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dimanche, 18 août 2013

Solange Bied-Charreton : « L'individu contemporain est un enfant gâté insupportable. »

 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

Dans son premier roman, Solange Bied-Charreton fait un compte-rendu acide de l’inconsistance d’une génération post-moderne qu’elle juge composée d’individus gâtés, égocentriques et insupportableséblouissant d’une lumière noire les illusions de cette société désœuvrée et narcissique. Une auteur qui semble faire sienne l'exigence nietzschéenne de « Vaincre son temps et donc de soutenir le plus rude combat avec ce par quoi [elle] est l'enfant de son temps ».

 

Enjoy brosse le portrait de Charles, jeune bourgeois calquant son existence par rapport au réseau social ShowYou, un mélange entre Facebook et YouTube. Pour vous, exister socialement, est-ce désormais exister sur Internet ?

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Une tâche ô combien difficile, d’écrire sur le rien.

Il faut procéder par élimination, se poser la question mallarméenne de la poésie de l’objet. Étudier ce que l’objet veut dire : telle fille est rentrée chez elle, a allumé son ordinateur, a regardé une photo de ceci ou une vidéo de cela, voilà ce qui sert de matériau à la construction de mon roman. C’est une histoire qui est basée sur l’observation de l’inconsistance. Cela me fait d’ailleurs plaisir d’en parler très librement parce qu’une des raisons pour lesquelles ce livre s’est vendu est que les gens ont cru que c’était un roman branché, notamment à cause de certains mots-clés associés : génération Y, réseau social, etc. Ces deux mots-clés ont fait en sorte qu’une certaine partie de la population s’est totalement détournée de ce livre, croyant que je faisais l’apologie de cette génération branchée.

 

Votre roman fut mal compris avant même d’être lu ?

Oui, mais j’ai beaucoup joué sur l’argumentaire de promotion. Je me souviens d’un reportage sur France 3 sur la génération Y où le présentateur n’avait, bien évidemment, pas lu l’ouvrage, ce qui explique la méprise médiatique suscitée à sa sortie. À la limite on s’en fout… Non seulement les journalistes télé ne lisent pas les livres, mais ils ne lisent même pas les résumés que les éditeurs leur envoient. Ils s’en foutent royalement.

 

On songe à Olivier Pourriol, ex-chroniqueur littéraire du Grand Journal de Canal+, à qui l’on conseillait de lire la première, la 100e et la dernière page d’un livre pour en parler et qui avait l’interdiction de citer des auteurs morts.

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Lesquels voudriez-vous voir mourir pour pouvoir enfin les lire ?

Comme je vous l’ai dit, je lis des auteurs morts, et pour certains autres de ma connaissance j’adorerais qu’ils soient morts et ne les avoir jamais lus. À part peut-être Michel Houellebecq, mais c’est une découverte assez récente. En réalité je n’aime pas les vivants.

 

Un des personnages de votre roman, Anne-Laure, affirme d’ailleurs qu’« être mort [est] un gage de qualité. »

Oui, elle ressemble à ce que j’étais quand j’avais vingt ans, en forçant certains traits. Elle est un peu paumée et caricaturale. Je voulais raconter le vide mais j’ai de la tendresse pour certains de mes personnages. Ce qui n’est pas le cas de mon prochain roman…


ShowYou résume bien l’injonction du dévoilement public de la vie privée. Les écrans sont-ils, comme vous l’écrivez un « amour de la figuration de l’existence » où celle-ci est « un miroir dans lequel on se réfléchit sans réfléchir » ?

Les réseaux sociaux sont le langage du malaise occidental. L’écran a remplacé la langue (il faut lire les analyses de Marc Fumaroli sur l’écran dans Paris-New-York et retour à ce propos). C’est l’expression sans langage, régressive, du malaise. C’est la perte de l’essence : à force d’être dans l’avoir plutôt que dans l’être, il n’y a plus personne. Que reste-il quand on dit « je » ? Rien, il n’y a plus de « je ».

 

Regarder et exhiber sans discontinuer ses photos où l’on est à son avantage, dans les meilleures tenues, les meilleures poses, les meilleurs villes, les meilleures bagnoles, etc., cela provoque le même malaise que quelqu’un qui dit : « j’ai gagné 10 000 boules ! » Mais au moins, ce dernier est plus franc. Car il y a une espèce de perversion de la personne qui se montre très détachée de tout, cool, alors qu’elle rêve uniquement de reconnaissance : « aimez-moi sinon je n’existe plus. » C’est une fausse modestie très travaillée. Enjoy c’est le divertissement à l’heure du fun. Or, le divertissement a partie liée avec l’ennui. On n’a jamais été dans une société qui s’ennuie autant. Avant, on prenait du temps pour soi, pour les gens et les choses que l’on aimait. Mais je suis rétrograde jusqu’à un certain point : il y avait des gros cons avant et il y a des gros cons aujourd’hui. Le monde de la solitude, c’est le monde sans Dieu.

 

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Dieu est de nouveau mort sur les réseaux sociaux et donc tout y est permis ?

Cela ne concerne pas uniquement les réseaux sociaux. ShowYou, c’est une métaphore de ce qui se passe dans la société. Ce que je dis sur Facebook s’applique aussi au reste de la société. Je ne voulais pas faire un livre sur ShowYou même s’il est central. Le roman se pose la question : que reste-il après la consommation ? De fait, je critique l’injonction consumériste « Jouissez sans entraves ! ». Je considère que le libéral et le libertaire n’ont jamais été différents. C’est un hédonisme consumériste dans lequel on consomme des corps. On est dans une déresponsabilisation générale (« je fais ce que je veux ») et dans un hyper narcissisme qui accroît l’individualisme. Bref, je n’existe plus comme être responsable, je ne suis que loisir et plaisir. L’individu contemporain est un enfant gâté insupportable. C’est sans doute pour cela qu’on installe des toboggans dans les entreprises entre les étages, ainsi que me le racontait un ami qui bosse dans une boîte informatique. Ou que l’on est assailli d’injonctions à respecter les règles : « merci de valider votre ticket », « attention à la fermeture des portes », « attachez vos ceintures », etc. On tend de plus en plus vers cette infantilisation.

 

C’est le symptôme Google : une entreprise cool et rose bonbon où les employés jouent au ping-pong et vont à la piscine pendant leur pause.

C’est ça. Mais ils faut qu’ils sachent que nous ne voulons pas de cette société fluo. Vous ne voulez pas de nous, mais nous non plus nous ne voulons pas de vous. Cette société ne veut sans doute pas de gens comme moi, mais ça tombe bien car je ne veux pas de ce monde.

 

Dans le prospectus de l’Encyclopédie des Nuisances, édité en septembre 1984, Jaime Semprun, son fondateur, affirme : « Nous sommes ainsi, de quelque façon que l’on veuille nous considérer, d’une autre époque. » Êtes-vous également d’une autre époque ou contre l’époque ?

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On a là l’archétype du rebelle littéraire…

C’est le problème de la littérature française actuellement. Certains sont persuadés qu’être écrivain, c’est boire de l’alcool dans des cafés, porter une longue écharpe et une mèche rebelle. Au secours ! Personnellement, je pense qu’être écrivain c’est déjà en parler très peu, ne pas s’en vanter. C’est être un indic. C’est bosser énormément, se mettre au travail à 6h30 du matin. Les littéraires sont très vaniteux. Et sans doute que pour réussir, il faut aimer les gens. Moi je suis un peu misanthrope, je n’aime pas trop les gens.

 

Vous semblez être une mécontemporaine, à l’instar de Philippe Muray qui s’était fait le contempteur de l’époque, notamment à travers le portrait génial d’Homo festivus. Vous vous sentez proche de lui ?

Muray est un essayiste, moi je suis une romancière. Il m’arrive de passer des soirées toute seule dans mon coin, à fermer ma gueule, à prendre des notes, puis de rentrer chez moi pour travailler sur ce que je viens d’observer. Ce qui m’intéresse, ce sont les situations. Pour construire un personnage et une situation je vais me poser des questions comme « pourquoi utiliser cette crème à épiler 100 % bio ? ». Mais avant d’exprimer ça, je vais reformuler cette scène. Le principe de la littérature est d’exposer des scènes. Je veux que les personnages se parlent et se posent des questions à la con. Je veux montrer ce monde-là, tel qu’il est vraiment.

 

Quel rôle a pour vous la littérature ? Doit-elle rendre la vie supportable ?

La littérature française sert à aimer la langue française. La littérature romanesque sert à montrer le monde tel qu’il est et à amener les contemporains à s’interroger dessus. Mais je ne peux pas parler de la littérature en général, je ne suis pas André Malraux, je n’ai pas cette prétention. Le roman a trouvé sa forme moderne avec Balzac et Flaubert parce que c’était l’avènement de cette modernité libérale (au sens général) c’est-à-dire l’argent, le loisir et ses prétendues vertus de libération. Seuls des écrivains peuvent scruter cette société avec un regard extrêmement critique car ils arrivent à s’en exclure.

 

L’écrivain, c’est quelqu’un qui peut avoir un compte sur Twitter et qui peut passer beaucoup de temps à observer ses contemporains. Moi j’observe. Je peux à la fois écouter Dr Dre et lire Léon Bloy. Mais je ne cherche pas un syncrétisme à la con, cela ne servirait à rien. Il faut en rire. Je viens d’un pays qui n’existe plus et qui, de fait, m’a doté d’un regard critique sur cette société. La France de mes grands-parents, de mes parents n’existe pas. On vit dans la France de contemporains qui ont fait Mai 68. J’ai mes repères propres, je n’ai pas besoin de psychanalyse pour trouver un sens à ma vie. Je n’ai pas besoin de m’inscrire dans la morale de gens qui n’en n’ont pas. J’ai du mal à m’y faire. C’est comme la politique. C’est très dur de s’y intéresser. Il faut des bases. Je pense à Tocqueville dans ces moments-là mais – je sais que c’est horrible de dire ça – je pense que la politique n’a aucun intérêt. Regardez l’UMP, c’est quoi ce machin ? Un mélange entre une boîte de nuit et une start-up ?

 

Considérez-vous, comme George Orwell, que le pouvoir, quel qu’il soit, corrompt et pervertit ?

Je ne suis pas contre le pouvoir dans l’absolu, je ne me suis pas assez posé la question. Je pense qu’il est nécessaire dans une certaine mesure mais je suis en réaction contre ce monde-ci. Je suis anarchiste jusqu’à un certain point.

 

Croyez-vous à « l’amélioration du monde » comme le dit un des personnages du roman ?

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« Enjoy » c’est aussi l’injonction commerciale et publicitaire par excellence. Face à un tel monde vous sentez-vous indignée, enragée ou résignée ?

 

Être indigné ne sert pas à grand-chose. Enragée, oui, de temps en temps. Résignée, non. Je suis schizophrène et spectatrice. Je refuse de prendre part à cette comédie.

N’y a-t-il pas le risque de tomber dans le cliché de l’écrivain réfugié dans sa tour d’ivoire, à la manière de Flaubert ?

Ah, mais j’essaye d’être au courant de tout ou presque. Je tiens à être spectatrice de tout cela. Je tiens à assister au spectacle du monde.

 

Vous décrivez une génération pétrie de présentisme, considérant l’écran comme la vie, le reste comme mort, désirant tout, tout de suite, tout en étant incapable de parler de la langue de ses aînés. Le passé a-t-il encore une place ?

C’est tout le problème. Car si la langue n’est pas transmise, c’est la fin. Mais ce n’est pas perdu pour tout le monde. Je ne suis pas défaitiste pour autant car je rencontre des gens formidable. Mais je ne crois pas à la masse, au groupe. Je me fous de savoir si la société va dans le mur puisqu’elle y va de toute façon. Bref, je ne suis pas très branchée « société ». J’ai un ami prof qui, voulant faire lire Corneille à ses élèves, s’est fait traiter d’intello par ses collègues. Certains profs sont tellement ignares pour en arriver à ce point. Ce sont des petits fonctionnaires de l’État sans aucun sens de l’État. Pour autant, ce n’est pas la faute des profs si la langue est dans un tel état, c’est un ensemble. Non seulement les programmes sont nazes mais les élèves arrivent à l’école en mauvais état, comme cassés, à force de passer leur temps devant les écrans. Si on leur enlève la télé et l’ordinateur, ils lisent. C’est peut-être simple mais c’est le minimum pour savoir parler correctement sa langue. Tant qu’il y aura des gens qui persisteront, on pourra garder un espoir.

 

Pourtant l’écran peut être transmetteur de formes d’arts, de valeurs, de savoirs, de poésie, d’intelligence, à travers des films, des textes ou des jeux vidéo. Faut-il condamner l’écran sans distinction ?

Bien sûr qu’il y a du bon mais les gens sont incapables de faire des choix. S’ils étaient vraiment responsables, un outil comme Facebook ne serait pas utilisé. Les gens ne maîtrisent pas ce qui sort des écrans.

 

Quel regard portez-vous sur l’auto-fiction ? Le voyeurisme numérique rejoint-il le voyeurisme littéraire ? On a eu droit à de retentissantes sorties ces derniers mois.

Je n’ai pas grand chose à dire sur Belle et Bête de Marcela Iacub parce que je ne l’ai pas lu. Mais je déteste l’auto-fiction, c’est clair. Cette façon de raconter sa vie à tort et à travers… Le fait d’avoir vécu quelque chose (de trivial ou de traumatisant) ne fait pas de la littérature. La souffrance de tous les jours ne fait pas de la littérature. On peut faire un très bon livre à partir de sa propre imagination. Ces auteurs d’auto-fiction renforcent le narcissisme littéraire, déjà à l’œuvre avec le Nouveau roman.

 

L’auto-fiction serait le fils monstrueux du Nouveau roman ?

Je ne sais pas s’il y a un rapport de cause à conséquences mais ces deux événements ont mis à mal le roman et donnent une image de la littérature tellement affreuse que les gens s’en détournent. Je plains ceux qui ne connaissent la littérature que par ces deux biais. Je vais me faire des amis…

 

N’assiste-on pas à une certaine haine de la poésie, du sensible, de l’imagination, du lyrisme par rapport à cette mouvance littéraire repliée sur son nombril ?

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Que pensez vous de l’art contemporain ? Est-il une critique ou un symptôme de cette société ?

Je suis incapable d’avoir un discours général sur l’art contemporain car je n’y connais rien et je m’intéresse principalement à la peinture française entre 1880 et 1950. Même si j’aime beaucoup Yves Klein et Georges Mathieu. Ce qui me passionne davantage, à titre de romancière, ce sont les gens qui s’intéressent à l’art contemporain et tiennent un discours dessus. J’aimerais être une anthropologue pour savoir qui sont les gens qui vont à Beaubourg voir des expos que je ne comprends pas.

 

Cela étant dit, j’estime que l’art ne doit pas se comprendre. De la même manière, un roman n’est pas un essai. La grande erreur, c’est de faire de l’art conceptuel. Les idées, il y a des essais et des philosophes pour cela. Désormais, on prête des idées à des choses qui n’en n’ont pas. Il y a suffisamment de textes intéressants qui dorment dans les bibliothèques pour ne pas en rajouter avec des textes obscurs sur l’art contemporain. Il y a tellement de gens intelligents qui méritent qu’on s’intéresse à eux plutôt qu’aux bavards sans intérêt. Si j’aime la peinture, ce n’est pas comme expression d’un langage, ce n’est pas comme concept mais comme peinture. La peinture doit illuminé pour ce qu’elle est. C’est le peintre Maurice Denis qui disait : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » (« Définition du Néo-traditionalisme », revue Art et Critique, 30 août 1890).

 

L’art pour l’art en somme ?

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Pour finir, que pouvez-vous nous révéler de votre prochain roman ?

Cela parlera de la société française, des trentenaires, de l’homme qui cherche Dieu mais aussi sa carte d’abonnement à son club de gym, de la datation d’auto-anéantissement, de la mort volontaire de l’Occident et de l’apogée du nihilisme. C’est très vague mais c’est surtout l’histoire d’un couple de jeunes gens (du genre à passer beaucoup de temps à Beaubourg pour voir des choses très bizarres) obsédés par l’idée de mourir et le besoin de racines. Cette obsession et ce besoin s’imbriquent dans le malaise de la société occidentale.

 

Cela parle de vous ?

Je ne sais pas si cela parle nécessairement de moi (je suis la première à m’arracher les cheveux blancs), même si je vais chercher des éléments de ma vie pour nourrir mon récit et le rendre réaliste. Cela dit, par rapport au prochain roman, je suis pas nihiliste et un livre qui parle de moi ne serait pas très intéressant.

 

Boîte noire

 

Sylvain Métafiot

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