Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 12 août 2014

À rebours avec Huysmans

 

« C'est l'histoire d'un misanthrope qui se coupe du monde pour se nourrir de son propre fonds (l'histoire d'un homme assis, dira-ton, à la manière d'André Gide). C'est aussi l'histoire d'un malade que sa névrose contraint à vivre en vase clos. L'histoire d'un aristocrate en rupture avec ses contemporains qui se consacrent au culte de l'argent. L'histoire d'un esthète qui amasse des valeurs dont il perçoit les dividendes sous les espèce d’œuvres d'art et d'ouvrages littéraires. L'histoire d'un amateur d'autres mondes, qui s'exile derrière le miroir afin de se laisser porter par ses rêveries, ses rêves, ses souvenirs ou ses réflexions. Ou encore celle d'un homme qui, ayant la conviction de vivre une période de « décadence », l'incarne dans son propre corps, dans chacun de ses goûts, chacune de ses activités, transformant une conception de l'Histoire en art de vivre. »

Présentation de Daniel Grojnowski

Lire la suite

jeudi, 14 novembre 2013

Natacha Vas-Deyres : « Derrière la science-fiction française, il y a une réflexion politique »

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Cloud Atlas, Elysium, Pacific Rim, Oblivion, After Earth : la science-fiction a fait son grand retour dans les salles obscures entre la fin de l’année 2012 et la première moitié de 2013. La qualité des productions varie, mais l’engouement d’Hollywood est bien présent. En France ? En France, pas grand-chose. Et pourtant, science-fiction, utopie, contre-utopie ou dystopie ont une longue histoire de ce côté-là de l’Atlantique, cantonnée la plupart du temps, faute de moyens ou d’ambition, à la littérature. Natacha Vas-Deyres est professeur de littérature générale à l’université Bordeaux 3 et spécialiste de la littérature utopique et de la science-fiction. Pour comprendre ce pan fondamental de la culture, nous l’avons interrogée sur l’importance de la création française sur la scène science-fictive internationale et sur les différences intrinsèques entre les critiques formulées par les auteurs français et anglophones.

 

Le genre post-apocalyptique, sous-genre de la science-fiction, trouve ses racines dans la littérature française avec La Planète des Singes de Pierre Boule et Malevil de Robert Merle. Quelle est la place de la veine française dans l’essor de cette thématique devenue centrale dans la culture ?

anticipation,asimov,ayerdhal,contre-utopie,définition,fiction,film,fourrier,guide,jeu vidéo,jules verne,k dick,littérature,livre,manga,natacha,natacha vas-deyres,pierre boule,post-apocalyptique,roman,science,science fiction,sélection,sf,top,utopie,vas deyres,sylvain métafiot,julien cadot,ragemagD’abord, première remarque, le post-apocalyptique existe bien avant Malevil et la Planète des Singes. Cinquante ans avant ces deux romans, vous avez déjà du post-apocalyptique. On peut citer par exemple deux écrivains qui ont publié la même année, en 1925 : José Moselli avec La fin d’Illa et Les Hommes frénétiques d’Ernest Pérochon. On a de l’apocalyptique puisqu’il y a l’explosion de l’arme qui est décrite, par exemple dans Les Hommes frénétiques, c’est ce qu’on appelle le « rayon féérique ». On est en 1925, à l’orée des recherches sur le radium et donc bien sûr, ce rayon est une métaphore pour ces recherches : elle est ce que pourrait devenir le radium. Il y a une gigantesque guerre mondiale et le rayon détruit toute la planète. C’est une autodestruction totale de toutes les populations : le rayon va rendre stérile toute la population qui va sombrer dans la décadence. C’est un thème des années 1920 et 1930 qui est beaucoup décliné en France. Il va y avoir finalement deux enfants survivants, naïfs, qui vont reconstruire une sorte d’utopie régressive, une nouvelle genèse : plus d’institution, de vie politique ou de recherche scientifique.

 

Dans La fin d’Illa, c’est vraiment l’explosion de ce qu’il appelle la « Pierre Zéro », une arme cataclysmique qui a détruit une civilisation très ancienne. Dans les années 1920, on la retrouve sur Terre et, malencontreusement, la bonne du scientifique qui la retrouve appuie sur un bouton sans savoir ce qu’est la Pierre Zéro et tout explose.

 

En 1937, vous avez aussi Quinzinzinzili de Régis Messac où ce sont des bombes à base de gaz hilarant. L’histoire se passe en 1934 : l’auteur anticipe sur la marche à la guerre qui va conduire à la Seconde Guerre mondiale et anticipe bien sûr sur ce qu’il s’est passé dans le Pacifique. Toute la population est détruite sauf un groupe d’enfants avec un adulte. Ce groupe va littéralement sombrer dans la barbarie : on est dans la régression totale. Le post-apocalyptique est donc bien né en France dans les années 1920.

 

Et c’est un constat mondial ou il est apparu ailleurs en même temps ou avant ?

C’est plus complexe aux États-Unis. En France, on a déjà un regard négatif sur la science, d’abord parce qu’on a subi la Première Guerre mondiale dans laquelle les armes chimiques ont joué un rôle prépondérant. On a déjà un regard méfiant sur la science. Aux États-Unis, il n’y a pas eu la guerre et on a une confiance absolue dans le progrès scientifique, technologique et dans le développement du nucléaire. Les Américains sont les premiers d’ailleurs qui ont créé l’arme nucléaire. Ils n’avaient pas cette méfiance-là et donc la science est très bien perçue dans la science-fiction américaine dans les années 1920. Il y avait une confiance, ce n’est pas du tout le même contexte.

 

D’ailleurs, quelles influences ont eu des auteurs utopiques français comme Cyrano, Mercier, Fourrier, etc., sur les utopies littéraires anglaises et américaines ?

Difficile de répondre ! On ne sait pas véritablement si les auteurs américains ont connu cette littérature. Il faut les distinguer des anglais d’ailleurs. Chez les Français, l’influence est manifeste – c’est une position critique, tout le monde ne la défend pas. Je pense qu’il y a une veine littéraire française qui court depuis un ferment utopique, depuis les auteurs que vous avez cités. Cette veine va se poursuivre tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle. En Angleterre, celui qui va changer la donne, c’est Wells. Il va fonder l’anticipation à partir de l’utopie parce qu’outre-Manche, les auteurs sont beaucoup plus influencés par des Américains comme Poe et l’on est bien plus dans le gothique littéraire. Ne pas alors oublier Shelley et son Frankenstein : c’est une œuvre de science-fiction d’ambiance gothique ! C’est un fait scientifique avéré, le docteur Frankenstein qui va faire des expériences, c’est-à-dire ranimer une personne qui a été recousue à partir de cadavres. Et il va utiliser la force électrique pour donner la vie. On le considère souvent comme du fantastique, c’est totalement faux. C’est un fait rationnel.

 

 anticipation, asimov, ayerdhal, contre-utopie, définition, fiction, film, fourrier, guide, jeu vidéo, jules verne, k dick, littérature, livre, manga, natacha, natacha vas-deyres, pierre boule, post-apocalyptique, roman, science, science fiction, sélection, SF, top, utopie, vas deyres, sylvain Métafiot, Julien Cadot, ragemag,

Isaac Asimov

 

Alors en quoi pourraient se distinguer les utopies françaises de celles des autres pays, les anglophones, mais aussi l’Italie ou l’Allemagne ?

En France, il faut bien distinguer ce qui appartient à la littérature utopique de ce qu’on appelait les « voyages extraordinaires », comme ceux de Jules Verne dans les années 1860. À la fin du XIXe et jusque dans les années 1920, il y avait aussi ce que l’on appelait le « merveilleux scientifique en France », on pense à Maurice Renard. Les modèles utopiques vont se dissoudre dans ces espèces de sous-genre. En France on ne parle pas de science-fiction : on n’en parlera qu’à partir des années 1950. Aux États-Unis, c’est Hugo Gernsback, qui a commencé ses premiers magazines comme Modern Electrics en 1919, qui, à partir de 1926, va fonder Amazing Stories en disant à ses auteurs d’écrire ce qu’il appelle de la « scientifiction ». Cela consistait en l’écriture d’histoires de science fiction à partir d’un fait scientifique, voilà le cahier des charges. Le terme ensuite va entrer dans une détermination générique avec d’autres revues et devenir de la science-fiction. En France, on va réutiliser ce terme pour dire « science-fiction française ».

 

Pour ce qui est de l’utopie, elle se dissout dans tous ces sous-genres : il n’y a plus alors d’utopie à proprement parler, pour une raison politique. On est à ce moment-là, dans les années 1920 en Europe, dans la réalisation du socialisme. Il faudra attendre la fin de la période stalinienne pour avoir les premières critiques qui montreront comment, in fine, l’utopie réelle tourne au cauchemar.

 

Quelles différences entre utopie politique, utopie programmatique, utopie littéraire, utopie régressive, etc. ? Une rapide typologie est-elle possible ?

La question concerne les domaines dans laquelle l’utopie va s’appliquer. Partons de la base : Utopia de Thomas More en 1515 est une utopie politique. Le modèle originel de l’utopie c’est l’utopie politique. On va réfléchir au meilleur système de gouvernement, c’est d’ailleurs le sous-titre d’Utopia. Nous sommes au XVIe siècle et More est quelqu’un de dérangeant, même si ce n’est pas à cause d’Utopia qu’on lui coupa la tête. On réfléchit donc à la meilleure forme de gouvernement possible et de là on va imaginer la meilleure société possible pour les individus. Ça c’est l’utopie programmatique : on va imaginer un programme social pour faire évoluer les individus.

 

L’utopie littéraire est sur un autre plan. Également créée par Thomas More même si certains la font remonter à la description de l’Atlantide dans La République de Platon. Mais ce n’est pas une utopie littéraire, contrairement et éventuellement au Banquet. Ce n’est pas le même genre que celle inventée par Thomas More. Il faut attendre une réflexion des temps moderne (XVIe siècle) pour réfléchir à ce qu’est l’utopie. C’est vraiment le marqueur civilisationnel de la modernité historique. L’utopie littéraire est donc un texte de récit. Cela dit, même littéraire, Utopia de More est un texte statique, il n’y a pas d’aventure, c’est descriptif. L’utopie littéraire se caractérise par un récit et une narration. Il faudra donc attendre H. G. Wells, et son Utopie moderne en 1905, pour avoir cette mise en marche de l’utopie statique vers un vrai récit littéraire au sens strict du terme. À partir des années 1890 l’utopie va donc complètement intégrer la science-fiction, la littérature d’anticipation, etc., et va devenir un vrai récit.

Lire la suite

samedi, 14 septembre 2013

Nous autres, enfants de la totalité


Article initialement paru sur RAGEMAG


Si Thomas More a créé l’œuvre utopique archétypale avec Utopia, le Russe Evguéni Ivanovitch Zamiatine peut être considéré comme son pendant contre-utopique avec Nous autres. La première grande contre-utopie du Xxe siècle est un monument de science-fiction politique, l'incarnation d'une nouvelle et radicale dimension romanesque contre le mythe du progrès.


utopie,contre-utopie,dystopie,nous autres,enfants de la totalité,evguéni ivanovitch zamiatine,thomas more,sylvain métafiot,ragemag,science-fiction,méphis,totalitaire,téléologie,révolution,lavage de cerveau,libertaire,etat unique,bienfaiteur,roman,george orwell,aldous huxley,1984,le meilleur des mondes,intégral,taylor,1917,transparenceAvant tout, quelques mots sur l'auteur, cet ingénieur russe qui donna ses « lettres de noblesse » ainsi que son essor au genre contre-utopique. Dans ses premiers écrits, Zamiatine, se livre à une description réaliste de la petite bourgeoisie. Ancien bolchevique, membre du Parti Social Démocrate, ayant participé avec enthousiasme à la révolution russe de 1905, persécuté par la police tsariste, il se détourne radicalement de la Révolution en 1917. Zamiatine est proche des frères Sérapion, un groupe littéraire formé à Petrograd en 1920-192 s'inscrivant dans le processus de renaissance de la prose, après les années de prépondérance de la poésie, et de recherche de voies nouvelles pour la littérature russe. Zamiatine est nommé conférencier à la Maison des Arts, où étudient et vivent les membres de la Fraternité. Comptant encore quelques amitiés et certains appuis intellectuels (Maxime Gorki), il fuit son pays en 1931 pour rejoindre Paris.


Retour au livre. Nous sommes au XXXVIème siècle, l’État unique règne sur une société parfaite, celle de la « dernière révolution », une ville monde où ni le plaisir ni la misère n'existent. Au sommet se trouve le Bienfaiteur (numéro d’entre les numéros), sinistre anticipation du stalinisme et caustique analyse de ce que, déjà, en 1920 recèle le système bolchevique. Le grand Guide est ainsi réélu tous les ans à la même date à l’unanimité et impose l’Harmonie à tous ses membres. L’ironie contre-utopique est de mise : là où règnent l’inversion et le faux-semblant, le Bienfaiteur est celui qui élimine les opposants, de la même façon que le « Big Brother » d’Orwell incarne l’espionnage et la répression.

Lire la suite

mardi, 29 mai 2012

Que peut la littérature ?

Maison du Livre.jpg

 

À l’occasion des 6ème Assises Internationales du Roman à la Villa Gillet de Lyon, il ne semble pas incongru - surtout à une époque où l’on considère souvent l’art en général et la littérature en particulier comme de simples divertissements - de se demander qu’est-ce que la littérature ? Ou plutôt, et pour se démarquer du célèbre texte de Sartre : que peut la littérature ?


Plutôt qu’une bête réponse personnelle et sans saveur, je préfère laisser la parole à quatre auteurs remarquables : Juan Gabriel Vàsquez, Jérôme Leroy, Simone Weil et Pierre Jourde (mais aussi et indirectement : Stendhal, Gide, Genet, Fuentes, Vargas Llosa, Proust, Gautier, Pasolini, Breton, Garcia Màrquez, Littell, Ellroy, Primo Levi). Quatre réponses pour le prix d’une ! Ou une réponse en quatre parties, comme vous le sentez.

 

Tout d’abord, un texte de l’écrivain Juan Gabriel Vàsquez, Romans et cicatrices, qui, à l’occasion d’une table ronde sur la corruption et la violence politique, interroge les liens (mais surtout les différences !) entre politique et littérature :

 

Les mots de nos morts sont plus précis que les nôtres, sans doute parce qu’ils sont chargés de temps, qu’ils ont de l’expérience ou que leur sens a été modifié par l’expérience. Ceux que j’ai à présent en tête figurent dans La Chartreuse de Parme, chapitre XXIII. Je les ai déjà cités plusieurs fois et je crains de ne pas avoir été le seul. Stendhal écrit : « La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. » Et il ajoute : « Nous allons parler de fort vilaines choses, et que, pour plus d’une raison, nous voudrions taire. »

Lire la suite