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mardi, 09 octobre 2012

Reflets passés dans un œil de briques

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« L’histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre »

Boris Vian, Avant-propos à L’Ecume des jours


C’est à reculons que nous entrons dans Le sommeil d’or. Non pas que le propos du documentaire soit rebutant (encore que le cinéma cambodgien des années 1960-1970 peut décourager un public réticent aux films jugés « intello-chiant ») mais parce que le premier plan est un retour vers un pays lointain, le long d’une route filmée en « marche arrière », nous arrachant aux ténèbres pour nous plonger dans la lumière dorée de Phnom Penh et de ses gloires passées. Que reste-il de la production cinématographique cambodgienne d'avant 1975 ? Les vestiges de cet univers fantastique peuvent-ils encore parler ? C’est dans un monde peuplé de fantômes et de conteurs, de légendes et de guerres, un monde d’avant la barbarie Khmers rouges que nous entraine le cinéaste Davy Chou.


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Cinéaste n’est pas un mot galvaudé. Pour son premier film, Davy Chou révèle un talent de réalisateur bien au-dessus de la production actuelle. Etre aussi bon cinéaste quand on est si jeune devrait être interdit ! Formellement le film est d’une beauté renversante. On a bien à faire à une mise en scène scénarisée et soigneusement préparée. La plupart des mouvements de caméra (travelling avant et latéraux, zooms) ainsi que certaines prises de vues (contre-plongées, contre-jour) appartiennent davantage au registre fictionnel et lors des plans filmant Phnom Penh on a franchement l’impression d’être devant un film de Martin Scorsese filmant Little Italy. Sans compter le fait que les interviewés deviennent des personnages à part entière. Chou l’avoue lui-même : il s’est découvert cinéphile à l’âge de douze ans en sortant d’une projection de Heat de Michael Mann. Nul doute qu’il en a gardé un souci de la beauté urbaine. Il s’est également beaucoup inspiré du cinéaste Apichatpong Weerasethakul, auteur du récent Oncle Boonmee, quant à l’aspect poétique et fantomatique de ce Sommeil d’or.

 

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Cette maîtrise de la mise en scène n’enlève absolument rien à la spontanéité des témoignages, à la vérité de la parole libérée, aux réminiscences de ce paradis perdu qu’était le cinéma cambodgien du début des années 1970. Bien au contraire, elle magnifie le propos du film en distillant de la magie là où elle a disparue, en faisant la part belle au mythe malgré la guerre, les massacres, les exils. Le cinéma comme machine à rêve et machine à survivre au totalitarisme communiste. C’est l’ancienne star Dy Saveth qui raconte sa jeunesse, ses films d’antan, les souvenirs de cette époque accrochés aux murs. C’est l’émouvant récit du producteur Ly You Sreang, contraint de fuir le pays pour venir s’installer en France : passé de la chaleur des projecteurs cambodgiens à la grisaille des usines et des taxis parisiens, il livre, la gorge nouée et les yeux embués, sa tristesse de retrouver à Paris la femme qu’il avait aimée, totalement métamorphosée par trois années d’absence qui confinaient à la mort. Le retour dans son pays meurtri sera son ultime but : pour y vivre et y mourir. Et le vent balaie les pétales de fleurs.

 

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« Rien ne sera plus comme avant », tel semble être la devise mélancolique générale qui étreint les protagonistes de ce documentaire pourtant non désenchanté. Car s’il ne subsiste qu’une trentaine de films de cette période (sur un total de 400) sur des supports de mauvaise qualité, une troupe de jeunes cinéphiles tentent de redonner vie à certains d’entre eux en tournant à nouveau, et sur les anciens lieux de tournage, quelques scènes cultes encore ancrées dans l’imaginaire collectif cambodgien. Il en va ainsi de la célèbre scène où un chevalier se baignant nu dans un étang sacré est surpris par une princesse et ses servantes et, contraint de s’incliner respectueusement, séduit la royale demoiselle en dévoilant ses plus beaux atouts. La nostalgie permet à la création de reprendre ses droits.

 

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Par ailleurs, la grande force du film (ou devrais-je dire le génial tour de passe-passe) réside dans l’absence quasi-totale d’extraits des œuvres de cette période. Mieux vaut suggérer et titiller la curiosité du spectateur que montrer brièvement des images pour combler une frustration. Mieux vaut susciter l’intérêt à travers des récits surréalistes qu’aligner des extraits prédigérés. Le talent de mime du démultiplié Ly Bun Yim  est, à cet égard, communicatif d’un merveilleux qui irrigue notre imagination sèche. En cette ère de flux massifs d’images et d’informations vite vues et vite oubliées c’est un pari audacieux et exigeant qu’à fait le réalisateur, seul moyen de sortir de ce sommeil comme on sort de la bouche d’un géant.


 

Le seul extrait que nous voyons est projeté sur un mur en briques, le miroir épais et brut de ce passé tragique, de cet âge d’or enchanteur du cinéma cambodgien.

 

Sylvain Métafiot

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