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jeudi, 28 février 2013

Cinéma : paye ta place à 15 euros, sale pauvre !


 

Article initialement paru sur RAGEMAG

 

L’info est passée relativement inaperçue et, pourtant, symptôme parmi d’autres d’une putasserie capitaliste, elle mérite qu’on s’y arrête : le Pathé Wepler, à Paris, inaugure le ciné à deux vitesses en proposant des billets premium pour 2 euros de plus. En gros, si après une journée de boulot tu décides d’emmener Cynthia, la nouvelle stagiaire, se faire une toile et que t’aimerais être bien posé (c’est-à-dire au centre de la rangée principale), eh ben il faudra raquer 2 euros en rab. Sinon ? Tu seras relégué aux tréfonds de la salle comme un vulgaire clodo incontinent.


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Le futur


Carré VIP pour cinéphiles bling-bling


Rappelons que la place de ciné coûte, en moyenne, 10 euros en tarif normal. Si en plus le film est en 3D, il faut débourser 2 voire 3 euros de plus pour avoir l’air d’un parfait crétin et choper un mal de crâne pire qu’un lendemain de cuite avec Bradley Cooper. Encore une invention à la con. Petite info au passage : les scénarios ne s’améliorent pas avec la 3D ! Un film moisi en 2D le restera avec une dimension supplémentaire. Même avec la 3D, même sur un écran IMAX diffuseur d’arôme te fouettant le visage des embruns salés de la sueur d’aisselle de Kate Winslet, Titanic restera une bouse infâme.

 

Si on ajoute à tout cela les 2 euros de la place premium, c’est le jackpot, gros ! Tu peux clairement te pavaner comme un sale bourgeois en toisant les boloss engoncés dans leur minable siège en mousse. Au point où tu en es, tu peux même faire péter le pot de pop-corn à 4 euros et faire chier tes voisins en mâchouillant de contentement ton maïs soufflé hors de prix. La place premium ça pose son homme.

 

À 15 euros la place de ciné, on s’étonne ensuite que de fieffés pirates ne décollent plus le cul de leur canap’ en sky pour mater Skyfall ou pioncer devant le dernier Haneke. Mais bon, quand les mêmes font le pied de grue devant l’Apple Store pour claquer plus de 600 boules pour le dernier iPhone, on peut se demander s’ils ne se foutent pas un petit peu de notre gueule. Mais nous nous égarons.

 

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Le progrès


Recette du chef : cuisiner le spectateur servile


Le patron des Cinémas Gaumont Pathé, François Ivernel, ne voit aucun problème à cette segmentation dans les salles obscures : « On voit entièrement l’écran où que l’on se place, toutes les places sont donc bonnes en termes d’accès au contenu. Ensuite, on peut choisir de s’offrir le luxe de payer deux euros supplémentaires… » Bah oui, bien sûr, pourquoi ne pas payer plus cher les mêmes places que l’on occupait auparavant ? Certes les sièges sont de meilleure qualité, l’espace est plus confortable, le dossier est inclinable… On veut se sentir bien, comme à la maison. Il ne manque plus que la fonction massage et la pipe de l’hôtesse et ça y est, on est chez soi, devant le film du dimanche soir sur TF1, avec bobonne calée entre les cuisses.

 

Par ailleurs, si on suit la logique du boss de Pathé, pourquoi ne pas payer moins cher les places moins bien situées ? Impossible, vous répondrait-il, car cette logique se heurte à une autre, prédominante, que l’on peut résumer en ces termes : « Si on gagne moins de pognon, tu peux te la foutre au fion ! »

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Décapitons Pathé !

 

La conception démocratique du cinéma comme espace populaire où l’on se retrouve avec des inconnus (qui sont aussi des semblables réunis autour d’une même passion) pour voir un film ensemble, sans aucune distinction sociale, est tout simplement mise à mal par cette initiative. Car si l’égalité devant le prix des places de ciné n’existe plus depuis belle lurette du fait des réductions liées à l’âge, à l’abonnement, etc., les spectateurs n’étaient pas séparés pour autant. Avec les places premium, on élève une véritable barrière sociale entre les nantis et les prolos des salles obscures.

 

Pourtant, à n’en pas douter, ce système va se développer puisque les cons y adhèrent. La majorité des spectateurs y est en effet favorable, et de nouvelles salles vont voir le jour à Caen et à Paris Beaugrenelle. Les cons, c’est simple, tu leur fais payer plus cher ce qu’ils possédaient déjà, en y ajoutant deux ou trois gadgets, et ils piaffent de joie comme des gosses le jour de Noël. Le papier cadeau, c’est le langage des libéraux qui parlent non pas de logique à deux vitesses (horreur !) mais de « diversification de l’offre ». C’est beau comme du Alain Minc. Et ça sonne tellement mieux à l’oreille du consommateur qui a l’impression que l’on prend soin de lui en élargissant sa gamme de désirs. Brave petit con, va.

 

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Spectateurs avides d'essayer les nouveaux sièges du Pathé

 

Quant aux réticents qui rechignent à cautionner un tel système, ils finiront, au gré du temps, par l’accepter, tout comme la grenouille finit par trouver agréable l’eau bouillante dans laquelle elle bout progressivement. N’avons-nous pas, par lassitude, accepté la remise en cause de nombre d’acquis sociaux depuis plus de vingt ans ?

 

Le système de marché a violemment déformé les vues sur l’homme et la société. L’homme y est un objet de production. C’est là la singularité du néo-libéralisme du XXe siècle. En effet, il y a une grosse différence entre le libéralisme du XIXe siècle, en tant que naturaliste et autorégulateur, et le néo-libéralisme qui souhaite réguler la société par le marché, y compris les politiques sociales. Cela demeure un idéal car, dans les formes, la régulation de l’État reste toujours présente, même si elle tend à diminuer de plus en plus. Un film illustre parfaitement cette sauvagerie libérale : The Navigators (2001) raconte la privatisation du British Rail au début des années 1990 et ses conséquences désastreuses sur la qualité du service public. Davantage que la division en catégories sociales, c’est la déshumanisation entre les hommes qui s’opère, le pourrissement des liens sociaux qui s’insinue dans le monde merveilleux des marchés concurrentiels. En dénonçant la logique libérale appliquée au chemin de fer, le film de Ken Loach nous ouvre, par ailleurs, une belle transition sur la nouvelle trouvaille de notre compagnie ferroviaire hexagonale.

 

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Diviser pour mieux raquer


Car pour en revenir à notre lutte des places, les salles obscures ne sont pas les seules à subir cet apartheid libéral. Le service public français est aussi touché. La SNCF applique ainsi la même formule, en s’inspirant des compagnies aériennes low cost (vous savez, celles qui n’offrent aucun service gratuit, limitent les contrôles techniques de sécurité au strict minimum et font douiller les gros cul), en proposant non pas une première classe king size, mais bel et bien le retour à la troisième classe ! Soit des billets à moins de 25 euros (uniquement disponibles sur Internet et non remboursables) pour des TGV low cost (répondant au doux nom de « Ouigo ») avec 20 % de voyageurs en plus, un seul bagage autorisé (le 2e est facturé), pas de wagon-bar et des sièges de TER au lieu des habituels sièges de TGV. Bref, la grosse zermi !

 

Dans le même temps, les tarifs de la SNCF viennent d’augmenter de 2,3 % (le double de l’inflation), après une hausse de 3,2 % l’année dernière. On peut s’attendre à une hausse cumulée de 13,75 % sur les cinq prochaines années. Justification des crânes d’œuf du rail : 2,6 milliards vont être dépensés pour « améliorer et développer les services pour les voyageurs ». Il faut croire que le rétablissement de trains pour pestiférés la troisième classe s’inscrit dans cette logique bienveillante, et ô combien légitime, d’un meilleur confort des voyageurs.

 

Soyons plus inventifs en matière d’économie ! Plutôt que de rétablir la troisième classe au détour d’un jeu de mot anglais lamentable, rétablissons les wagons à bestiaux : pour 10 euros profitez d’un agréable voyage debout, entassé avec 50 personnes dans 30m², avec interdiction de sortir, de boire et de manger, sans chauffage ni fenêtres, avec un pot de chambre pour unique WC et des bergers allemands comme contrôleurs.

 

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Les joies du libéralisme


L'avenir s'annonce radieux

Mais pourquoi se limiter au train et au cinéma ? Élargissons cette belle ségrégation libérale à tous les autres lieux de la vie commune. Par exemple, les bars : les fortunés auront droit à des salles cosy personnelles avec cigares, sofas rembourrés et jeux de fléchettes à leur nom, tandis que les gueux, mal assis sur des tabourets branlants, siffloteront leur bière brune pâteuse près des chiottes, juste en dessous des enceintes crachant le dernier morceau folk geignard.

 

Parti comme c’est, et en extrapolant un chouïa, on peut redouter que la vision futuriste dépeinte dans Land of the dead (2005) par George A. Romero soit plus proche qu’on ne le pense : une riche mais infime partie de l’humanité est réfugiée dans des building luxueux et sécurisés pour se protéger non seulement des masses grouillantes de pauvres errants dans les bidonvilles, mais aussi des hordes de zombies peuplant toute la surface de la Terre. Toujours pourvus d’un contenu politique, les films de Romero nous mettent en garde : les monstres ne sont pas ceux que l’on croit. Les morts peuplent le monde mais les financiers retranchés dans leurs villes fortifiées ne sont pas plus humains pour autant. Dotés d’une certaine conscience (de classe ?), les zombies organisent dès lors une véritable révolution en marchant sur la ville pour déloger les bourgeois. Rendez-vous compte, l’apocalypse parce qu’un exploitant de salle a instauré la première classe dans son cinéma !

 

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Ainsi, un espoir subsiste : à force de diviser le peuple, de le scinder avec hargne, de le fendre en deux avec une joie malsaine, la classe capitaliste exhibe d’autant plus les avantages dont elle jouit et souligne le fossé des inégalités féroces qui se creuse chaque jour davantage. Le sursaut né de l’exaspération devrait donc bientôt lui péter à la gueule. Comme le disait l’écrivain Henri Roorda : « Le besoin de casser des gueules sera sans doute encore, pendant quelques milliers d’années, l’un des besoins fondamentaux de l’être humain. »

 

Boîte noire

> Le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Friedrich Engels ;

> Pas de malentendus : je suis marxiste... tendance Groucho ;

> Les libéraux ne connaissent qu'un seul Dieu : Mammon ;

> Au cinéma le scandale c'est aussi de trop payer de mauvais acteurs ;

> L’Odieux Connard vous propose un test pour savoir quel spectateur êtes-vous ;

> Jérôme Leroy fait la peau au Ouigo dans Causeur ;

> Land of the dead, film complet en VO.

 

Sylvain Métafiot


"Cinéma : paye ta place à 15 euros, sale pauvre !", article publié sur RAGEMAG, 20/02/2013, URL : http://ragemag.fr/cinema-paye-ta-place-a-15-euros-sale-pa...

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