes s’emparent du nouveau format pour évoquer leurs angoisses et affiner leur science de la mise en scène. Elia Kazan, dans À l’est d’Eden, exploite tout le pouvoir d’abstraction du format 2.35:1 (pour une unité de hauteur, l’image fait 2,35 unités de largeur) en faisant pivoter sa caméra et cadrant de manière oblique le personnage de James Dean, en proie à la panique et au doute. Plus subtil, Nicholas Ray met en scène James Mason en géant menaçant dans l’incontournable Derrière le miroir, où l’Anglais interprète un professeur sans histoires qui devient accroc à ses anti-douleurs, jusqu’à bousculer son équilibre mental. Deux décennies plus tard, Francis Ford Coppola use et abuse du format large pour son opéra militaire, Apocalpyse Now. Ici, le scope sert à dépeindre l’immensité du chaos asiatique, avec ses danses d’hélicoptère. Tout comme Ray et Kazan, chez Coppola, puis plus tard chez Michael Cimino dans Les Portes du paradis, les codes du gigantisme tordent le cou aux attentes spectaculaires en mettant en avant la face cachée du spectacle : la corruption, la folie et la mort.

 

Aujourd’hui, Christopher Nolan, qui a su redonner un souffle épique à la saga Batman, fait preuve d’ambitions similaires dans The Dark Knight. Ce sont avant tout une densité politique, la paranoïa paranoïaque et des personnages au bord du gouffre que le metteur en scène impose dans son spectacle destiné aux masses, notamment via la figure nihiliste du démentiel Joker. Riant de voir le monde brûler, le Joker théorise le chaos du terrorisme actuel, la crainte de l’hyperviolence urbaine et mondialisée. Une analogie développée par Matthias Stork, un jeune réalisateur allemand étudiant à l’université de Los Angeles, qui considère que le film d’action (genre phare du cinéma spectaculaire) a basculé, depuis quelques années, dans « le cinéma du chaos ». D’après lui, le cinéma des années 2000 aurait opéré un tournant musclé en accélérant le rythme des scènes et les coupes, en multipliant les caméras à l’épaule pour donner davantage de réalisme, en resserrant les plans. Au réalisme des films d’action classiques succède ainsi l’hyperréalisme chaotique de films s’inscrivant dans le terrifiant désordre mondial – à croire que les temps anciens n’ont jamais été mouvementés… Plus prosaïquement, le vrai travail du réalisateur semble avoir transité du plateau au studio de montage. Il convient de garder le spectateur attentif, il faut lui en mettre plein les yeux, les oreilles, les narines et autres orifices insoupçonnables. Une scène aussi longue (cinquante minutes !) et belle que celle du bal dans Le Guépard, de Luchino Visconti, semble inimaginable désormais. Pourtant, que ce spectacle du temps qui détruit tout est d’une beauté incomparable !

 

Ainsi, si la matière principale du metteur en scène arrive en post-production, rien d’étonnant à constater l’émergence de la performance-capture, ce procédé d’enregistrement des mouvements d’acteurs, mouvements ensuite appliqués à un personnage de synthèse. Procédé utilisé dans de nombreux jeux vidéo (de Fifa 13 à L.A. Noire), il nous a donné Les Aventures de Tintin – Le Secret de la Licorne, ainsi que trois films de Robert Zemeckis (Pôle ExpressBeowulfLe Drôle de Noël de Mr. Scrooge), sans parler du vieux Brad Pitt deL’Étrange Histoire de Benjamin Button et les faux jumeaux Winklevoss dans The Social Network, tous deux du même David Fincher. Cette avancée technologique drague avec elle l’idée de dépendance quasi-totale à la technique. Quand le studio Pixar utilise les images de synthèse pour l’émerveillement, Ari Folman met en garde contre l’hallucination dans Le Congrès, où l’actrice Robin Wright, jouant son propre rôle, est scannée par un studio puis sommée d’abandonner son métier. Dans un monde où le virtuel règne, la chair disparaît.

 

Mais le crayon fait de la résistance. Il suffit, pour s’en convaincre, de prêter un œil attentif vers l’Est, en direction du célèbre studio Ghibli où opère un des génies du dessin-animé « à l’ancienne », Hayao Miyazaki. Foin de folies technologiques à base de photoréalisme visuel, la grâce du crayon sur le papier suffit pour insuffler une poésie rarement égalée dans le monde de l’animation. Citer tous ces chefs-d’œuvre serait vain. Mais penser le cinéma sans le raccorder au monde dans lequel il s’exprime rend l’analyse imparfaite.

 

L’image pensante

 

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Debord a souvent eu raison, trop sans doute. Les vérités jaillissant de sa critique radicale de la société demeurent encore difficilement palpables. Néanmoins, sa mélancolique lucidité n’a eu d’égal que son pur aveuglement (pour ne pas dire son aveuglement puritain) envers le cinéma, coupable, selon lui, de ne pas penser, d’abrutir les foules et de réduire nos corps en machines lobotomisées. Pourtant, si certains films correspondent parfois à cette violente définition (qui a dit Uwe Boll ?), l’horreur n’est pas le cinéma comme spectacle, mais le cinéma RÉDUIT à sa seule gamme spectaculaire.

 

À accorder toute confiance au cerveau, on en oublie que l’œil pense et que les images du cinématographe nous permettent paradoxalement d’échapper au phénomène de « spectacularisation » de la société. Filmés grâce au Technicolor, Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger, et Fenêtre sur courd’Alfred Hitchcock, ne comptent-ils pas parmi les plus beaux films offrant une profonde réflexion sur l’abîme du spectacle ? Network, de Sidney Lumet, n’est-il pas le meilleur antidote contre le spectacle des médias ? Hitchcock n’affirmait-il pas que la mise en scène est moins une « direction d’acteurs » qu’une « direction de spectateurs » ?

 

Si le progrès technologique et son cortège de gadgets semblent inéluctable, son appropriation par les auteurs l’est également, de 1895 à nos jours, sans exceptions. Si certains génies rachètent, par leur œuvre, toute la bassesse de l’humanité, ils permettent également de nous affranchir du spectacle aliénant de la société en nous offrant généreusement celui de la petite lucarne. En cela réside l’espoir d’un Septième Art non complètement soumis aux impératifs normatifs d’un spectacle assourdissant et sans rêve. La joie d’un cinéma spectaculairement audacieux. Il faut imaginer le spectateur heureux de se faire dévorer par le feu des images.

 

Boîte noire

 

Benoit Marchisio & Sylvain Métafiot

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