Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« 2017-01 | Page d'accueil | 2017-03 »

lundi, 27 février 2017

Al-Jâhiz, le prince de la sensualité

al-jâhiz,le prince de la sensualité,sylvain métafiot,littérature arabe,érotisme,Éphèbes et courtisanes,kitab moufâkharat al jawârî wal ghilmân,’abu 'uthmân 'amrû ibn baḥr mahbûn al-kinânî al-lîthî al-baṣrî,mutazilisme,libre pensée islamique,sexe,qoran,hégire,encyclopédie,épître,amour sensuel,humour

 

Article initialement paru dans le Gazettarium papier #3

 

Difficile d'échapper au cliché de l'érotisme dans la littérature arabe et pourtant – outre l'image d’Épinal (incomplète mais pas dénuée de vérité) d'une Shéhérazade lascive mêlant sexe et contes pour sauver sa vie – les paroles du délectable Al-Jâhiz, contenues dans son opuscule Éphèbes et Courtisanes (Kitab Moufâkharat al Jawârî wal Ghilmân), nous font toucher d'un doigt frémissant un des plus admirables pan de la littérature érotique orientale. Nous ouvrant les portes de son palais, il nous invite à le suivre.

 

Al-Jâhiz (الجاحظ), de son vrai nom ’Abu 'Uthmân 'Amrû ibn Baḥr Mahbûn al-Kinânî al-Lîthî al-Baṣrî, est né à Baçra (sud de l’actuel Irak) vers 776 (160 de l'Hégire) dans une famille pauvre (son grand-père était un esclave africain d'Abyssinie). Il est mort dans la même ville en 868 ou 869, à l'âge vénérable de quatre-vingt quinze ans, écrasé par sa bibliothèque. Écrivain prolifique, maniant la dérision et l'humour avec grâce, on lui doit quelque deux cent cinquante écrits dont une cinquantaine nous sont parvenus. Ils sont constitués d’épîtres et de quelques œuvres plus importantes sur les sujets les plus divers : la zoologie, la poésie, la notion de secret, l’éloquence, la lexicographie,… Son Livre des animaux, inspiré de l’Histoire des animaux d’Aristote est une véritable encyclopédie des savoirs. Quant à son Livre des avares il constitue une défense des Arabes en arguant de leur générosité ancestrale et de leur amour du prochain. Par ailleurs, comme le note Malek Chebel, « Jâhiz est demeuré arabophone à un moment où le snobisme régnant dans les milieux érudits voulait que l'on fût aussi persophone. »

Lire la suite

lundi, 13 février 2017

Le rire du Malin : The Strangers de Na Hong-jin

le comptoir,sylvain métafiot,le rire du malin,the strangers,na hong-jin,polar,fantastique,épouvante,burlesque,gokseong,jong-gu

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Dans la petite ville de Gokseong d’étranges meurtres sont commis : les habitants semblent atteints d’une frénésie barbare qui les fait s’entretuer sans raison apparente. Jong-gu, officier un peu pataud, soupçonne un Japonais reclus dans la forêt d’avoir empoisonné la population au point de la rendre démente.

 

Fasciné par les jeux de pistes dans lesquels s’abîment les tourments humains, Na Hong-jin fait partie de cette nouvelle vague de réalisateurs (avec Kim Jee-woon, Bong Joon-ho et Park Chan-wook) qui redéfinit radicalement les contours du cinéma sud-coréen, en imposant une violence formelle que l’on croyait réservée aux productions japonaises de Takashi Miike, Shinya Tsukamoto ou Sono Sion. The Chaser, son premier long-métrage, figurait déjà une course contre la mort face à un tueur en série dans un Séoul interlope et poisseux. The Murderer, son film suivant, collait aux basques d’un travailleur pauvre pris en chasse par la mafia locale et les autorités chinoises.

 

The Strangers est quant à lui tout simplement magistral dans sa manière de nouer les genres (le burlesque et l’épouvante, le polar et le fantastique) : le ton oscille constamment entre la comédie bouffonne et l’horreur pure, perturbant autant les repères des spectateurs que ceux des personnages. D’où la confusion mentale de l’antihéros qui de simple flic menant sa petite enquête voit toutes ses certitudes, et notamment son rôle de père, voler en éclat sous l’effet de la confrontation au Mal. Contamination, possession, destruction : la vision apocalyptique de Na Hong-jin se décline au pluriel, accentuant l’effroi visuel d’un labyrinthe de ténèbres qui ne semble épargner personne.

 

Sylvain Métafiot

samedi, 04 février 2017

Le poignard et la grâce : The Assassin d'Hou Hsiao-hsien

wu xia pian,Le Comptoir,sylvain métafiot,le poignard et la grâce,the assassin,hou hsiao-hsien

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Il est des films dont la sensualité picturale est si éclatante, la virtuosité scénique si déroutante, que l’œil peine à se réadapter à la triste réalité du monde. The Assassin fait indéniablement partie de ces œuvres qui marquent la rétine d’une beauté persistante longtemps après leur visionnage. « De quel sort avons-nous été victime ? » murmure-t-on en sortant de la salle.

 

Ensorcelé par une magie que l’on croyait oubliée, on peut néanmoins être décontenancé par une intrigue hautement complexe : sous la dynastie chinoise des Tang du IXe siècle, Nie Yinniang, experte en art martiaux, est chargée d’assassiner son cousin Tian Ji’an, gouverneur dissident de la province militaire de Weibo. Problème : Yinniang, malgré sa fidélité à l’ordre des assassins, demeure éprise de Tian Ji’an. C’est sur cette toile de fond politique que se tisse le dilemme moral de Yinniang, contrainte de choisir entre la voie de l’épée et celle du cœur.

 

S’inscrivant dans la noble lignée des wu xia pian (ces films de sabre chinois dont The Blade de Tsui Hark est le plus mémorable représentant), The Assassin a la particularité de reléguer, nonobstant leur maestria, les scènes de combat en arrière-plan de sa fresque historique. Le film se focalise davantage sur les délicates relations qui nouent le destin des personnages, s’attardant sur leurs paisibles activités quotidiennes et leurs manigances obscures, accordant enfin une place centrale aux sentiments contrariés de Yinniang qui l’amèneront à défier son maître et figure maternelle, précipitant son émancipation existentielle.

 

D’une élégance rare, la mise en scène de Hou Hsiao-hsien se fait contemplative, accordant une attention particulière aux détails les plus infimes de ce conte médiéval : le vent dans les arbres, le bruissement des vêtements, le ruissellement de l’eau, le piaillement des oiseaux, le souffle des lames qui s’affrontent. Un souffle calme et assuré qui parcourt de bout en bout ce récit épique, le transportant sur les rives mythiques d’une splendeur filmique que l’on croyait inaccessible.

 

Sylvain Métafiot