Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 28 décembre 2022

Le temps de l’insouciance : Apollo 10½ de Richard Linklater

Le Comptoir, top 2022, Le temps de l’insouciance,Apollo 10½ de Richard Linklater,

 

Cette année 2022, ce furent pas moins de trois grands réalisateurs américains qui s’aventurèrent sur les rivages de l’enfance en revisitant leur passé à travers le filtre d’une nostalgie douce et parfois amer.

 

Il y eut d’abord Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, cette douce euphorie juvénile se déroulant dans un Los Angeles propice aux égarement amoureux. Une ville où le vortex hollywoodien et ses illusions de gloire menace constamment d’engloutir les deux adolescents qui crapahutent malicieusement à ses marges, courant l’un après l’autre dans une course au bout de la nuit.

 

Armageddon Time de James Gray ensuite, qui retrace de manière déguisée la jeunesse du réalisateur dans le Queens des années 80. Une œuvre semi-autobiographique donc où l’on retrouve, traitée avec une grande délicatesse, ce même dilemme qui court depuis son premier film : s’émanciper du carcan familial pour se réaliser ou rester près des siens par obligation morale.

 

Enfin, il y eu Apollo 10 ½ de Richard Linklater, ode sublime et fantasmée aux réminiscences de l’enfance sur fond de conquête spatiale. Une façon pour le cinéaste de poursuivre l’exploration des souvenirs et la captation des éphémères instants de bonheur que l’on retrouve dans ses précédentes œuvres. Car ce n’est pas une grande épopée lyrique à la Ron Howard (Apollo 13) ou Philip Kaufman (L’étoffe des héros) que filme Linklater mais les rêves pop et colorés d’un enfant ayant grandi à Houston dans les années 60, s’imaginant avoir été choisi par la NASA pour être le premier homme à marcher sur la lune. À cette époque, l’Amérique est au sommet de sa puissance, les classes moyennes consomment sans retenue, le progrès technologique avance à grands pas, l’avenir s’annonce radieux. C’est dans ce climat d’insouciance (malgré la guerre du Vietnam et la menace de la bombe atomique qui sourd en arrière-plan) que grandi Stan, cadet au sein d’une famille nombreuse dont la vie est rythmée par les jeux dans la cour de récréation, les balades à vélo dans le quartier pavillonnaire, la construction de maquettes de fusées, les soirées diapo dans le salon et, surtout, les programmes télés dévorés seul ou avec les autres membres de la fratrie dont on sent que Linklater prend un immense plaisir nostalgique à tous les énumérer.  

 

La technique de la rotoscopie (déjà utilisée dans Waking Life et A Scanner Darkly) confère à ces petites bulles de vie mises bout à bout et narrées par la voix-off de Jack Black une dimension onirique qui fétichise les souvenirs du jeune garçon en les mélangeant aux évènements historiques. L’impression de vivre un été doucereux et sans fin où seule règne la légèreté, à l’instar de la parenthèse estival des étudiants d’Everybody Wants Some !! (2016) quelques jours avant la rentrée à l’université. Toute la mélancolie de l’enfance rythmée par le calendrier scolaire se retrouve dans ce soupir de Stan, les yeux tournés vers les étoiles : « La liberté et le bonheur du week-end prenait fin. » Le retour à la réalité n’a sans doute jamais été aussi teinté d’amertume.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

mercredi, 23 mars 2022

Gloire à Dionysos

Hermann Hesse, Peter Camenzind,vin,poésie, rêve,musique,fête,Gloire à Dionysos,

 

« Ce à quoi mon père, en son temps, n’avait pas réussi, cette détresse amoureuse y parvint : elle fit de moi un buveur.

 

Ce fut là, pour ma vie et mon caractère, chose plus importante que tout ce que j’ai raconté jusqu’ici. Le dieu fort et doux devint pour moi un ami fidèle et il l’est resté. Qui donc est aussi puissant que lui ? Qui est aussi beau, aussi fantasque, aussi enthousiaste, joyeux et mélancolique ? C’est un héros et un magicien. C’est un séducteur, frère d’Eros. L’impossible est en son pouvoir. Il emplit de pauvres cœurs humains de beaux et merveilleux poèmes. Du paysan, du solitaire que j’étais, il a fait un roi, un poète, un sage. Il charge de nouveaux destins des barques qui se sont vidées sur le fleuve de la vie et ramène les naufragés dans des courants qui les emportent, à toute vitesse, à travers l’existence.

 

C’est tout cela, le vin. Mais il en est de lui comme de tout ce qui a du prix, dons et arts : il veut être aimé, recherché, compris et conquis à grand effort. Bien peu en sont capables, et c’est par milliers qu’il mène les hommes à leur perte. Il en fait des vieillards, il les tue et éteint en eux la flamme de l’esprit. Mais ses favoris, il les invite à ses fêtes et leur construit des arcs-en-ciel, des ponts qui mènent aux îles fortunées. Il glisse des coussins sous leurs têtes, quand ils sont las et les enserre, quand ils sont en proie à la tristesse, de ses bras doux et bons, comme un ami et comme une mère qui console. Il transforme les embarras de la vie en mythes sublimes et joue sur sa harpe puissante le chant de la création.

 

Et puis, c’est aussi un enfant aux longues boucles soyeuses, aux épaules étroites, aux membres frêles. Il se serre sur votre cœur, levant son pâle visage vers le vôtre, vous regardant de ses bons grands yeux naïfs et rêveurs, au fond desquels ruissellent, au sein de la primitive innocence, les souvenirs enfantins du Paradis du Bon Dieu, dans toute leur fraîcheur et tout leur éclat, comme une eau qui vient de sourdre au fond des bois.

 

Et il ressemble aussi, ce dieu délicieux, à un fleuve qui s’écoule profond et tumultueux à travers la nuit de printemps. Et il ressemble à une mer qui berce sur la fraîcheur de ses vagues le soleil et la tempête.

 

Quand il s’entretient avec ses favoris, alors déferle en eux, parmi les frissons, la mer en furie du mystère, du souvenir, de la poésie, des pressentiments, dominant tous les autres bruits. Le monde connu devient minuscule et perd sa réalité et l’âme se précipite, tremblante de joie et d’angoisse, dans les espaces vierges de l’inconnu où tout est étranger et pourtant familier et dont la langue est celle de la musique, celle des poètes et du rêve. »

 

Hermann Hesse, Peter Camenzind, Editions Le livre de poche, pp. 90-91

mardi, 20 mai 2014

Bernanos et l’illusion de la liberté

 

« La Machinerie est-elle une étape ou le symptôme d'une crise, d'une rupture d'équilibre, d'une défaillance des hautes facultés désintéressées de l'homme, au bénéfice de ses appétits ? Voilà une question que personne n'aime encore à se poser. »

 

Georges Bernanos aimait le peuple. Cet amour transpire dans ses romans. Et c’est à la faveur des humbles contre les puissants que sa férocité pris corps. C’est pour défendre ce peuple modeste contre la barbarie de la technique, de l’argent et de la production illimitée que ses pamphlets virent le jour.

 

Si trois de ses œuvres romanesques furent adaptées au cinéma (Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson en 1951, Mouchette du même Bresson en 1967, et le scandaleux Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat en 1987), la déclinaison théâtrale fut plus rare.

 

Grâce soit donc rendue à Jacques Allaire pour l’audace de mettre en scène, au théâtre de la Croix-Rousse, deux essais trop méconnus de l’écrivain afin de « réveiller l’inquiétude » de nos contemporains : La liberté, pour quoi faire ? et La France contre les robots. Des textes politiques qui frappent à la gorge par leurs interrogations perçantes sur la société moderne. Bernanos nous heurte par ses remises en questions sur notre mode de vie effréné qui a détruit toute vie intérieure donc toute liberté. Son style flamboyant ne pouvait être déclamé que lors du bien nommé festival Les Grandes Gueules.

Lire la suite