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mardi, 07 avril 2015

Jérôme Leroy : « 95% des livres sont inoffensifs »

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Depuis vingt-cinq ans, l’œuvre au noir de Jérôme Leroy se déploie sur une dizaine d’ouvrages traversés par des tueurs cinéphiles, des ordures politiques, des poètes subversifs, des éclats de violence désespérée et une ivresse conjuguée du vin, de l’amour et du beau style. À l’occasion du festival Quais du Polar, à Lyon, où son dernier roman, « L’Ange gardien », a reçu le Prix des lecteurs, nous avons rencontré ce hussard de gauche entre deux séances de dédicaces.

 

Dans La Chartreuse de Parme, Stendhal écrit : « La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. » Dans L’Ange gardien, vous affirmez qu’écrire des romans noirs, c’est parler de son temps. En quoi ce genre littéraire est-il le plus à même de mettre le nez du lecteur dans le réel ?

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À la question « à quoi sert la littérature ? », vous répondiez « À blasphémer. Le blasphème est la seule fiction qui puisse dépasser la réalité. » Là, il ne s’agit plus de coller au réel mais de le gifler, de faire, comme vous dites, « le beau travail du négatif, celui qui bouleverse, détruit, sape toutes les certitudes politiques et morales d’une société ». Mais cela suppose que la littérature soit intrinsèquement subversive alors que, concrètement, beaucoup de livres sont inoffensifs.

Bien sûr, je crois que 95% des livres sont inoffensifs. Le travail du négatif est essentiellement l’œuvre du roman noir et d’une certaine forme de pensée radicale. Les deux éditeurs français auxquels je fais confiance dans ce domaine sont La Fabrique et la collection Série noire de Gallimard. À ce titre, l’idée de blasphème, de sabotage, de l’écrivain qui apporte des mauvaises nouvelles, provient de mon influence, revendiquée, pasolinienne.


Par ailleurs, j’admire des écrivains de droite parce qu’ils ont une certaine façon d’être dans le style, dans une légèreté, une insolence vis-à-vis des institutions. C’est quand vous êtes minoritaire que vous êtes insolent. Dans un paysage d’après-guerre dominé par la gauche communiste très « stal bas-du-front » (à part Aragon et Roger Vailland), Sartre et l’engagement obligatoire, et le nouveau roman qui chassait le sujet, des écrivains comme Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent ou Michel Déon étaient des respirations et ils le sont toujours. Il en va de même avec A.D.G. dans le polar, car il mérite qu’on se souvienne de lui.

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mercredi, 11 mars 2015

Dieu cinématique

 

Après le questionnaire du Miroir et celui sur la Politique, Ludovic Maubreuil nous propose un questionnaire portant sur les dieux et les mythes au cinéma. L'occasion de mettre sa foi de cinéphile à l’épreuve.

 

1) Parmi tous ceux qui ont été représentés au cinéma, quel est votre dieu préféré ?

Celui qui créa la femme, pardi !

Et dieux créa la femme.jpg



2) Quel édifice religieux, présent dans un film, vous a donné envie de vous y attarder ?

Celle qu'occupe Andreï Roublev dans le film de Tarkovski.

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Bien que je serais curieux de découvrir le mystère de l'église démoniaque de L'Antre de la folie de John Carpenter.

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3) Quel personnage de prêtre vous a le plus marqué ?

Don Pietro Pellegrini, l'admirable prêtre résistant dans Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini.

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dimanche, 25 janvier 2015

Pasolini : le chant de l’abyme

 

 Article initialement publié sur Le Comptoir

 

« Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir. Et le refus d’être scandalisé est une attitude moraliste. » Devant le journaliste français qui l’interroge, Pier Paolo Pasolini ne mâche pas ses mots. Il ne l’a jamais fait. Il vient de terminer Salo ou les 120 journées de Sodome. Le lendemain, il sera mort. C’est ainsi que débute le beau film qu’Abel Ferrara a consacré à cet homme qui paya de sa vie son droit sacré au blasphème moderne.

 

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Alternant les scènes de vie familiale avec les interviews politiques, Ferrara s’aventure également, à la manière des récits en cascade des Mille et une nuits, dans le champ de l’imaginaire en illustrant son roman inachevé Pétrole et les premières esquisses du film Porno-Teo-Kolossal racontant le voyage d’Epifanio et de son serviteur Nunzio à travers l’Italie à la recherche du Paradis, guidés par une comète divine. Enchâssant la fiction dans la réalité (et même la fiction dans la fiction), Ferrara trace une ligne de vie viscérale entre Pasolini et ses œuvres : « Pasolini n’était pas un esthète, mais un avant-gardiste non inscrit, affirme Hervé Joubert-Laurencin. Il n’a pas vécu sa vie comme un art mais l’art comme une vie, il n’était pas "décadentiste" mais "réaliste", il n’a pas "esthétisé la politique" mais "politisé l’art". »

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mardi, 29 mai 2012

Que peut la littérature ?

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À l’occasion des 6ème Assises Internationales du Roman à la Villa Gillet de Lyon, il ne semble pas incongru - surtout à une époque où l’on considère souvent l’art en général et la littérature en particulier comme de simples divertissements - de se demander qu’est-ce que la littérature ? Ou plutôt, et pour se démarquer du célèbre texte de Sartre : que peut la littérature ?


Plutôt qu’une bête réponse personnelle et sans saveur, je préfère laisser la parole à quatre auteurs remarquables : Juan Gabriel Vàsquez, Jérôme Leroy, Simone Weil et Pierre Jourde (mais aussi et indirectement : Stendhal, Gide, Genet, Fuentes, Vargas Llosa, Proust, Gautier, Pasolini, Breton, Garcia Màrquez, Littell, Ellroy, Primo Levi). Quatre réponses pour le prix d’une ! Ou une réponse en quatre parties, comme vous le sentez.

 

Tout d’abord, un texte de l’écrivain Juan Gabriel Vàsquez, Romans et cicatrices, qui, à l’occasion d’une table ronde sur la corruption et la violence politique, interroge les liens (mais surtout les différences !) entre politique et littérature :

 

Les mots de nos morts sont plus précis que les nôtres, sans doute parce qu’ils sont chargés de temps, qu’ils ont de l’expérience ou que leur sens a été modifié par l’expérience. Ceux que j’ai à présent en tête figurent dans La Chartreuse de Parme, chapitre XXIII. Je les ai déjà cités plusieurs fois et je crains de ne pas avoir été le seul. Stendhal écrit : « La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. » Et il ajoute : « Nous allons parler de fort vilaines choses, et que, pour plus d’une raison, nous voudrions taire. »

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dimanche, 14 septembre 2008

Je blasphème, donc je suis

Histoire d’enfoncer le clou (sur la croix) a propos des religions, et pas seulement du christianisme, voici un magnifique texte anticlérical de Philippe Val, à lire religieusement :religieusefumant.jpg

« Lorsque la théocratie règne, les sciences, les arts, les lettres, la philosophie, s’en vont fleurir ailleurs.

La joie s’éteint. La morbide décadence ronge l’enthousiasme général. La migraine de l’ennui remplace l’ivresse de la découverte.

La fatigue ronchonnante bredouille sa haine du désir. Les palais se lézardent, les bassins croupissent, et, des universités où bouillonnaient les jeunes polémiques, on n’entend plus monter que des psalmodies de versets ressassés jusqu’à l’abrutissement.

La civilisation s’est développée grâce au blasphème, qui est une contestation du monde immuable rêvé par les théocraties. La notion de blasphème est une invention pour nier la légitimité de l’idée que rien n’est immobile, que l’Univers entier n’est que mouvement, et que même l’immobilité, comme le disait Montaigne, « n’est qu’un bransle plus languissant ».

Contester l’immuabilité des savoirs tolérés par les théocrates, c’est s’exposer au bûcher, à la relégation, à la censure, à la persécution, à la fatwa, à l’exil, à l’échafaud, à la torture, à l’excommunication, à l’autodafé, à l’emprisonnement, à l’infamie, à l’Inquisition, à l’injure, à la menace et à la mort.

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