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mercredi, 15 mai 2024

La Laguna del Soldado [Festival Cinéma du Réel]

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Un épais brouillard glisse le long d’une colline, accompagnant la fuite d’un cours d’eau qui serpente entre les tourbières tandis qu’une tempête noire menace des montagnes emplies d’une « profonde tristesse ». Mais contrairement à ce que cette atmosphère romantique laisse penser nous ne nous trouvons pas aux abords d’un lac écossais jouxtant un château gothique abandonné. Nous sommes en Colombie, plus précisément dans le páramo de la cordillère des Andes. C’est dans ces contrées immenses où l’homme ne pose que rarement le pied que le réalisateur montréalais d’origine colombienne Pablo Álvarez-Mesa a fixé sa caméra, captant la beauté aride et désertique de ses paysages grandioses à travers de longs plans fixe et d’élégants fondus enchaînés.

 

Si les humains sont en grande partie absents de l’écran (exception faite d’un chauffeur de taxi, d’une scientifique…) ce sont les fantômes qui peuplent La Laguna del Soldado, notamment celui de Simon Bolivar qui ouvre le film par le poème « Mi delirio sobre el Chimborazo », accompagné du grondement sous-marin des luttes politiques de la campagne de libération. En juin 1819 les soldats d’El Libertador traversent les hauts plateaux de la cordillère Orientale par la voie du páramo de Pisba. Une centaine d’entre eux y laissera la vie dans un lagon transformé en cimetière naturel, celui même qui donne son nom au film.

 

Fort d’expérimentations formelles amalgamant les sons et les couleurs dans un montage alternant les voix déchirées du passé et les revendications politiques des populations autochtones, le film constitue tout autant un plaidoyer pour la justice environnementale, sociale et raciale ; qu’une symphonie aquatique et contemplative, rythmée par l’écoulement des cours d’eau sur les roches ou le son mat de la pluie rebondissant sur les tiges des frailejones.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Zone Critique

mercredi, 25 octobre 2023

Pornomelancolia : Gay sans joie

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Au passionnant regard documentaire sur le monde des films homoérotiques, Pornomelancolia adjoint un discours convenu sur l’ultra-moderne solitude à l’heure des réseaux sociaux.

 

Deux ans après la sortie de Pleasure de Nin­ja Thyberg, le réalisateur argentin Manuel Abramovich s’immisce à son tour dans les coulisses de l’industrie pornographique à travers le personnage de Lalo, ouvrier le jour et influenceur érotique la nuit. Répondant à l’annonce d’un casting de film X, Lalo décroche le premier rôle dans une adaptation très libre et très licencieuse de la vie d’Emiliano Zapata, leader de la révolution mexicaine (1910). Concomitamment, le nombre de ses followers ne cesse d’augmenter.

 

Avec le film de Thyberg Pornomelancolia partage une même vision documentaire sur les conditions de tournage d’un film porno, assainissant l’odeur de soufre qu’il véhicule dans l’imaginaire collectif. On découvre ainsi les problèmes techniques du placement des acteurs dans le champ, la recherche de la bonne intonation des répliques, mais aussi les longues pauses clopes entre deux doggystyle, les fous rires intempestifs, les anecdotes de tournage, les plaisanteries sur la taille des sexes, les à-côtés des acteurs pour gagner leur vie, les maladies que l’on cache à ses proches, la première fois que l’on a avoué son homosexualité… La caméra capte ainsi ces confidences de manière dérobée, s’attardant sur des visages rieurs, des regards complices, redonnant une sensibilité à des acteurs principalement sélectionnés pour leur beauté plastique. Cet aspect « véridique » est renforcé par le fait que Lalo Santos est réellement un acteur porno et que le biopic coquin sur Zapata est un véritable film pour adulte tourné en parallèle de celui d’Abramovich

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vendredi, 15 septembre 2023

Ciompi : Tisser la lutte

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De quand date le film ? Le grain de la pellicule semble nous ramener des décennies en arrière, au temps des camescopes amateurs. Pourtant, les lieux et les individus à l’écran sont nos contemporains. Un narrateur se lance dans le récit d’une révolte située au Moyen Âge. Dans le film d’Agnès Perrais, le temps ne sépare pas mais raccorde les époques entre elles, tissant un lien de fureur populaire à travers les âges. La réalisatrice entremêle sa voix à celle de l’historien Alexandre Stella pour raconter deux histoires : celle du « tumulte des Ciompi », ces ouvriers de la laine qui occupèrent le Palais de la Seigneurie de Florence en 1378 ; et celle des ouvriers de l’usine Texprint, à Prato, qui, de nos jours, se battent pour des conditions de travail décentes. Deux histoires distantes de plusieurs siècles mais unies par une seule et même lutte : celle du petit peuple contre les puissants au pouvoir.

 

La révolte des Ciompi au XIVe siècle s’ancrait dans une opposition virulente entre Popolo grasso (riches marchands) et Popolo minuto (petits artisans) en réclamant une meilleure justice fiscale et le droit de constitution des arts pour ces métiers qui ne possédaient aucune représentation politique. Après divers coups d’éclats, l’insurrection révolutionnaire prit fin avec la capture et la décapitation de deux des principaux meneurs sur la place centrale de la ville. Les tisserands actuels de la banlieue de Florence sont, eux, en lutte depuis trois mois pour réclamer des contrats de travail en bonne et due forme, la journée de huit heures et la semaine de cinq jours. Trois mois qu’ils tiennent le piquet de grève devant l’usine de Texprint – dont le patron est soupçonné de lien avec la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta – subissant la pression de la police mais recueillant le soutien du parti communiste local.

 

Ces travailleurs étrangers, payés trois euros de l’heure et violentés par les autorités, font écho aux Ciompi du bas Moyen Âge stigmatisés par un mémorialiste sous les termes infamants de « maquereaux, des filous, des voleurs, des batteurs de laine, des semeurs de mal, et gent dissolue et de toute sorte de méchante condition, et très peu de bons citoyens, et presque pas d’artisans connus ; il n’y avait là que des déracinés ne sachant pas eux-mêmes d’où ils venaient, ni de quelle contrée. » Jouant en permanence, mais avec sobriété, sur les raccords signifiants d’une époque l’autre, le film délivre ainsi un message simple : crispées par la colère et l’injustice, les mains des travailleurs se transforment inéluctablement en poings vengeurs.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Zone Critique

mardi, 18 juillet 2023

Sublime : Le diapason des cœurs

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Pour son premier long-métrage, le réalisateur argentin Mariano Basin filme un basculement sentimental à l’âge où les repères s’étiolent et le cœur s’emballe : celui de Manuel, 16 ans, irrépressiblement attiré par son meilleur ami, Felipe. Une chronique juvénile délicate au rythme plus pop que rock.

 

C’est une scène qui fait sens, comme on dit : Manu et Felipe, guitare sous le bras, improvisent les paroles d’une nouvelle chanson pour leur groupe de rock. Puis Manu se met à chanter, repris en chœur par son ami : « Je t’attendrai sur la plage / Je ne sais pas si tu me trouveras. » Les premiers vers qu’il composent ensemble symbolisent l’enjeu dramatique du film de Mariano Basin : l’attente de l’autre. Manu aura-t-il le courage d’avouer ses sentiments à son meilleur ami au risque de le perdre ? Ou préfèrera-t-il attendre que Felipe se révèle à lui quitte à ce que cet instant n’advienne jamais ? Attendre « qu’il vienne donner un sens à tout ça », pour reprendre les paroles de la chanson.

 

La caméra suit ainsi Manu dans cette période déroutante de sa vie, des répétitions avec son groupe de rock, au foyer familial qui menace d’imploser, en passant par les cours au lycée et son flirt avec Azul, une camarade de classe avec qui il force l’embrassade. Une romance artificielle dans l’attente de son vrai désir, prenant le temps d’appréhender ses nouveaux sentiments qui l’assaillent, tout en se persuadant d’être normal. L’amitié est peut-être un amour plus fort que l’amour lui-même, mais Manu est terrifié à l’idée de détruire le lien qui l’unit à Felipe. Le réalisateur ne s’apitoie pas pour autant sur la détresse qui saisit son personnage principal et laisse planer une atmosphère mélancolique teintée d’un humour potache propre à ces jeunes garçons un peu maladroits.

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mercredi, 26 mai 2021

En terre inconnue : Revue Zone Critique #2 "Aventure"

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Après un premier numéro consacré à la crise sociale et plus de 18 mois de labeur, la revue Zone Critique sort son deuxième numéro avec comme thème central l’aventure. Premier constat, le bestiau est volumineux : 420 pages, soit quasiment le double du premier numéro ! Pages plus fines, couverture solide et maquette élégante, l’écrin est toujours aussi soigné. À défaut de le lire vous pourrez toujours l’envoyer à travers la gueule d’un lecteur du Nouveau Magazine littéraire. Mais ce serait gâcher.

 

Quid de cette aventure alors ? Elle est d’abord littéraire (le cœur de la revue) avec pas moins d’une quarantaine de contributions. On part ainsi sur les traces des aventuriers de l’errance que sont John Fante, Charles Bukowski et Mark SaFranko, on tente de renouer avec les explorations de l’Ancien monde en compagnie de Sylvain Tesson, on retrace l’expérience initiatique de Corto Maltese à travers les mers du globe, on accompagne le voyage de Dante Alighieri entre ciel et enfer, on suit les chevauchées motorisées de Neal Cassady et Jack Kerouac sur les routes américaines, on décolle avec l’Aéropostale et Saint-Exupéry aux commandes… Sans compter nombre de recensions d’ouvrages récemment parus tels L’Or du temps de François Sureau et son voyage le long des bords de Seine, La Cuillère de Dany Héricourt et son incursion dans l’infra-ordinaire, ou le premier roman de Nastassja Martin, Croire aux fauves, à la découverte d’une communauté évène des forêts du Kamtchatka.

 

Mais, loin de se limiter aux explorations autour du monde, l’aventure est également intérieure comme le rappelle Pierre Poligone en croisant les œuvres de Béatrice Douvre, Emmanuel Carrère et Vincent La Soudière. Pierre Chardot analyse, pour sa part, la recherche d’absolu chez Fernando Pessoa et son intériorité torturée. Cette quête d’absolu se retrouve également chez André Malraux dont Romain Debluë fait émerger « cette mystérieuse dialectique des aventures humaines avec l’unique aventure que constitue l’histoire tout entière de l’humanité ». L’écrivain Ernst Jünger, de son côté, choisira plutôt la « quête aventureuse d’entomologiste » pour accéder à la sagesse et au détachement intérieur. La revue propose également quatre entretiens bien touffus avec : le créateur de Bob Morane, Henri Vernes, ainsi que son plus célèbre illustrateur, Gérald Forton ; le professeur et biographe Jean-Yves Tadié à propos de son essai Le roman d’aventures ; l’universitaire Claude Leroy quant à son travail sur l’édition des œuvres complètes de Blaise Cendrars dans la Pléiade ; l’écrivain Emmanuel Ruben, récipiendaire du prix Nicolas Bouvier au festival Etonnant Voyageurs pour son roman Sur la route du Danube.

 

L’aventure est enfin cinématographique avec un entretien et un portrait d’Alain Guiraudie, le réalisateur de L’inconnu du lac dévoilant ses petites odyssées campagnardes, une visite du New-York fiévreux par les frères terribles Josh et Benny Safdie, une plongée dans les méandres de la folie des explorateurs acharnés avec Werner Herzog ou une balade sauvage à travers les grands espaces américains avec Kelly Reichardt. Le grand écran est peut-être le lieu de projection par excellence de tous les fantasmes aventureux en déployant un imaginaire visuel incroyablement immersif, à l’image des épopées spatiales, « véritable dernière frontière » comme le rappelle Olivier Maillart. Une recherche de l’inconnu et un dépassement des limites qui acquiert une dimension mystique, ainsi que l’analyse Célia Sanchez à travers Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa et L’Ornithologue de João Pedro Rodrigues. Restera enfin à explorer les mondes infinis et connectés du vaste univers numérique, guidé en réalité virtuelle par Manon Boyer, pour clore le voyage.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir