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samedi, 27 octobre 2012

Epuration festive

Epuration festive


« La culture, devenue intégralement marchandise, doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire. »

Guy Debord, La Société du spectacle

 

Que celui qui n’a jamais eu envie de prendre un flingue et de shooter dans le tas, à la manière surréaliste, me tire la première balle ! Franchement, qui n’a ressenti le goût du meurtre devant un enfant pourri-gâté, une vieille acariâtre, un adepte du tunning, un porteur du tee-shirt du Che, un intello sectaire, un élève d’école de commerce, un hippie, une racaille, une journaliste de mode, un fanatique religieux, un accro au portable, un supporter, ou Jean-Marc Morandini ? Cette sensation d’être constamment cerné par des cons. Franck, lui, a ressenti cette envie de carnage. Et il a décidé de l’assouvir, jusqu’à satiété. Voici le point de départ de God Bless America de Bobcat Goldthwait.


Epuration festive

 

Excédé par ce « monde de blaireaux où le dernier des tocards est un héros », Franck (Joel Murray) décide de prendre les armes et de partir en chasse des pires déchets de la société : stars de la téléréalité, présentateur haineux, bigots en tous genres, gamins malpolis, etc. La réplique de l’émission « American Idol » (« À la recherche de la nouvelle star » en France) en prend notamment pour son grade. Dans sa cavalcade sanglante, une jeune fille, Roxy (énervante Tara Lynne Barr) se joint à lui pour échapper à sa famille et se la jouer rebelle-attitude. Là on se frotte les mains en imaginant le massacre et il faut dire qu’il est plutôt réjouissant. Un film qui commence par l’explosion d’un bébé morveux au fusil à pompe ne peut pas être mauvais. Enfin, pas complètement…

 

Epuration festive

 

Franck s’en fout, il n’a rien à perdre : sa femme l’a quitté, sa fille ne veut pas le voir, il vit seul, à côtés de voisins décérébrés, ses collègues de bureaux sont aussi stupides qu’une poule devant un mixeur, bref c’est la joie à tous les étages ! Redonner du sens à sa vite ratée – ou tout du moins faire quelque chose de réellement utile – en massacrant des gros cons par paquets de douze, voila son objectif. Un serial-killer sympathique, en somme. Et Dieu sait que l’empathie envers ce pauvre Franck est totale, au point de l’encourager dans sa mission de nettoyage. On aurait même envie de crier dans la salle : « Là, Franck, derrière toi, un gros con ! Tire ! ». D’autant qu’en Europe en général et en France en particulier il y aurait aussi du ménage à faire.

 

Epuration festive

Cependant, le problème est que, sans se départir de son excellent humour noir, le film tombe un peu dans les travers qu’il dénonce. Par exemple, l’héroïne raille Juno mais la mise en scène du film s’en approche par moment avec ses plans dessinés et sa bande-son pop-rock. L’aspect road-movie criminel non seulement n’est pas nouveau mais ressemble trop aux films commerciaux à l’esthétique cool et puérile. Le film est drôle, sans conteste (la mise à mort par explosion de Chloé qui échoue, le hochement de tête de la caméra), et touche parfois juste (la tuerie au cinéma et la vision que les médias en donne), mais on sent que le réalisateur a voulu toucher un large public au détriment d’une approche plus fine de la misanthropie contemporaine (à la manière d'Elephant de Gus Van Sant) et d’une mise en scène plus exigeante. On ne demandait pas à Bobcat Goldthwait de faire du Robert Bresson ou du Bruno Dumont mais la logique du divertissement qui tire à boulets rouges sur la société du spectacle nous échappe. N’y a-t-il pas une contradiction flagrante ? À ce compte-là les deux personnages devraient liquider le réalisateur…

 

Epuration festive

 

Par ailleurs, le discours, avant le carnage final, est de trop (et contraste terriblement avec l’excitant monologue du début dans le bureau). S’adressant clairement aux vrais spectateurs (nous), et non à ceux du film, il enrobe la part anarchiste de l’œuvre d’une moraline et d’un manichéisme de mauvais aloi. C’est Mr Bisounours maniant l’AK-47 alors qu’il n’est pourtant pas un progressiste. Les gens ne savent plus distinguer le Bien du Mal, sombrent dans la méchanceté gratuite et l’appât du gain ? La belle affaire ! Il paraît même qu’on a accès à l’eau chaude en ville… Pour un lecteur attentif aux critiques sociales radicales depuis plus de quarante ans, ce film n’apprendra rien de l’abîme grouillant dans lequel nous pataugeons. Et quand bien même on ne serait pas familier de la pensée situationniste, il suffit d’allumer la télé une journée ou de se balader dans un centre commercial pour constater la médiocrité ambiante actuelle. Bref, pas grand chose de nouveau sous le soleil de la société de cons(ommation).


 

La catharsis du massacre nécessaire, salutaire et grisant fonctionne à plein mais ne va pas plus loin. S’il avait voulu être vraiment subversif et s’en tenir exclusivement à la comédie macabre, le film nous aurait montré Franck logeant une balle en plein dans la tête de son insupportable fille, quitte à se faire sauter le caisson après. Mais la famille reste sacrée, même au bord du gouffre. Dieu la bénisse.

 

Sylvain Métafiot

 

Commentaires

 

bonjour,
merci pour votre visite qui me permet de découvrir votre blog.
Ce que vous dites sur la manière dont le film "tombe dans les travers qu'il dénonce" est très intéressante. effectivement, c'est dans la forme que tout se joue. c'est elle qui nous fait sentir si nous sommes dans la subversion ou la complaisance.

 

Bonjour Miette,

Merci pour votre commentaire. C'est vrai que la forme est très importante dans ce genre de production car si l'on est d'accord sur le fond (la médiocrité ambiante et la bêtise crasse passées à la moulinette de la satire noire) la forme doit justement se démarquer de la norme et proposer une vision sensiblement plus intelligente que la moyenne.
Le film n'est donc pas totalement subversif mais, de par sa violence et son discours (celui du début), n'est pas complaisant pour autant.

À bientôt sur votre site qui est très bien fait et très intéressant.

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