vendredi, 09 octobre 2020
L’esprit de gramophone : L’Empêchement de la littérature de George Orwell
Sous-titré Sur la liberté d’expression et de pensée, ce petit texte de George Orwell, paru initialement en 1946, semble tomber à pic à une période où l’invective, la mauvaise foi et le complotisme remplacent le plus souvent la discussion cordiale et l’échange d’arguments raisonnés. On imagine non sans peine le romancier britannique horrifié s’il avait connu Twitter, Facebook ou les plateaux télés de CNews. Effrayé, il le fut en observant de quelle façon ses contemporains (journalistes, politiciens et romanciers) se pâmaient devant l’URSS, encore toute auréolée de sa victoire sur l’Allemagne nazie, n’hésitant pas à travestir (voire à nier) la réalité du totalitarisme soviétique au point de menacer « au long terme tous les domaines de la vérité ».
C’est lors d’un événement du PEN Club, organisé à l’occasion du tricentenaire de L’Areopagitica de Milton, qu’Orwell a pu constater le gouffre béant entre les grands principes proclamés sur la liberté d’expression et la réalité des interventions vantant les bienfaits de la censure en Union Soviétique : « Les ennemis déclarés de la liberté sont ceux pour qui la liberté devrait être la plus importante ». Car après avoir défendu la liberté de pensée contre les catholiques et les fascistes, c’est désormais contre les communistes qu’Orwell ferraille. Et quiconque tente de mettre en avant la réalité objective des faits (procès iniques, surveillance généralisée, déportation d’opposants politique, culte du chef, etc.) se voit accusé d’esprit « petit bourgeois », « d’individualisme libéral », de « romantique », de « sentimental » ou encore de « faire le jeu » des forces conservatrices. Le romancier britannique n’est pourtant pas un de ceux qui pratiquent la « fuite » : « La littérature authentiquement apolitique n’existe pas, et encore moins à une époque comme la nôtre, où les peurs, les haines, les fidélités d’une nature directement politique se trouvent aux abords de la conscience de tout un chacun. »
Mais à côté des « ennemis théoriques » de la liberté de penser (« ceux qui tressent des louanges au totalitarisme ») se trouvent les « ennemis concrets », c’est-à-dire ceux qui monopolisent les médias, journaux, radios et cinéma, ainsi que la bureaucratie. De fait, si un certain fanatisme militant – prompt à s’indigner, vitupérer et censurer au nom du Bien – a toujours trait dans les cercles intellectuels aujourd’hui (« L’attaque directe, délibérée contre la décence intellectuelle provient des intellectuels eux-mêmes » rappelle Orwell), une autre posture, tout aussi inepte, se développe en parallèle : celle qui affirme sans nuance que l’« on ne peut plus rien dire ! », paradoxalement répétée en boucle sur des ondes à tendance réactionnaire et dans des journaux « dissidents ». Une résistance cosmétique au politiquement correct qui se contente de singer la rhétorique de l’adversaire en inversant paresseusement les thèmes. Pas sûr que le socialiste Orwell – dont se réclament nombre de ces « résistants » – ait applaudi à cette rengaine moutonnière, lui qui affirmait que « le remplacement d’une orthodoxie par une autre n’est pas nécessairement un progrès. Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment. » (Essais, articles, lettres – Volume 3)
Sylvain Métafiot
Article initialement publié sur Le Comptoir
10:01 Publié dans Littérature, Politique | Tags : le comptoir, sylvain métafiot, l’esprit de gramophone, r&n éditions, l’empêchement de la littérature de george orwell, liberté d'expression, liberté de pensée, urss, pen club, propagande, politiquement correct, censure | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 17 août 2020
Cécile Villaumé : « Nous baignons dans une rhétorique médiatique confite de niaiserie »
Cécile Villaumé est écrivain. Son premier ouvrage, « Des écrivains imaginés » (Le Dilettante, 2019), peut être défini comme un recueil de biographies non-autorisées oscillant entre le pastiche et la chronique sociale. Naviguant entre les époques, elle détourne ainsi, d’une plume érudite et malicieuse, la vie intime d’auteurs célèbres ou les place en arrière-plan de l’Histoire tout en brocardant d’un humour parfois cruel certains traits de la bêtise actuelle, celle qui coche toutes les cases de la bien-pensance littéraire et du politiquement correct.
Le Comptoir : Dans votre livre vous vous plaisez à réinventer certains moments de la vie de divers écrivains, parfois à travers l’intermédiaire de personnages contemporains, comme l’universitaire Josyane Taupin-Miflu ou le fonctionnaire municipal Arthur Quenouille. Que représentent-ils à vos yeux ?
Cécile Villaumé : Disons que ce sont des synthèses de personnages que j’ai pu observer dans la réalité. Je n’ai pas eu à aller bien loin. Pour Josyane Taupin-Miflu, j’ai utilisé des souvenirs d’université, et aussi les débats sur l’écriture dite « inclusive ». Comme tous les « débats » actuels ils sont construits sur le modèle de celui des Monty Python, c’est-à-dire « ce soir pour parler de la pornographie, nous inviterons l’archevêque de Cantorbéry et un homme nu ». Un des invités se devait donc d’incarner la Pensée Réactionnaire, (type Alain Finkelkraut, un Académicien, etc.) En face, il y avait un chercheur chargé de rééduquer le bon peuple en lui expliquant que la langue faisait preuve d’une violence intolérable depuis des siècles, et qu’il avait fait des recherches car au XVIe siècle on disait « autrice », que le masculin qui en grammaire l’emporte sur le féminin c’est la Culture du Viol, etc. Ces chercheurs étaient de toute évidence ravis de s’ébrouer au soleil médiatique après des années d’anonymat et souvent une carrière assez modeste. Ils trouvaient, à la lumière des plateaux un nouveau souffle, s’habituaient (ce n’était pas très difficile) à résumer leur pensée en une seule phrase ornée d’un ou deux slogans-choc.
Il y a un côté un peu émouvant et très humain (ils ne veulent pas mourir), mais très inquiétant en ce qui concerne l’état de la recherche en France dans le domaine littéraire et historique. Plutôt que de leur donner un espace de parole où déployer une vraie pensée, le passage par la moulinette des medias les pousse à renoncer à la rigueur intellectuelle que devrait garantir leur fonction.
Quant à Arthur Quenouille, qui toilette un écrivain dont il n’a jamais lu une ligne pour des raisons touristiques, je n’ai pas eu à chercher loin non plus. Dans un pays comme le nôtre qui s’est engagé sur la voie du tourisme à outrance, il devient presque miraculeux de trouver un bourg qui n’est pas hanté par un festival quelconque, une maison natale, un musée, etc. Ces personnalités (plus ou moins) locales, il faut naturellement les rendre présentables aux yeux du visiteur d’aujourd’hui : c’est-à-dire qu’ils doivent être ouverts aux autres, contre les inégalités, irréprochables sur le plan sexuel… quand bien même ces concepts n’avaient pas de sens à leur époque. Le mieux c’est quand ils ont été méconnus : et souvent en visitant ce genre d’endroit j’imaginais les commissaires d’expositions, les gars qui avaient rédigé les panonceaux.
12:12 Publié dans Littérature | Tags : bêtise, bien-pensance littéraire, politiquement correct, cécile villaumé, le comptoir, sylvain métafiot, léon bloy, nous baignons dans une rhétorique médiatique confite de niaiseri, metoo, culture du viol, féminisme, pasolini, antoinette deshoulières, philippe muray | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 31 décembre 2008
Vive le politiquement incorrect ?
Pour mieux comprendre, vous pouvez lire cet article sur le politiquement incorrect.
17:39 Publié dans Actualité | Tags : politiquement incorrect, politiquement correct | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 30 décembre 2008
Le politiquement (in)correct
Cela vous a peut-être échappé mais nous sommes dans l’ère (bénie) de la parole décomplexée cher à notre Nicolas Sarkozy national. Ce dernier, lors de ses interventions publiques, a remplacé « Françaises, Français » par « Casse-toi, pauvre con » et « Descends si t’es un homme ». Hum… je crois qu’il est Président de la République Française… Info à vérifier. Bref, on préfère la langue de con (politiquement incorrect) à la langue de bois (politiquement correct).
L’un des meilleurs exemples du politiquement incorrect provient du député UMP du Nord Christian Vanneste (un charmant homme favorable à la peine de mort pour les terroristes et auteur du fameux amendement sur le « rôle positif » de la colonisation). En 2005, dans deux interviews – l’une à La voix du Nord, l’autre à Nord éclair – il avait déclaré que « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité » et qu’elle était « inférieure à l’hétérosexualité ». Condamné une 1ère fois en janvier 2006 par le tribunal correctionnel de Lille, puis en janvier 2007 par la cour d’appel de Douai, il vient d’être blanchi par la Cour de cassation, qui a jugé que ses propos « ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression ». Pour sa défense, outre les valeurs traditionnelles religieuses et le concept de la « loi naturelle », il a invoqué son mandat de député : « Le parlementaire, c’est le tribun du peuple, celui qui peut parler au nom des autres, alors, qu’on l’empêche de parler, lui, c’est complètement antidémocratique ». Et moi qui croyait que ceux qui incarnent l’Etat, sinon dans les actes du moins par les mots, se devaient d’être exemplaire et non professer les pires ignominies. Naïf que je suis…
Faisons un bref retour historique sur la notion de politiquement incorrect... dans la suite de l'article !!!
23:33 Publié dans Actualité | Tags : politiquement correct, politiquement incorrect, zemmour, soral, sarkozy, liberté, démocratie, expression, sylvain métafiot, céline, fascisme, le pen, racailles, élite, paranos, 11 septembre, dieudonné, front national, robert faurisson, négationnisme, insulte, juifs, arabes, racisme | Lien permanent | Commentaires (4)