Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 25 novembre 2015

Comprendre les attentats du 13 novembre avec Albert Camus

 

Extraits initialement publiés sur Le Comptoir

 

Nous avons choisi de reproduire des extraits de L’Homme révolté d’Albert Camus, dont la publication date du milieu du siècle dernier. La fine analyse du ressentiment qui ne trouve d’autre fin que sa mue en haine et meurtre, ainsi que celles, en filigrane, de nos sociétés modernes et de la perte du sacré, résonnent avec acuité dans l’actualité sordide de ces dernières semaines.


Introduction


comprendre les attentats du 13 novembre avec albert camus,sylvain métafiot,le comptoir,l'homme révolté,anarchistes,terroristes,islamistes,paris,nihilisme,meurtre historique,cain,abel,création et révolutionÀ partir du moment où, faute de caractère, on court se donner une doctrine, dès l’instant où le crime se raisonne, il prolifère comme la raison elle-même, il prend toutes les figures du syllogisme. Il était solitaire comme le cri, le voilà universel comme la science. Hier jugé, il fait la loi aujourd’hui. […] les camps d’esclaves sous la bannière de la liberté, les massacres justifiés par l’amour de l’homme ou le goût de la surhumanité, désemparent, en un sens, le jugement. Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications.


Il s’agit de savoir si l’innocence, à partir du moment où elle agit, ne peut s’empêcher de tuer. Nous ne pouvons agir que dans le moment qui est le nôtre, parmi les hommes qui nous entourent. Nous ne saurons rien tant que nous ne saurons pas si nous avons le droit de tuer cet autre devant nous ou de consentir qu’il soit tué. Puisque toute action aujourd’hui débouche sur le meurtre, direct ou indirect, nous ne pouvons pas agir avant de savoir si, et pourquoi, nous devons donner la mort. […] Au temps de la négation, il pouvait être utile de s’interroger sur le problème du suicide. Au temps des idéologies, il faut se mettre en règle avec le meurtre. Si le meurtre a ses raisons, notre époque et nous-mêmes sommes dans la conséquence. S’il ne les a pas, nous sommes dans la folie et il n’y a pas d’autre issue que de retrouver une conséquence ou de se détourner. Il nous revient, en tout cas, de répondre clairement à la question qui nous est posée, dans le sang et les clameurs du siècle. Car nous sommes à la question. Il y a trente ans, avant de se décider à tuer, on avait beaucoup nié, au point de se nier par le suicide. Dieu triche, tout le monde avec lui, et moi-même, donc je meurs : le suicide était la question. L’idéologie, aujourd’hui, ne nie plus que les autres, seuls tricheurs. C’est alors qu’on tue. À chaque aube, des assassins chamarrés se glissent dans une cellule : le meurtre est la question.
Se détruire n’était rien pour les fous qui se préparaient dans des terriers une mort d’apothéose. L’essentiel était de ne pas se détruire seul et d’entraîner tout un monde avec soi. […] Suicide et meurtre sont ici deux faces d’un même ordre, celui d’une intelligence malheureuse qui préfère à la souffrance d’une condition limitée la noire exaltation où terre et ciel s’anéantissent.


Je crie que je ne crois à rien et que tout est absurde, mais je ne puis douter de mon cri et il me faut au moins croire à ma protestation. La première et la seule évidence qui me soit ainsi donnée, à l’intérieur de l’expérience absurde, est la révolte. Privé de toute science, pressé de tuer ou de consentir qu’on tue, je ne dispose que de cette évidence qui se renforce encore du déchirement où je me trouve. La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l’ordre au milieu du chaos et l’unité au cœur même de ce qui fuit et disparaît. […] Son souci est de transformer. Mais transformer, c’est agir, et agir, demain, sera tuer, alors qu’elle ne sait pas si le meurtre est légitime. Elle engendre justement les actions qu’on lui demande de légitimer. Il faut donc bien que la révolte tire ses raisons d’elle-même, puisqu’elle ne peut les tirer de rien d’autre.


L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est. La question est de savoir si ce refus ne peut l’amener qu’à la destruction des autres et de lui-même, si toute révolte doit s’achever en justification du meurtre universel, ou si, au contraire, sans prétention à une impossible innocence, elle peut découvrir le principe d’une culpabilité raisonnable.

Lire la suite

mercredi, 18 novembre 2015

13 novembre 2015 – le soir des grands perdants

Irak,Califat, Daech,Sylvain Métafiot,Afghanistan,Hans Magnus Enzensberger,terroristes,Paris,massacre,13 novembre 2015,le soir des grands perdants

 

En 2006, Hans Magnus Enzensberger publiait Le Perdant Radical, essai sur les hommes de la terreur. À la suite des attentats à Paris qui ont causé la mort de plus de 130 personnes (dix mois après le massacre du 7 janvier 2015) il nous semble utile de revenir sur quelques extraits de son ouvrage dans lequel il dresse le portrait de ces hommes à la recherche désespérée du bouc émissaire, mégalomanes et assoiffés de vengeance, chez qui s'allient obsession de la virilité et pulsion de mort : les perdants radicaux.

*

« Le raté peut se résigner à son sort, la victime peut demander compensation, le vaincu peut toujours se préparer au prochain round. Le perdant radical, en revanche, prend un chemin distinct, il devient invisible, cultive ses obsessions, accumule ses énergies et attend son heure. [...]

Lire la suite

jeudi, 11 septembre 2008

Les paranos de la théorie du complot

11 septembre… une date anniversaire morbide et funeste, pas seulement pour les Etats-Unis mais pour le monde entier (exception faite des terroristes et de ceux qui les soutiennent). 11septembre2001.jpgPour « fêter » l’événement, notre humoriste vulgaire et beauf préféré, le bien nommé Jean-Marie Bigard, a déclaré sur Europe 1 (5/9) que la destruction du World Trade Center est « un mensonge absolument énorme », « une démolition contrôlée », que « c’est un missile américain qui a frappé le Pentagone » et que les gens de Bush « ont provoqué eux-mêmes ces attaques ». Ainsi, notre grand intellectuel, inventeur du si délicat « lâcher de salopes », non content de nous faire vomir avec son humour de rat d’égout, accrédite la thèse nauséabonde de la théorie du complot initié par le malade mental Thierry Meyssan et qui, malheureusement, recueille un écho favorable considérable sur le Net : Loose Change, le film honteux faisant un carton sur You Tube a pour principale source l’extrême-droite américaine.

Un article de Jean-Baptiste Thoret, intitulé Grand complot, permet de mieux appréhender ce délire paranoïaque. Il a été publié dans Charlie Hebdo à la suite de la déclaration de Le Pen affirmant que les attentats du 11/09/2001 étaient un "incident"…

"Ils", ce sont ceux qui, pour l'amateur de complots, dirigent le monde, mais en sous-main, dictent sa destinée et la marche de l'histoire, décident aujourd'hui d'assassiner Kennedy et fixent demain le prix de la baguette
Vous ne les voyez pas, vous ne les connaissez pas non plus, mais "ils" sont partout, comme les envahisseurs invisibles qui terrorisaient David Vincent ou les insectes imaginaires du récent Bug, de William Friedkin : au plus haut sommet de l'Etat, dans les cabinets ministériels, dans votre entreprise, derrière votre miroir, tout près de chez vous et sans doute même dans votre lit.
L'horizon pathologique de tout "complophile" réside dans la croyance délirante d'une interdépendance globale des événements, du plus grand au plus petit, et tient dans le fantasme d'une totalité aux ramifications multiples et dirigées par un mastermind invisible et surpuissant. Pour lui, un lien encore secret relie forcément les petits gris apparus au Nouveau-Mexique en 1947 et le camion qui percuta la moto de Coluche en 1986. Et en cherchant bien, le 11 septembre 2001 a quelque chose à voir avec la secte du révérend Jim Jones.
Tout récit conspirationniste débute toujours, à l'image des enquêtes hilarantes de Thierry Meyssan, par un déluge de faits, d'anecdotes et de témoignages apparemment indépendants, mais dont "on" va fabriquer le rapport. Pour le fanatique de la théorie du complot, la moindre information est suspecte, la moindre image soupçonnée de trucage, en bref, le monde n'est pas ce qu'il semble être. Dès lors, toute information se retrouve jaugée à l'aune d'une approche systématiquement réticulaire des événements et des signes.
Ainsi, à la question "pourquoi y aurait-il un lien entre X et Y ?" le comploteur décrète de fait l'existence d'un lien (forcément secret) ente deux événements a priori disjoints et s'interroge sur sa nature. D'où la puissance déstabilisatrice de cette rhétorique qui fait naître dans l'esprit faible une question artificielle à laquelle le "complophile", tout armé de sa théorie farfelue, s'empresse de répondre. Comme la propagande totalitaire, telle que l'a analysée Hannah Arendt, la théorie du complot, cousine naturelle d'idéologies délétères, "établit un monde capable de concurrencer le monde réel, dont le grand désavantage est de ne pas être logique, cohérent et organisé". Elle exploite en effet un travers de la psyché humaine : face à l'incomplétude du monde, face à une réalité parfois incompréhensible, on préférera toujours un récit cohérent, aussi délirant soit-il. Comme la nature, notre esprit a horreur du vide. Le "complophile" substitue donc à une réalité trouée et incertaine une fiction pleine et vraisemblable.paranoia.jpg
Or qu'est-ce que le vraisemblable, sinon le produit de ce qui du réel est désiré ? Si les faits sont vérifiables, ce qui les suture relève toujours de la fiction spéculative. C'est la manipulation centrale du genre : comme le paranoïaque, l'amateur de complots n'extrait de la réalité que la matière susceptible d'intégrer sa propre fiction et rejette hors champ tout ce qui pourrait la contrarier. Pour lui, la vérité est ainsi un moment du faux, la manipulation un moment de l'interprétation, et la réalité, un mensonge pas encore découvert.
Le "complophile" ne cherche donc pas plus à imposer une vérité particulière - "ils" lui suffit - qu'à produire la possibilité d'une puissance conspirante qui exploite notre méfiance réflexe à l'égard de tout système dominant et pallie la complexité du monde. D'où l'impossibilité objective de contrer toutes ces théories : dans la bulle autiste du conspirationniste, la vérité ne s'oppose pas au mensonge, mais l'amplifie. Par conséquent, aucune preuve, même la plus indiscutable, ne pourra jamais assécher le désir de complot puisque celui-ci se nourrit précisément de ce qui le contredit. Moralité : plus l'événement est vrai (la Shoah, la guerre du Golf, les massacres du Rwanda, le 11 septembre, etc.) plus il a de chances d'être faux."

Je tiens à préciser que je n’ai aucune sympathie particulière (c’est un euphémisme) pour Georges W. Bush et sa clique de néoconservateurs squattant la Maison Blanche. Qu’on ne vienne pas m’accuser d’être un pro-américain sioniste anti-arabe dissimulateur. Dans le cas contraire cela relève de la médecine…
J’apprend, par ailleurs, que Bigard s’excuse des propos qu’il a tenu en demandant « pardon à tout le monde ». Il regrette qu’on le prenne pour un révisionniste… Il fallait que ce décérébré y pense avant !


Sylvain Métafiot