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mardi, 27 novembre 2012

Pourquoi bosser quand on peut aller au ciné ?

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« L'homme n'est pas fait pour travailler, la preuve c'est que cela le fatigue »

Voltaire

 

« Travail », c'est-à-dire, étymologiquement, tripalium : instrument de torture à trois pieux. C'est de cette souffrance fondamentale que traite la grande majorité des films liés à lui. Des Temps modernes de Charlie Chaplin à La question humaine de Nicolas Klotz en passant par The Navigators de Ken Loach et L'Adversaire de Nicole Garcia, tous critiquent, d'une façon ou d'une autre, cette nécessité économique soit-disant incontournable de la vie.


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"Cette fois-ci, je vais l'avoir mon augmentation"

 

Il n'y a guère que dans de vieux films de propagande marxiste que l'on pourrait trouver une exaltation du labeur. Ou dans les films d'entreprises, ce qui laisse songeur quant à cet accord de principe entre libéraux et communistes. Ces derniers auraient dû méditer la tirade de Boris Vian : « Le travail est l'opium du peuple et je ne veux pas mourir drogué ».

 

Le cinéma disais-je, avant de m'interrompre moi-même, à souvent ausculté les aspects les moins reluisants du monde du travail. Chaplin fut l'un des premiers, dès 1936, à montrer la transformation de l'homme en machine à force de travail à la chaîne : l'ouvrier spécialisé ne fait plus qu'un avec son instrument de production, au point de perdre tout contact avec le réel.

 

C'est, par ailleurs, un thème récurrent que celui de la déshumanisation du travail (l'autre nom de la rationalisation). À vouloir à tout prix obtenir un poste quoi de mieux que d'éliminer ses concurrents, à l'instar de Bruno Davert (José Garcia) dans Le couperet de Costa-Gavras (2005) ? Mieux vaut le meurtre que le chômage. Obtenir un job : but ultime de tout homme civilisé qui se respecte car être sans emploi est synonyme de déchéance sociale. Au point que certains préfèrent mentir plutôt que d'avouer leur absence d'activité professionnelle, tel Jean-Marc Faure (Daniel Auteuil) dans L'Adversaire de Nicole Garcia (2002), qui finira par commettre l'irréparable plutôt que de révéler la tragique vérité à sa famille et à ses proches. Quand l'étouffante pression sociale nous transforme en bête.

 

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Admirez la classe du nazi cadre moderne

 

Le cinéaste anglais Ken Loach s’emploie davantage à montrer la déshumanisation entre les hommes, le pourrissement des liens sociaux dû à l’expansion effrayante du système capitaliste depuis les années 1980. The Navigators (2001) dénonce la privatisation du British Rail au début des années 1990 et donc la destruction logique de ce service public. Une situation qui délite les liens d'amitiés des cheminots, au point de mentir sur la mort d'un des leurs pour garder leurs jobs. It's a free world (2007) traite, quant à lui, de l'instrumentalisation des travailleurs immigrés sans papiers. Où l'on se rend compte que les opprimés deviennent les pires bourreaux lorsqu'ils accèdent au statut envié de patron.

 

Certains réalisateurs poussent l'analogie entre déshumanisation et travail encore plus loin. C'est le cas de Nicolas Klotz qui frôle le parallèle entre les camps d'extermination nazis et l'entreprise capitaliste. L’Histoire refait surface dans l'idéologie contemporaine, les mots demeurent : planification, marchandise, intransigeance, épuration, etc. La question humaine (2007) montre la chute mentale de Simon (Mathieu Amalric),  psychologue au département des ressources humaines[1] d'un complexe pétrochimique, à cause de pratiques organisationnelles efficaces, productives, rationnelles, et donc abjectes. L'humain n'a pas sa place dans cet univers entrepreneurial froid, uniforme et calculateur : « À quoi sert d'avoir une âme ? » se demande Simon en technicien rigoureux de l'élimination.

 

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"ça t'apprendra à causer au délégué syndical !"

 

Mais à l'époque postmoderne « L'avènement de la société de consommation de masse et ses normes de bonheur individualiste ont joué un rôle essentiel : l'évangile du travail à été détrône par la valorisation du bien-être, des loisirs et du temps libre » (Gilles Lipovesky, Le Crépuscule du Devoir).

 

De fait, le regard le plus lucide, et donc le plus insupportable, est sans nul doute celui du cinéaste Pier Paolo Pasolini qui, dans Salò, ou les 120 journées de Sodome, aborde la société libérale-libertaire qui transforme les hommes en esclaves hédonistes du consumérisme triomphant. Car c'est là que réside le véritable fascisme, tel qu'il l'affirme dans ses Écrits corsaires (1975) : « Je crois que le véritable fascisme, c’est ce que les sociologues ont appelé, de façon trop débonnaire, "la société de consommation". Une définition à l’air inoffensif, purement indicative. Et bien non ! Si on observe la réalité avec attention, mais surtout si on est capable de lire à l’intérieur des objets, des paysages, dans l’urbanisme, et, surtout, à l’intérieur de l’homme, on voit que les résultats de cette société de consommation sans soucis, sont les résultats d’une dictature, d’un véritable fascisme. »


Sylvain Métafiot


Article initialement publié dans la Gazette #23 de Mankpad'ère



[1]    Ce terme, d'une violence symbolique inouïe, mériterait un article à lui tout seul.

 

Commentaires

 

Bonjour et merci pour cet article très intéressant, qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion. "La question humaine" de Nicolas Klotz m'avait beaucoup perturbé, la lecture des écrits corsaires aussi... Je crois que l'on ne peut plus vivre de la même façon après cette lecture... Hélas, le cinéma qui éveille la conscience politique se fait très rare : c'est beaucoup trop dérangeant. ce que je crois c'est qu'aujourd'hui on préfère ne pas voir : ce serait trop terrible.

 

Bonjour miette et merci pour votre commentaire.
Vous avez effectivement raison : le cinéma véritablement blasphématoire se fait rare et l'on préfère se divertir devant de médiocres blockbusters, d'insipides comédies sentimentales ou de pseudo films contestataires.
Mais il existe de très bons auteurs qui méritent notre soutien.

 

curieusement en usine on en parle pas,on le fait.

 

Hello Sylvain !

Merci pour votre article.
Je me le garde sous le coude comme bibliographie a consommer de façon espacée d'autant qu'en effet rares sont les braves prets a discuter de tels sujets.
Analyse très fine et chouettes références. (#Vian)
MERCI !
Ecrivez-en encore d'autres comme ça.
Dont peut-etre celui sur les resources humaines que je lirais très très volontiers !

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