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mardi, 13 janvier 2015

À mon ami Charlie – 7 janvier 2015

 

 

« Voilà le noyau, le sens de tout le problème, tu ne sais même pas qui, en ce moment, songe peut-être à te tuer. Mets ce titre là si tu veux : Pourquoi nous sommes tous en danger. »
Pier Paolo Pasolini, quelques heures avant son assassinat.

 

 

Charlie hebdo, attentat, islamistes, sylvain Métafiot,Cabu, Charb, Honoré, Maris, Wolinski, Tignous,tristesse,colère,jesuischarlie,prophète mahomet,à mn ami Charlie,7 janvier 2015,La première fois que j’ai lu Charlie Hebdo j’avais 18 ans. Je connaissais le journal de réputation, mon père possédait des vieux exemplaires d’Hara-Kiri, je commençais à lire Le Canard Enchaîné, ma conscience politique s’affirmait…

 

J’ai décidé de m’abonner. Pour me marrer en m’informant. Pour soutenir un journal de gauche. Je l’ai été pendant près de dix ans. Pendant toutes ces années, les dessins et les articles de Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré, Oncle Bernard, Polac, Biard, Luz, Thoret, Pelloux, Riss, Lançon, Val, Cavanna, Nicolino, Siné, Catherine, Sattouf, Fourest, Willem, Jul, Sfar, Fischetti, Kama… furent un joyeux bordel de rires, d’intelligence, d’indignation et de liberté. Une réunion de famille hebdomadaire qui avait pour but de tourner en dérision la connerie humaine.

 

Le lisant à l'université, les caricatures de Mahomet déclenchèrent un vif débat avec des camarades de ma fac d’Économie : musulmans ils se sentaient insultés, je faisais valoir le droit au blasphème et à la caricature même la plus médiocre. Putain…, j’aimais ces échanges fermes mais respectueux où l’on s’engueulait sans haine.


Charlie hebdo, attentat, islamistes, sylvain Métafiot,Cabu, Charb, Honoré, Maris, Wolinski, Tignous,tristesse,colère,jesuischarlie,prophète mahomet,à mn ami Charlie,7 janvier 2015,J'avais rencontré Charb en septembre 2008, lors de la présentation du documentaire « C'est dur d'être aimé par des cons » au cinéma Le Méliès de Saint-Étienne. Il était venu, en compagnie de Daniel Leconte, discuter avec les spectateurs sur la liberté de critiquer l'intégrisme religieux. Je l'avais revu au Forum Libération de Lyon en décembre 2011, répondant toujours calmement aux excités que le vrai racisme serait de croire que les musulmans n’ont pas d’humour, qu’ils ne savent pas rire de la religion, qu’ils ne comprennent pas des caricatures.

 

Au contraire, comme le dit Odieux Connard : « Il faut rire du guerrier qui pense trouver la gloire en s’attaquent à des gens désarmés. Rire de celui qui pense inspirer la crainte en abattant courageusement un homme à terre. Oui, de tout cela, il faudra rire. » Car Cabu, Charb, Honoré, Maris, Wolinski, Tignous et bien d'autres furent lâchement assassinés ce mercredi 7 janvier 2015. Et il faut rire de leurs meurtriers. Mais il y aura toujours une cohorte de fils de putes pour traiter Charlie Hebdo de provocateurs irresponsables, de les accuser de mettre de l'huile sur le feu, de l'avoir, en somme, bien cherché... Comme la fille violée qui l'a bien cherché à s'habiller de façon provocante ou l'homosexuel pendu qui l'a bien cherché en étalant sa déviance.

 

 

 

 

Je me souviens qu'en fac de Droit, je lisais, ostensiblement, Charlie aux premiers rangs de l’amphi,non pas tant par provocation que par fierté. Fier de lire un journal traîné dans la boue, insulté, calomnié et dont les journalistes n’en avaient rien à carrer, marchant droit la tête haute. Ou plutôt en zizag, comme un vieil anar bourré qui se fout de la gueule des passants en chantants des chants révolutionnaires.

 

Charlie, mon vieux poto crado et scandaleux, désolé de m’être éloigné de toi ces dernières années. J’ai l’impression de t’avoir abandonné. Faut dire que t’étais saoulant, parfois, à pisser partout en t’esclaffant comme un diable. Et je serais là pour te soutenir, même titubant, pour arpenter une nouvelle fois cette chienne de vie, larme au poing, sourire en bandoulière.

 

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Charb

 

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Wolinski et Cabu

 

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Bernard Maris

 

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Tignous

 

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 Honoré

 

***

 

Sur les rassemblements du dimanche 11 janvier 2015

 

Liberté Charlie Habdo.jpg

© Martin Argyroglo

 

La mobilisation nationale fut historique, d'une ampleur phénoménale : nous étions 60 000 à Saint-Étienne, 300 000 à Lyon, 1,5 millions à Paris, 4 millions à travers la France. Dignité et respect ! Mais ce fut surtout le grand bal des vertueux : j'y vais mais je me bouche le nez, moi j'y vais pas ça pue trop la récup' politique, moi j'y vais uniquement si je suis à 500 mètres de Nétanyahou ou à 200 mètres de Merkel, moi si je croise les ministres des Affaires étrangères égyptien ou russe je ferme les yeux et je part en courant, moi de toute façon « je suis Charlie » qu'à 60 % moins un tiers, etc.

 

Cela se comprend : certains de ces représentants étrangers bafouent les libertés fondamentales dans leurs pays, arment les terroristes, emprisonnent des journalistes et ils viennent verser des larmes de crocodiles. Leur hypocrisie dégueulasse a malheureusement parasité la manifestation et paralysé nombre de citoyens. C'est dur d'être aimé par des cons, ou « honoré par des crapules » comme le dit Frédéric Schiffter. Mais de quel droit abandonne-t-on nos rues à ces sinistres politicards ? Pourquoi ne pas descendre rejoindre nos amis, nos voisins, nos camarades, nos frères, pour pleurer ensemble et en silence ces hommes et ces femmes assassinés ? Il ne fallait rien céder aux immondes cyniques et certainement pas le droit de battre le pavé !

 

De fait, nous n'avons jamais été aussi nombreux et unis depuis 1945, n'en déplaise aux puristes qui refusaient de communier avec leurs proches en croyant se salir les mains. Les mêmes qui, pourtant, réclament et luttent pour une fraternité, une solidarité et une unité du peuple français... Par ailleurs, et dans une tout autre mesure, n'oublions pas que la pureté est l'apanage des barbares qui exécutent froidement des innocents, celle qui fait passer l'idéologie avant toute chose.

 

Mais face à l'empathie sincère et spontanée, face à la décence ordinaire du peuple, les donneurs de leçon à-qui-on-ne-la-fait, les théoriciens vulgaires, ceux qui brandissent notamment l'amalgame colonialiste de la responsabilité de l'Occident, les récupérateurs de cadavres, les hypocrites opportunistes, les malades complotistes, les va-t-en guerre ravis, bref, ces gens sérieux dont les gros cerveaux bloquent tout sentiment et qui se croit au-dessus de la mêlée, font peine à voir.

 

Comme le remarque judicieusement Bruce Bégout : « C'est étonnant – et contestable – cette opposition systématique et non éclaircie entre émotion et raison, sentiment et réflexion. Ces vieux concepts aident assez peu à rendre compte des formes de compréhension authentique qui semanifestent dans l'attitude affective elle-même. On peut être ému sans suspendre sa lucidité, on peut ressentir des choses fortes sans perdre sa clairvoyance. Il y a une intelligence affective que je nommerai tact, sentiment de saisir spontanément le sens d'une situation et de prendre l'attitude qui convient. Hier, dans le silence, le calme, les sourires, dans la participation à un affect commun pour la ré-affirmation de principes fondamentaux, j'ai ressenti une très grande clarté d'esprit, plus grande en tout cas que celle de nombre d'hommes politiques, de pseudo-experts, de journalistes et de certains usagers des réseaux sociaux. »

 

Et finalement : « Notre vengeance sera le pardon. » (Tomas Borge)

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Pour continuer le combat :

 

Sylvain Métafiot

 

Commentaires

 

Charlie Hebdo islamophobe ? Si vous le dites...

En 2014, parmi les 52 dernières "Une" de Charlie Hebdo Officiel, il y avait :
- 35 "Une" sur les affaires de politique intérieure
- 10 "Une" sur le FN
- 2 "Une" sur les catholiques
- 1 "Une" sur Israël
- 1 "Une" sur l'islam

« Au total, de 2005 à 2015, seulement 1,3 % des "unes" se sont moquées principalement des musulmans. »
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/24/non-charlie-hebdo-n-est-pas-obsede-par-l-islam_4582419_3232.html#xFyWsJqCmH4dK3OV.99

 

Une très intéressante interview de TZVETAN TODOROV : « une liberté sans bornes ne saurait être légitime » :

Pour Tzvetan Todorov, philosophe et essayiste, la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de la presse, défendues dimanche 11 janvier dans la rue, ne peuvent être sans limites et il serait erroné de réduire les événements de la semaine dernière à ce combat.

- Avez-vous été surpris que les Français se mobilisent en si grand nombre, dimanche, pour défendre les valeurs de la République ?

- Tzvetan Todorov : Les Français sont descendus dans la rue d’abord pour exprimer leur indignation devant ces tueries et pour retrouver l’effet rassurant d’appartenir à une grande communauté rejetant la violence qui s’est abattue sur eux.

La formule « Je suis Charlie » permettait à tous de participer, sans trop préciser la nature de l’engagement. Pourtant cette formule, dont je comprends l’attrait, me gêne un peu.

D’abord je la trouve présomptueuse : si « Charlie » désigne les victimes de l’attentat, non, nous ne sommes pas tous équivalents aux victimes, nous n’avions pas pris des positions risquées dans le passé, à la manière des journalistes assassinés. Nous nous attribuons abusivement le statut de victime.

Si l’on pense plutôt aux militants qu’ils étaient, c’est aussi une assimilation abusive : on sait bien que tout le monde n’approuvait pas les choix politiques de ces journalistes.

- Mais au-delà de Charlie Hebdo, n’était-ce pas la liberté d’expression que les manifestants entendaient défendre comme valeur, même si certains ont pu parfois être choqués par certains dessins ?

- T. T. : La liberté d’expression publique, ou liberté des médias, n’est pas une valeur inaliénable, intangible ou non négociable, comme on l’a beaucoup dit ces derniers jours. L’État démocratique est l’expression de la volonté populaire ainsi qu’un protecteur des libertés individuelles, dont la liberté de la presse.

Il doit donc défendre aussi un certain nombre d’autres valeurs, comme la sécurité des citoyens, la paix civile entre eux, la justice, l’égale dignité de tous. Ces valeurs exercent un effet de limitation les unes sur les autres. La politique de l’État est toujours un compromis entre elles.

La liberté de la presse est aussi un pouvoir, or en démocratie, aucun pouvoir sans borne ne saurait être légitime. N’oublions pas que le journal de l’antisémite Édouard Drumont, à la fin du XIXe siècle, s’appelait La libre parole : la liberté, pour lui, consistait à pouvoir dire du mal des juifs.

Beaucoup plus près de nous, les partis xénophobes en Europe se réclament tous de la liberté de la presse pour pouvoir dire impunément tout le mal qu’ils pensent des musulmans habitant leur pays.

Cet objectif n’était pas absent chez les auteurs initiaux des caricatures du prophète, au Danemark : en provoquant l’indignation de la population musulmane, ils voulaient révéler au grand public l’intolérance de cette population.

On devrait toujours s’interroger, quand on défend la liberté de la presse, sur le rapport de pouvoir entre celui qui l’exerce et celui qui la subit. Drumont s’attaquait à une minorité (les juifs) déjà discriminée, il bénéficiait de l’appui de la majorité.

Edward Snowden, qui a révélé grâce à la presse les dérives illégales des agences de surveillance aux États-Unis, est un individu isolé qui a mis en accusation le gouvernement de son pays. Ce sont deux cas différents.

- La liberté de la presse n’est-elle pas consubstantielle à la démocratie ?

- T. T. : Je ne suis pas sûr que les événements tragiques que nous venons de vivre doivent être analysés dans le cadre d’un combat pour ou contre la liberté de la presse. Ce serait isoler l’un d’entre eux, l’attaque du journal, des autres.

Coulibaly, qui agissait en coordination avec les frères Kouachi, déclarait qu’il avait reçu ses instructions de l’organisation dite « État islamique » et il demandait que le gouvernement français retire ses troupes de tous les États à majorité musulmane.

Mohamed Merah n’a jamais évoqué la liberté d’expression. Les assassins de Charlie Hebdo eux-mêmes donnaient une autre justification à leur geste : ils voulaient « venger le prophète ».

Le contexte de ces gestes est lié non à la liberté des médias, mais au conflit entre une forme pervertie de l’islam et quelques gouvernements occidentaux, dont celui de la France, qui la combattent militairement sur le territoire de ces États musulmans.

Si l’on rappelle ce cadre, dont les actes commis en France font partie, on ne peut plus parler, comme on le fait, du « caractère incompréhensible des crimes commis ». Toutes les victimes de ce conflit n’habitent pas la France, loin de là.

- Vous évoquiez dans un récent ouvrage « les ennemis intérieurs » de la démocratie. L’extrémisme religieux, qui engendre le terrorisme, constitue-t-il un de ces ennemis et comment le combattre ?

- T. T. : Non, l’extrémisme religieux, la théocratie, comme par ailleurs l’idéologie totalitaire, sont des ennemis « externes » de la démocratie, ils la combattent ouvertement.

Les ennemis intimes adoptent des attitudes qui se réclament de la démocratie mais en réalité la trahissent, à force de rendre leurs choix absolus et d’ignorer la limitation mutuelle qui doit s’établir entre les différents principes démocratiques. Ainsi du néolibéralisme, qui ne laisse pas de place pour la volonté collective, ou du néoconservatisme, qui veut imposer le bien aux autres à coups de missiles ou d’occupation terrestre de leur pays.

Ces ennemis intimes menacent aujourd’hui la démocratie non moins que ses ennemis déclarés, ce sont eux qui sont responsables, aux États-Unis, de la légalisation de la torture (Abou Ghraib, Guantanamo) ou de la généralisation de la surveillance électronique de la population.

RECUEILLI PAR CÉLINE ROUDEN

 

Bruce Bégout encore, d'une incroyable lucidité :
« Beaucoup de gens se demandent autour de moi si nous ne vivons pas un retour aux années trente. Je me rappelle un excellent article de Gérard Granel qui, il y a de nombreuses années, faisait déjà ce parallèle. Je ne suis pas sûr pour ma part que l'histoire repasse les plats et tout ce qui arrive porte l'inexorable marque de l'originalité, si ennuyeuse et tragique soit-elle parfois. Cependant on peut tout de même tirer une leçon des événements passés afin de mieux comprendre ce qui se trame dans le présent. Il me semble que la gauche révolutionnaire - donc celle qui n'a jamais gouverné - est fortement déstabilisée par la situation géopolitique actuelle. Dans les années trente, elle a été longuement tiraillée entre le combat contre le capitalisme et celui contre le fascisme dans ses diverses versions italienne, espagnole, allemande, japonaise, etc., et pour la branche la plus lucide d'entre elle (Ciliga, Serge, Orwell, etc.) contre le bolchévisme (capitalisme bureaucratique de parti). Il lui a fallu un certain temps pour comprendre qu'elle devait s'associer avec les libéraux (ici pris au sens de partisans du libre marché) contre le nazisme par exemple pour sauver le projet révolutionnaire lui-même et se tourner ensuite contre les libéraux. Elle avait bien conscience qu'en un sens la dérive totalitaire était un fruit du capitalisme et qu'elle demeurait compatible avec lui (cf. la grande bourgeoisie allemande qui, à de rares exceptions, a collaboré avec le nazisme). Mais, comme tout enfant monstrueux, la bête avait échappé à ses parents irresponsables. Je perçois le même tiraillement, et la même hésitation aujourd'hui. Bien évidemment que l'intégrisme est un effet du capitalisme, plus exactement de la révolution capitaliste qui a imposé par la technologie mondialisée et la rationalité creuse de l'homo economicus, l'abstraction du marché contre les traditions, les savoir-faire et les savoir-vivre, et qu'il peut être encore de nos jours instrumentalisé par lui. C'est la réaction d'une partie du monde musulman à la perte des repères et à l'acosmisme moderne qui l'a conduit à faire retour vers un passé et un livre essentialisés (par exemple les frères musulmans dans les années 1920). Toutefois, là encore, cet effet s'est autonomisé, radicalisé et est devenu dangereux. Comme dans les années trente, il n'y a pas, à mon avis, à trier entre les menaces et à choisir celle qui nous déplait le plus. Le combat contre cette intolérance délirante (envers les homosexuels, les mécréants, les athées, les femmes, etc.) n'implique pas la suspension de la critique du capitalisme. Et l'accord a minima avec les libéraux sur les libertés civiles (défense de l'état de droit, de la liberté d'expression, etc.) ne signifie pas le renoncement à la vigilance contre les mécanismes d'assujettissement du marché, lequel, contre l'avis de certains héritiers de l'Ecole de Francfort, n'étend pas l'égalité ni le droit. Le terrorisme, il est aussi dans ce que nous respirons, mangeons, regardons, dans l'urbanisme et la culture, dans la paupérisation et le néo-management. Sous cette forme, il est moins spectaculaire, mais tout aussi nocif à plus long terme. »

 

Excellente réponse de Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo à une tribune d'Olivier Cyran, ex-journaliste du même hebdomadaire : « Si Charlie Hebdo est raciste, alors je le suis »

« Le 5 décembre dernier, j’ai appris par voie de presse que je souffrais d’un terrible mal. Le diagnostic, fait par Olivier Cyran [...] est sans appel : je suis raciste. Étant de citoyenneté française, je me suis inquiétée d’identifier, et vite, avant que le mal ne me ronge davantage, quelles étaient les races susceptibles d’exciter mes anticorps de femme blanche. Mes soupçons se sont naturellement dirigés vers les descendants de ces hordes exotiques dont on dit qu’elles envahissent la Gaule pour manger notre pain, le mien. Les Chinois et dérivés ? Aucune plainte asiatique contre ma personne en ce sens. Les noirs d’Afrique et d’ailleurs ? Il se trouve justement que c’est la couleur de l’homme que j’aime. Les Indiens ? Ça doit également se trouver dans mon palmarès amoureux. Les buveurs de Vodka ? Je rentre tout juste d’une année d’exil slovène, et je n’ai pas particulièrement le souvenir d’avoir été allergique aux charmes slaves. Qui alors ? Les « white » ? Les « blancos » ? Je ne m’aventurerai pas non plus à penser qu’Olivier Cyran puisse être un tenant de la théorie du « racisme anti blancs ». Non. A peine entamée, la lecture de sa tribune, j’ai été rassurée de voir que son diagnostic se voulait plus précis que ça : mon racisme, Dieu –le con– merci, ne vise que les musulmans, et ce dangereux syndrome, je l’aurais attrapé à la Rédaction de Charlie Hebdo. Maladie professionnelle alors. Olivier Cyran étant lui-même un ancien de la maison, que je n’ai hélas jamais eu la joie de rencontrer, puisqu’il a eu, lui, la chance, et à l’en croire les couilles, de se barrer avant que l’infection ne se propage dans le canard, j’ai décidé donc de lui répondre en le tutoyant, puisqu’on se tutoie entre collègues à Charlie.

Olivier, tu pars du postulat que les musulmans, d’Azerbaïdjan, de Bosnie, de Malaisie, d’Egypte ou du Burkina, représentent un tout que l’on peut dénommer « race ». Et bien il se trouve justement que c’est celle à laquelle j’appartiens. Je suis athée et je le revendique ? Peu importe, puisque tu ne nous demandes pas ce qu’on pense, tu parles de racisme, donc de race. On ne va pas tourner autour du pot, car je ne doute pas une seconde que comme moi, tu fasses parfaitement la distinction entre une religion et une race. Si tu commets ce désolant amalgame, c’est parce que tu reprends à ton compte un raccourci sociologique qui trouve son origine dans la démographie française : nos musulmans, ici, ce sont le plus souvent ceux que l’on appelle les « Arabes ». Je commence un peu à comprendre pourquoi tu parles de racisme. Mais soyons tout de même précis ; il ne s’agit pas des Arabes du Liban que l’on croise rarement dans les cités, ni de la minorité arabe Ahwazi persécutée en Iran, mais dont personne n’entend parler en France, et encore moins des Arabes du Qatar qui engraissent LVMH. Non, tu parles plutôt des « Arabes » d’Afrique du Nord, et là aussi, il se trouve que c’est la « race » qui m’a engendrée. D’ailleurs, pour ta gouverne, sache que ces « Arabes » là n’en sont pas toujours. Les plus cultivés en France savent qu’ils sont berbères, mot d’origine grecque, « Barbarus », qui nous désigne nous autres Amazighes, Imazighen, Hommes libres comme nous aimons nous définir. Je suis ainsi triplement légitime pour lever la confusion manifeste dont tu fais preuve lorsque tu identifies ceux que tu prétends défendre : la race musulmane.

Musulmane tu demeureras…

Parmi les individus que tu assignes à cette catégorie raciale, il y a des athées militants, comme moi, forcément laïques. Il y a des athées qui ont d’autres chats à fouetter, laïques aussi. Il y a des athées qui aiment Charlie Hebdo et le soutiennent, d’autres moins ou pas du tout. Il y a des agnostiques, des sceptiques, des libres penseurs, des déistes, laïques aussi. Il y a des croyants non pratiquants, mais politiquement islamistes, des pratiquants laïques, ou encore des « sans avis » qui ne souffrent pas au quotidien à cause de Charlie Hebdo. Il y a des convertis au christianisme, Ô combien laïques, car ils ont subi les affres de la théocratie dans leurs pays d’origine… Et il y a enfin les intégristes, les islamistes militants, les tenants d’une identité définie avant tout par la religion, et ce sont ceux-là que tu as choisi de défendre. Ceux-là, ce sont ceux qui, laïcité oblige, n’ont d’autre choix que de crier au racisme, la larme à l’œil et la main sur le cœur, sous prétexte que leur « sentiment religieux » a été bafoué par un dessin de Charlie. Parmi eux, tu en trouveras beaucoup qui revendiquent la laïcité en France, mais votent Ennahda en Tunisie, qui font leurs courses dans les boucheries Hallal à Paris, mais crieraient au scandale si un hurluberlu décidait d’ouvrir une charcuterie à Djeddah. Qui s’indignent quand une crèche licencie une employée voilée, mais qui se taisent lorsqu’un proche oblige sa fille à porter le voile. Ils sont minoritaires, mais ils sont le standard que tu as choisi pour aligner notre identité à tous.

Trêve de généralités, que je ne pensais pas nécessaires à rappeler à un homme de plume. Si j’ai pris la mienne pour te répondre, ce n’est pas seulement pour me défendre d’être raciste, mais c’est surtout parce que de mémoire de journaliste, j’ai rarement ressenti une tribune comme telle autant que la tienne. Si tu permets à une « Arabe » d’exprimer elle-même ses doléances, laisse-moi te dire que ton discours est même ce qu’il y a de plus raffiné en matière de racisme en France. Rares sont aujourd’hui ceux qui se risqueraient à crier sur les toits « Bougnoulen Raus ! ». Les extrémistes qui le feraient se trouveraient immédiatement conspués par toi, par moi, et par une majorité de Français. Pour commencer, tu cites Bernard Maris, Catherine, Charb, Fourest… Et moi, et moi ? Tu as préféré taire mon nom, alors que ce sont bien mes articles que tu pointes du doigt comme dangereusement « islamophobes », donc, selon toi, forcément racistes. Je me suis franchement demandé pourquoi, et je ne vois que deux options. Soit cela te gênait d’apprendre aux détracteurs de Charlie Hebdo (qui ne peuvent adhérer à ton raisonnement que s’ils ne le lisent pas) que l’auteure de ces insanités racistes appartient justement à la race musulmane. Soit tu n’as simplement pas estimé ma personne digne d’être citée, puisque dans un canard de fachos comme Charlie, je ne peux être que l’Arabe de service. Moi, on m’aurait embauchée pour servir d’alibi, pour que Charlie fasse son quota de diversité, mais tu n’envisages en aucun cas que l’on ait pu m’intégrer à l’équipe simplement pour les mêmes raisons que toi il y a quelques années. Un Olivier, on l’engage forcément pour ses qualités professionnelles, une Zineb, elle, on ne l’engage que par discrimination positive. A moins que tu ne m’aies « épargnée » parce qu’avec moi, tu n’as aucun compte personnel à régler, contrairement à une bonne partie de tes anciens collègues. Dans ce cas là, j’engagerais les lecteurs à chercher les motivations de ta tribune ailleurs que dans le débat d’idées.

Racisme par omission

Une Zineb qui crache sur l’islam, ça te dépasse hein ? ça te déconcerte tant que tu as préféré ne pas me citer, pour ne pas introduire le doute quant à la véracité du procès de racisme que tu nous fais, nous les journalistes de Charlie. Si l’expression « cracher sur l’islam » te choque, laisse moi là aussi te répondre. Pourquoi diable un « blanc » qui crache sur le christianisme serait un anticlérical, mais une Arabe qui crache sur l’islam serait, elle, une aliénée, un alibi, une Arabe de service, une incohérence que l’on préfère même ne pas citer ? Pourquoi ? Penses-tu que les gens de ma race et moi même soyons congénitalement hermétiques aux idées, universellement partagées, d’athéisme et d’anticléricalisme ? Ou bien penses-tu que contrairement aux autres peuples, notre identité soit uniquement structurée par la religion ? Que reste-t-il d’un Arabe lorsqu’il n’a plus l’islam ? A t’entendre, les gens comme moi seraient des espèces de harkis du coran, des traîtres si profondément rongés par un complexe racial qu’ils ne nourrissent qu’un seul regret, celui de ne pas être nés blanc. Mais moi, mon interaction avec les musulmans et les Arabes ne date pas de la marche des beurs. Je suis ce qu’on appelle une blédarde, née au Maroc d’un père indigène et d’une mère française. C’est là-bas que j’ai été scolarisée et que j’ai commencé à exercer le métier de journaliste dans un hebdomadaire fermé par le régime en 2010. Mes collègues du bled t’expliqueront comment, en 2006, l’Etat policier du Maroc, qui avait d’autres comptes à régler avec nous, a organisé une fausse manifestation d’islamistes en bas de la rédaction du Journal Hebdo, accusé d’avoir publié les caricatures de Charlie. En réalité, il s’agissait d’une photo d’un inconnu attablé à une terrasse de café et tenant dans ses mains un numéro de Charlie Hebdo. Je t’informe d’ailleurs que ta tribune dans Article11 a été reprise par des sites marocains, le même genre de sites qui ne s’aventurera jamais à mettre son nez dans une affaire de corruption impliquant le roi par exemple. Je ne te cache pas que sur ce coup, tu n’as pas seulement fait plaisir aux islamistes, mais aussi à la dictature marocaine qui m’a poussée moi-même et plusieurs de mes confrères sur les chemins de l’exil, mais qui continue à nous traquer, nous les journalistes indépendants, comme des traîtres à la nation, des suppôts de puissances étrangères hostiles au Maroc, voire à l’islam. Une tribune comme la tienne vaudrait son pesant d’or pour la barbouzerie makhzenienne qui a commandité il y a quelques mois un « dossier » à charge de Charlie dans un journal de caniveau de Casablanca. On y apprend notamment que l’attaque de notre siège au cocktail Molotov en novembre 2011 serait une arnaque à l’assurance, et que Charb roule en Ferrari grâce à tout le pognon qu’on se fait. Je ne sais pas si t’as eu de ses nouvelles depuis que t’as quitté le journal, mais sache qu’il n’a toujours pas passé son permis. Dans un autre article marocain sur Charlie, j’ai appris que j’y avais été embauchée parce que j’aurais couché avec Caroline Fourest et que mes reportages étaient financés par les services secrets algériens, espagnols, israéliens… Manifestement, une bougnoule ne peut vraiment pas être recrutée pour les mêmes raisons qu’un Olivier.

Je sais mon vieux que tu n’as rien à voir avec toute cette racaille journalistique qui sert la dictature de Mohammed VI, mais je souhaite simplement de montrer à qui tu fais plaisir, si mes papiers à moi sur l’islam peuvent faire plaisir au passage à quelques membres du FN.

Tu vois Olivier, moi, blédarde née au bled, assignée malgré moi à une case religieuse, pas seulement par toi, mais surtout par un Etat théocratique qui ne me laisse pas le choix de ma foi et qui régit mon statut personnel par des lois religieuses, je me suis toujours demandé pourquoi des gars comme toi se couchent devant la propagande islamiste. Moi, les lois de mon pays ne m’accordent pas le quart des droits que tu as acquis à ta naissance, et si je me faisais agresser ou violer dans les rues de Casa par un barbu, comme cela m’a été promis dans des centaines de mails –jamais pris au sérieux par la police marocaine- les sites qui ont repris ta tribune diront certainement que je l’ai cherché, puisque je ne respecte pas l’islam. Et toi, ici en France, dans un Etat laïque, tu ressasses sans en cerner toute la teneur ce discours moralisateur selon lequel il faudrait « respecter l’islam », comme le réclament des islamistes qui ne se demandent pas si l’islam respecte les autres religions, et les autres tout court. Pourquoi diable devrais-je respecter l’islam ? Il me respecte lui ? Le jour où l’islam manifestera un tant soit peu d’estime envers les femmes d’abord, et envers les libres penseurs ensuite, je te promets de revoir mes positions.

Le FN ? Connais pas.

C’est pour voir ce jour-là que je me bats auprès de tous les athées du Maroc, de Tunisie, d’Egypte ou de Palestine, et non pour faire plaisir au FN comme tu l’expliques dans ta tribune. Car crois-moi, beaucoup de virulents athées du monde arabe, si virulents qu’ils séjournent régulièrement en taule pour blasphème, n’ont jamais entendu parler de Marine Le Pen, et se foutent comme de l’an mil de savoir si leur discours plait à l’Extrême droite française, occupés qu’ils sont à combattre la leur : l’islamisme. Si tu nous le permets, à nous autres « islamophobes » de race musulmane, nous pensons que l’émancipation de nos sociétés passera forcément par l’affranchissement du joug de la religion d’Etat. Comme l’islam l’est à peu près partout dans les pays dits arabes, tu y trouves aussi une forte opposition à la théocratie, qui se nourrit aussi bien de l’universel de la séparation des pouvoirs que du scepticisme et de l’historicisation des sources islamiques. Nous nous permettons à peu près tout, comme par exemple de penser que Mahomet, et même Allah, ne sont pas irreprésentables. Caricatures, parodies de versets coraniques ou de hadiths, il suffit d’aller faire un tour sur nos forums pour y voir que Charlie n’est pas précurseur en la matière.

Faut nous comprendre, car vois-tu, des siècles après sa mort, Mahomet nous impose encore sa loi. Il est en quelque sorte le chef d’Etat perpétuel de cette oumma qui nous ôte notre liberté de penser, ou qui m’interdit à moi par exemple d’hériter à égalité avec mes frères ou encore d’épouser l’homme de mon choix. Pourquoi voudrais-tu, toi le contestataire, qu’un homme ayant autant de pouvoir que lui puisse se soustraire à la critique ? D’autant que lorsque je te parle de lois, je ne fais pas référence à d’obsolètes décrets coraniques, mais bien au droit positif de nos pays, au code civil qui régit nos mariages, divorces, héritages, gardes d’enfants, etc. Oui, c’est Mahomet, au nom d’Allah, qui en décide, et non pas nous autres hommes libres égaux à toi. Pour toutes ces raisons, laisse moi te dire que ce ne sont pas les représentants du culte islamique en Europe, dont tu entérines ces sornettes de « respect de l’islam », et qui, eux, profitent bien des joies de la laïcité, qui viendront fixer les limites de notre liberté d’expression. Ne te méprends pas Olivier, car l’antiracisme est bien du côté de Charlie Hebdo qui ouvre ses colonnes à des gens comme moi, qui ne peuvent s’exprimer dans leur pays sous peine de prison ou d’agression, plutôt que de ton côté à toi qui consens à livrer toute la « race musulmane » à son clergé autoproclamé. Charlie a conscience du bouillonnement intellectuel et idéologique qui anime le monde musulman, il a compris qu’une guerre s’y livrait entre la liberté et la dictature politico-islamiste, qu’elle date d’avant ou d’après les printemps arabes, et Charlie a tout simplement choisi son camp : le nôtre, le sien, celui des anticléricaux. Si le blasphème est un droit acquis par les héritiers de la civilisation chrétienne, pourquoi le dénies-tu aux musulmans ? Pourquoi l’Etat islamique serait-il acceptable en Tunisie ou en Egypte, mais pas en France ? N’est-ce pas cela, le racisme ?

Procès en racisme, ou l’art de museler la critique

Loin de moi l’idée de te faire endosser cette analyse, car bien qu’elle découle logiquement de ta lecture, je n’irai pas jusqu’à dire que tu l’adopterais. J’ai tenté de déceler les raisons qui t’ont fait commettre un tel écueil, et je les ai trouvées dans un autre raccourci qui sert de ciment à ton raisonnement. « Peu m’importent le voile, les talons hauts ou même le tee-shirt Camaïeu made in Bangladesh, du moment que la personne dessous, dessus ou dedans mérite le respect », disais-tu dans ta tribune. L’honorable intention philanthropique que tu montres fait malheureusement l’amalgame entre la critique des idées et celle des personnes. Faut-il rappeler que le fondement de toute rhétorique saine, c’est de ne jamais faire d’argumentum ad hominem. Inversement, honnir une idée ne doit jamais mener à sa personnification. Critiquer le voile ne revient pas à humilier chaque femme voilée, pas plus que critiquer l’islam ne revient à conspuer chaque musulman. Les femmes voilées de ma famille sont moins susceptibles que toi à cet égard. Bien que je ne me cache pas de mon aversion pour le bout de tissu qu’elles portent sur la tête, elles ont compris que cela n’enlevait rien à l’affection et au respect que je peux leur témoigner –ou pas- pour des raisons simplement humaines. En faisant ce raccourci, tu reprends encore une fois à ton compte les arguments des chiens de garde de l’islamophobie. Privés des lois canoniques qui leur servent d’outil de pouvoir dans les pays musulmans, ils se ruent sur les lois anti raciales en France pour faire taire les détracteurs de leurs croyances. Ils se tuent alors à vouloir nous faire admettre que critiquer le voile revient à dénier leur dignité à celles qui le portent, et que c’est donc du racisme. Critiquer Mahomet, c’est humilier chaque musulman à titre individuel, et c’est donc du racisme. Voilà leur équation, et toi, Olivier, tu as mordu à l’hameçon.

Pas moi, car le spectre du racisme que tu crains tant que tu adoubes les thèses de l’extrême droite islamique et que tu jettes la pierre à tes anciens collègues pour échapper à toute suspicion, ce spectre là, je ne le crains pas. Il est si absurde de me soupçonner de racisme que même toi, tu as préféré censurer mon nom dans ta tribune, alors que tu as cité tous les autres. Ton texte, moi l’Arabe dont tu as préféré ne pas citer le nom, je l’ai ressenti comme raciste aussi parce que tu m’obliges moi, l’Arabe, à défendre mes collègues les blancs. Pourquoi dois-je avoir plus de légitimité qu’eux à porter ces idées ? Pourquoi ta tribune exige-t-elle de moi de te rappeler mon nom et mon identité ? Je t’engage à y réfléchir. Tu me dénies le droit de critiquer la religion que j’ai étudiée comme matière obligatoire à l’école de la maternelle au bac, et qui aujourd’hui encore, m’interdit de prendre la même chambre d’hôtel que mon mec quand je veux passer un week-end à Marrakech, sous prétexte qu’on n’a pas un acte de fornication légal signé par Mahomet. Quant à mes collègues de Charlie, ils doivent carrément se la fermer ou dessiner des sapins de noël à chaque fois qu’il leur prend de vouloir critiquer la dictature de l’islam, sous prétexte qu’ils sont blancs. Belle définition de l’anti-racisme.

Si tu n’as rien lu d’autre que Malek Chebel, puisqu’il est le tenant le plus vulgarisé de l’islam-religion-de-paix-et-d’amour, je te conseille vivement de t’acheter un bouquin de Sira d’abord pour te faire une idée toi même des enseignements de Mahomet, et tu me diras après si tu trouves toujours ça dégueulasse qu’on les critique. Sinon, va carrément faire un tour dans les librairies salafistes qui font florès en région parisienne, et tu me diras si tu penses toujours que la haine est du côté de Charlie Hebdo. D’ailleurs, reconnais que l’augmentation de leur nombre depuis une quinzaine d’années –date à laquelle, dis-tu, Charlie a curieusement commencé à s’y intéresser- ne correspond en rien à une éventuelle explosion démographique des musulmans en France, mais plutôt à une dérive idéologique, financée à coup de pétrodollars, qui touche une minorité radicalisée de ces musulmans.

Esprits éclairés, apprenez l’islam !

Tu trouveras dans ces livres bien des perles, comme le mariage de jouissance (Zawaj al-Mut’a). Pratiqué en temps de guerre par les musulmans, ce contrat de mariage unilatéral, puisque c’est le guerrier vainqueur qui en décide, peut durer une heure, deux heures ou quelques jours, et est censé permettre aux combattants d’Allah de se vider les couilles (pardonne la grivoiserie, mais c’est impossible d’appeler cela autrement) pendant leurs razzias. C’est cela semble-t-il, qui s’est produit en Syrie, avec cette indémêlable histoire de djihad sexuel. Dans ta tribune, tu as cité un article dans Charlie, dont je suis l’auteure, qui aborde ce sujet, et que tu as qualifié de « pseudo enquête » fondée sur une abominable rumeur islamophobe. Je te concède que ni toi, ni moi, n’avons été sur place pour constater la pratique, vu les conditions difficiles d’exercice du journalisme en Syrie en ce moment. Mais pour toi, il a suffi que Mohamed al-Arifi nie la fatwa qui lui a été attribuée et qui appelait à ravitailler les djihadistes en femmes, pour que tout ceci n’ait plus aucun fondement. Penses-tu que le FIS en Algérie ou al-Qaïda partout ailleurs aient attendu al-Arifi pour se servir ? […] D’ailleurs, tu as également fait référence à un autre de mes articles –toujours sans me citer- dont tu as retenu le chapô pour illustrer la dangereuse dérive nationaliste de Charlie Hebdo. Pour toi, ce texte qui parle d’un groupe de salafistes belges dénoncerait le danger d’invasion de notre occident chrétien par les hordes barbares musulmanes. « Les frites seront-elle bientôt toutes halal ? », me demandais-je. T’as simplement oublié de rappeler que le héro burlesque de mon papier est un Belge converti du nom de Jean-Louis, alias le soumis. Nulle question de racisme alors, mais bien d’intégrisme. Depuis la sortie de cet article, le grand rouquin a été arrêté pour cause de cellule de recrutement pour le djihad en Syrie. A croire que je n’avais pas totalement tort de m’intéresser à son cas.

Tu vois Olivier, ce Charlie qui n’était résolument pas raciste lorsque tu y officiais, et qui le serait inexorablement devenu depuis que tu l’as quitté, n’a pas de leçons d’anti racisme à recevoir de toi, et c’est l’Arabe qui te le dis. Moi, je n’ai pas bossé avec Val, et je ne sais pas si comme tu l’as fait, j’aurais été capable d’écouter l’éloge d’Israël, Etat colonial et raciste, à chaque réunion de rédaction pour garder mon job. Moi, c’est bien avec la plume de Charb, l’une des plus pro palestiniennes de la presse française, que je trouve mes affinités. Charb, à cause de ce lynchage auquel tu contribues aussi par la confusion de tes idées, est aujourd’hui menacé par al-Qaïda et vit sous protection policière. De quel côté est la haine alors ? »

 

Très intelligente réponse de Pierre Boyer à l'hallucinant texte de Pacôme Thiellement :

« Un texte de Pacôme Thiellement, intitulé « Nous sommes tous des hypocrites », connaît en ce moment un certain succès sur les réseaux sociaux ; il a été publié sur le site Les mots sont importants (http://lmsi.net/Nous-sommes-tous-des-hypocrites) — site fort mal nommé en l’occurrence, puisque la seule publication de ce texte témoigne d’un aveuglement extrême quant au langage et aux schèmes théoriques qu’il mobilise, et qui doivent beaucoup plus au traditionalisme radicalement antidémocratique d’un René Guénon qu’à une quelconque tradition de gauche, qu’elle soit socialiste, anarchiste ou marxiste (au sens du marxisme de Marx, et non de celui de Staline).

Il y a quarante ans, ce texte dont il faut bien dire qu’il est abject n’aurait sans doute retenu l’attention que de quelques irrationalistes exaltés ; aucun citoyen engagé à gauche ne s’y serait reconnu. Les temps ont changé ; toute une culture politique s’est effondrée, et la confusion des esprits est telle qu’un discours rouge-brun (c’est-à-dire : brun), dont Dieudonné et Soral sont les exemples les plus connus, ne cesse de gagner du terrain. Des gens qui se croient « rouges », et dont les luttes concrètes sont souvent justes, ne perçoivent plus la différence des couleurs. Le texte de Thiellement est un très inquiétant symptôme de ce brouillage des perceptions ; il est lui-même un bon exemple de ces rhétoriques qui conduisent, sans qu’on en ait conscience, à passer du rouge au brun.

« Nous sommes tous des hypocrites », écrit Thiellement, « parce que nous prétendons que les terroristes se sont attaqués à la liberté d’expression, en tirant à la kalachnikov sur l’équipe de Charlie Hebdo, alors qu’en réalité, ils se sont attaqués à des bourgeois donneurs de leçon pleins de bonne conscience, c’est-à-dire des hypocrites, c’est-à-dire nous. Et à chaque fois qu’une explosion terroriste aura lieu, quand bien même la victime serait votre mari, votre épouse, votre fils, votre mère, et quelque soit le degré de votre chagrin et de votre révolte, pensez que ces attentats ne sont pas aveugles. La personne qui est visée, pas de doute, c’est bien nous. C’est-à-dire le type qui a cautionné la merde dans laquelle on tient une immense partie du globe depuis quarante ans. Et qui continue à la cautionner. »

Lisons bien. Qu’importe le fait que les terroristes s’en soient pris délibérément à des caricaturistes qui n’ont cessé d’attaquer le FN et les politiques néo-libérales, ainsi qu’à des juifs jugés coupables d’être juifs. Cela n’est rien. « Ces attentats ne sont pas aveugles ». Ils ont une cible, correctement identifiée : « nous ». « Nous », complices du « cauchemar néo-conservateur ». Nous qui « avons cru héroïque de cautionner les caricatures de Mahomet » et « refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère ». Nous qui avons « attaqué l’Irak, la Libye, la Syrie » — relevons au passage un formidable scoop : nous apprenons que la France ne s’est pas opposée aux USA sur le dossier irakien et a participé aux opérations dont elle a été le principal adversaire.

Il y a donc « nous tous », tous complices, et « eux », exactement comme dans les discours de l’extrême-droite identitaire.

Finie l’analyse de la dynamique du Capital, de son échelle nationale et internationale, de la transformation des rapports de production, des contradictions qui traversent les modes de production, de l’articulation complexe et dialectique entre exploitation, oppression, domination et aliénation, des surdéterminations où sont prises les luttes sociales, de l’autonomie relative des idéologies : nous n’avons plus besoin de tout cela. « Nous tous » : les prolétaires exploités dont certains lisaient Charlie, les précaires et les intermittents, les classes moyennes victimes elles aussi de la destruction de l’Etat social et de l’explosion des inégalités, les enseignants qui ont cautionné le néo-conservatisme en votant Mélenchon, les électeurs pauvres du Front national, les expatriés fiscaux, les travailleurs sociaux, les banquiers, etc., etc. — tout cela, c’est du pareil au même. Tous également coupables. Coupables d’avoir cautionné des blasphèmes humiliants pour les pauvres.
Coupables d’appartenir à l’Occident. Car dans un tel discours, la seule catégorie opératoire est « l’Occident » où tout se vaut, exactement comme dans le discours des identitaires la seule catégorie opératoire est « l’islam » où tout s’équivaut. Cette haine d’un Occident indifférencié n’est que la copie inversée de la « défense de l’Occident » de sinistre mémoire : elle n’est que la forme prise, dans la postérité de René Guenon, par un discours qui a commencé chez Joseph de Maistre et dans les formes les plus radicalement réactionnaires de la contre-révolution.

Il n’y a plus à analyser les contradictions sociales ; il n’y a plus à critiquer les aliénations qui conduisent certains, comme disait Spinoza, à « combattre pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut » ; il ne faut plus contester les idéologies réactionnaires qui enferment les opprimés dans leur oppression ; il ne faut plus rechercher les zones de faille de la domination où pourraient s’inscrire des luttes sociales collectives ; non : il faut céder au lyrisme de l’apocalypse qui décrit les événements comme le châtiment immanent d’une culpabilité nationale.

Comment se fait-il qu’un site comme « Les mots sont importants » ne voit pas ce qui crève les yeux : que ce discours repose sur les mêmes mécanismes logiques que ceux qui essentialisent l’islam et en font la source de tous les maux ? Tout occidental est complice et coupable de l’état du monde ? Mais alors, symétriquement, tout musulman est complice et coupable du terrorisme djihadiste. Mais alors, tous ceux qui critiquent l’islamophobie sont solidaires de l’Arabie saoudite, qui vient de condamner un simple blogueur, Raif Badawi, à mille coups de fouets pour « insulte à l’islam ». Quiconque s’oppose aux discriminations qui frappent les musulmans est un complice du Qatar, et l’islam dans son entier n’est rien d’autre qu’un système de complicité avec une idéologie réactionnaire et obscurantiste au service des pétromonarchies, c’est-à-dire de l’ordre capitaliste le plus dur.
Il est permis de dire que Charlie Hebdo n’est qu’une pièce d’un dispositif de ségrégation dont le Front national est une autre pièce ? Mais alors il doit aussi être permis de dire que le terrorisme djihadiste n’est qu’une pièce d’un dispositif de négation religieuse de la liberté dont l’islam modéré est une autre pièce.

Ce discours est absurde et dangereux ? Oui. Mais ni plus ni moins que celui de Thiellement. C’est le même discours. C’est la même folie des amalgames. C’est la même renonciation aux outils de la critique sociale au profit d’un discours apocalyptique, d’une théologie politique hallucinée qui fantasme le terroriste comme un ange exterminateur venu nous faire payer nos péchés. C’est la reproduction, sous une forme prétendument de gauche, du discours de Joseph de Maistre qui voyait dans la Révolution française la punition, elle-même coupable, des péchés et de la culpabilité collective de la France.

« Bienvenue dans les années de plomb », s’exclame Thiellement à la fin de son texte de plomb. En effet. Sa rhétorique pourrait bel et bien annoncer des années de plomb : des années où toute pensée de gauche, c’est-à-dire tout projet d’émancipation, aurait disparu, sous la double pression de la trahison néo-libérale de la gauche gouvernementale d’une part, et d’autre part de la conversion de la gauche radicale à une mystique de la culpabilité collective et de l’expiation, à une pensée anti-dialectique du « Nous » et du « Eux », de « l’Occident » et de son Autre, à une essentialisation du Mal symétrique et complice des essentialisations racistes et nationalistes.
Face aux années de plomb qui viennent peut-être, Thiellement nous propose d’entrer en état d’hébétude intellectuelle et de laisser agir en nous les schèmes les plus profonds de la tradition contre-révolutionnaire. Qu’une telle réponse puisse fasciner une partie de la gauche doit nous inquiéter. »

 

Je suis Charlie.

Merci pour ce bel article

 

Kamel Daoud à propos des délires complotistes :

« La théorie du complot : un banc public pour faire asseoir les peuples

Un autre ciel, un autre jour. Le fleuve le plus long du monde est Internet. Il coule hors du temps, d'un méridien à l'autre, gambadant sur les créneaux et les insomnies. De quoi y parle-t-on chez nous dans nos têtes ? du complot. Cette vaste théorie qui permet de ne rien faire, de juger le monde sans se juger, de parler pour ne rien dire et dire pour ne rien faire et accuser sans s'accuser et s'expliquer sans agir. La théorie du complot est la théorie favorite du monde dit « arabe », partout, depuis quelques temps. Tout ce qui se passe et se passera, selon les « complotophiles », est l'œuvre du sombre juif, du sionisme mondial, de l'Occident, des ennemis de l'islam ou du Club universel occulte, des forces noirs, des enfants de De Gaulle, de la CIA. Rien n'est notre faute à nous qui tuons nos terres par nos mains et nos crachats. Nous sommes tous manipulés et notre intelligence se limite à le signaler tout le temps au lieu d'en changer l'état. Car le théoricien de la « manipulation » ne fait rien contre la « manipulation » sauf répéter que c'est une manipulation. C'est une règle.

Quand on désigne l'islamisme comme source du mal, c'est l'Occident qui est inculpé et la cause est qu'il nous envie cette religion qu'il veut salir ou nous voler. Quand Daech tue en direct, on trouve des « failles » dans les vidéos de décapitations et on enjambe le crime par une collection de ricanements. Quand les frères Kouachi tirent dans le tas, on s'attarde sur les rétroviseurs et un carte d'identité oubliée dans une voiture. On oublie que l'un des meurtriers a même fait tomber l'une de ses chaussures et qu'il s'est baissé pour la ramasser en live et directe sur les images. Quand un alpiniste français est décapité, on accuse les « Services » ou un clan ou les ennemis de l'Islam Pur. Quand les autres marchent sur la lune, on plisse les yeux pour en douter comme des crocodiles nageant à sec. C'est ainsi, le complot est une vue de l'esprit ? Non, c'est juste qu'il faut appeler les choses par leur noms : suprématie, intelligence, études, stratégies. C'est la cause de la suprématie de L'Occident sur les esprits faibles et les nations fictives. Si on est manipulé c'est qu'on est faible et manipulables et malades et tordus et geignards. Donc la cause du mal n'est pas la manipulation mais le manipulé. Un argument qu'il faut répéter au complotiste en guise de premiers pas dans la thérapie de groupe pour les nations dites « arabes ».

Pour le reste, on arrête d'en déblatérer. La Palestine ? Et bien il faut construire un pays fort pour l'aider au lieu de jouer au photocopieur de la théorie sioniste, du cri « mort au juif ». On s'émeut pour 17 morts en France et pas pour 2000 morts au Nigéria ? Oui et toi tu as fais quoi pour ces 2000 morts ? Tu es sorti marcher et dénoncer ? Non. Le « complotiste » a pour sport favori de dénoncer les « dénonceurs », pas le mal. L'Occident est fourbe ? Mais bon sang l'occident est une nature, un empire. Il n'est ni juste ni injuste ; il est. On le subit parce qu'on n'a pas les moyens de lui tenir tête. Il faut arrêter d'en attendre une morale ou d'en espérer une sainteté. Un empire n'est pas un saint, mais une géographie qui mange les histoires des autres et les dévore. La France ? Chapitre favori des théoriciens du complot en Algérie.

Tout est la faute de la France. Oui ? Non : avant la France on était quoi ? Qui ? Une nation forte ? Une civilisation ? Un empire ? Une conquête de l'espace ? Et après la France ? On a fait de ce pays une Suisse ? Non. Et la liste est longue. Infinie en boucle dans la bouche de l'assis qui regarde le monde avec les yeux plissés et l'âme salissante. Fatigué de ce réflexe de déni qui sert aux « arabes » comme pagne pour cacher la cavité vide du crâne. Fatigués et en colère. C'en est devenu une névrose. Misère spirituelle. Panne de la source. Laideur des visages. »

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