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mardi, 13 novembre 2012

« Voir le soleil naître différemment », entretien avec Chico Whitaker

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Article initialement publié sur Forum de Lyon.


Dans le cadre des Dialogues en Humanité qui se déroulaient début juillet à Lyon, au parc de la Tête d’Or, nous avons pu, en collaboration avec MédiasCitoyens, Radio Pluriel de Lyon, Soli TV la télé de la solidarité internationale, le Journal Les Antennes de Grenoble et la revue Sens Public, discuter longuement avec Chico Whitaker. Pour le présenter : c’est Le monsieur de Porto Alegre, Le monsieur du Forum social mondial, et de tant d’autres choses.


Vous pouvez  écouter l’interview en intégralité en cliquant ici. Si vous préférez voici une retranscription de cet entretien. Pour vous faciliter la lecture nous avons mis entre parenthèses le positionnement des questions et des réponses sur la bande-son. Bonne lecture… ou bonne écoute.


Chico Whitaker, vous êtes ici aux Dialogues en Humanité dont le thème cette année est « Osons la métamorphose ». Ce n’est pas anodin comme thème. Qu’est-ce qui rejaillit en vous quand on vous parle de métamorphose ?


C’est une notion de changement profond dont le monde a besoin pour régler ses problèmes et ses crises. Nous sommes arrivés presque au seuil d’une nécessitée fondamentale de changer de logique. Le monde vit sous une logique globale. La chute du mur de Berlin a quand même coupé les perspectives alternatives. Le socialisme réel n’était pas ce qu’on voulait non plus mais il ouvrait la voie à une planification au service des besoins humains et pas au service de l’argent. Mais finalement cela n’a pas réussi et ce fut la chute. Et avec ça, tous les murs qui existaient pour empêcher l’expansion de la logique capitaliste sont tombés et cette dernière a envahie le monde entier y compris le dernier bastion socialiste qu’est la Chine, devenu un pays de capitalisme d’État.


Qu’est-ce que c’est que cette logique qui fait que tout tourne autour d’un objectif – qui est l’objectif de chacun et toutes les entreprises humaines et des gouvernements : gagner de l’argent, accumuler de l’argent. Les gouvernements veulent accumuler de l’argent pour faire du bien, affréter les services dont le peuple a besoin. Les gens ont besoin d’argent car on ne fait rien sans et on vit beaucoup mieux avec. Si l’on n’a pas d’argent on ne peut même pas être enterré : il faut que l’État paie les dépenses funéraires. Donc tout tourne autour de l’argent. Nous sommes formés, depuis l’école primaire, à la compétition pour gagner plus d’argent que l’autre, pour gagner l’argent de l’autre. Le changement de perspective permet une autre logique. Il faut que les activités humaines en général (tous les genres d’activités) répondent aux besoins des gens. Si l’argent est nécessaire pour répondre aux besoins des gens, très bien, on a accumulé de l’argent, mais le but n’est pas de gagner de l’argent. Avec la logique actuelle les besoins sont des prétextes pour gagner de l’argent. On crée donc des besoins qui ne sont pas nécessaires. On crée des superflus. La machine de production tourne autour des biens de commodités et de confort et on laisse tomber les besoins essentiels d’une grande partie du monde : manger, travailler, se soigner, s’éduquer, etc. C’est une logique qui domine le monde avec des choses incroyables étant donné que dans ce système dominant si je produis quelque chose il faut que je la vende sinon je n’ai pas d’argent et à terme c’est la crise. Si personne ne vend de voitures la machine s’arrête. [5 min]


Dans cette logique là les besoins sont une manière de gagner plus d’argent. Par exemple si on fait une table – qui est nécessaire pour s’asseoir, pour manger, pour travailler, etc. – qui dure trois ans ça ne va pas. Il faut une table (ou un bureau) qui dure six mois parce que je serais obligé d’en acheter une nouvelle. Et comme ça la machine tourne. Pour gagner plus d’argent il faut un coût le plus bas possible. Donc on paie très peu les travailleurs pour qu’ils produisent davantage.


La métamorphose serait un monde qui ne soit pas dans cette logique mais dans celle des besoins humains.


Toujours sur la question de la métamorphose, ce matin à l’agora, une femme canadienne a dit : « Osons la métamorphose car on est responsable, mais en est-on capable ? ». Sommes-nous en capable ? Nos sociétés aujourd’hui peuvent-elles changer ?

Avant votre réponse Chico Whitaker, rappelons que Changer le monde, mode d’emploi est le titre de l’ouvrage que vous venez de publier aux éditions de l’Atelier (2006). Alors, y a-t-il un mode d’emploi ? [6min37]


Ce n’est possible avec les méthodes et les mœurs politiques que nous avons. On n’y arrivera pas si on fait de la politique comme on le fait actuellement, basé sur la carrière personnelle et non sur les besoins de la société, si on a une politique basée, comme le capitalisme, sur la compétition permanente des individus qui essayent de monter les échelons de la pyramide du pouvoir et de la richesse. Le mode d’emploi c’est : une nouvelle politique. Une politique non basée sur la compétition mais démocratique et qui soit capable de faire émerger les capacités, les possibilités et les espoirs des gens. C’est ça la différence. C’est une critique de la politique partisane : les partis sont en compétition entre eux et ont pour but de gagner le pouvoir. [8min]


Le livre [Changer le monde, mode d’emploi. Ndlr] raconte l’histoire d’une expérience pour faire marcher le changement : l’expérience des forums sociaux mondiaux qui montrent qu’on peut faire l’exercice de nouvelles façons de faire politiques.


Ma question c’est plutôt : tu parles de « on », de la politique, mais c’est qui « on » ? À qui tu t’adresses dans ton bouquin ? [8min41]


Le « on » c’est d’abord nous tous dans la mesure où c’est nous qui élisons les hommes politiques, ceux qui nous représentent. Le « on » commence par nous : qui est-ce qu’on élit et par quels critères ? Comment on juge, comment on analyse, comment on donne notre voix ?


Deuxièmement le « on » c’est ceux qui ont le pouvoir de décision. Le pouvoir de décision sur les lois, ceux qui régissent la vie commune. Le pouvoir de décision sur l’argent commun, l’argent collectif des impôts, et qui détermine où cet argent va être appliqué [9min23]


À t-on véritablement le choix de qui on élit par rapport à la politique que l’on souhaite ? Je m’explique : est-ce qu’il y a dans le monde un seul candidat qui serait en mesure de dire « je vais mettre en place la politique pensée dans les forums sociaux aujourd’hui par la société civile » ? [9min41]


Jamais (rires). En fait, voilà le problème : quand on parle de nouveau mode d’emploi il ne faut pas penser que par l’élection d’un président ou de je ne sais pas qui les choses vont changer. Ils ne seront qu’un élément parmi d’autres, donneront un coup de pouce ici et là mais seront complètement pris par le système. Et s’ils ne sont pas d’accord avec le système dominant ils seront mis dehors.


Tous ceux qui ont essayé de changer les choses, de changer vraiment, on été mis dehors. D’aucuns ce sont suicidés devant l’impossibilité de pouvoir changer les choses. Le changement vient de toute la société qui peut élire les bons hommes politiques, les contrôler, les aider et exercer des pressions pour qu’ils prennent les bonnes décisions. C’est un ensemble et c’est la société civile qui l’impulse. Le livre parle aussi de ça : un des buts des forums sociaux mondiaux c’est de dire « la société civile est un acteur aussi important que les partis politiques ». Et elle permet de travailler dans une autre logique : celle de l’horizontalité contre la pyramide des pouvoirs, d’articulation et d’apprentissages mutuels. C’est ça le changement. Et cet ensemble de choses qui va permettre de changer le monde. Et c’est nouveau [11min24]


Cette pyramide des pouvoirs on vous a entendu ce matin, dire qu’il serait bon de la renverser, de la faire tenir sur son sommet. [11min31]


Oui, en fait c’est un peu ça. C’est impossible de montrer ça à la radio (à la tv c’est plus facile). La pyramide est une logique qui fait que les gens travaillant à l’intérieur cherchent à monter dans la pyramide. Plus haut toujours plus haut. Et avec les meilleures des intentions parfois : « en arrivant là-haut je vais faire le Bien pour tout le monde ». Pour monter c’est la compétition pour le pouvoir : j’écrase mon ami, mon voisin parce que c’est la façon de monter un peu plus. Je mets les pieds sur son cou pour monter un peu plus. Ça c’est la pyramide, tournée vers elle-même, vers le sommet.


Si on inverse la pyramide, sa base qui est le peuple devient ce qui commande les choses et les gens qui sont en bas sont au service d’eux. Ça c’est un changement de paradigme. C’est la politique vue comme un service aux gens et non pas comme un pouvoir sur les gens. [12min39]


Puisqu’on parle de radio et de télévision, quelle place, dans cette métamorphose, pouvez-vous donner aux médias ? Quels rôles peuvent-ils jouer ? [12min50]


Le pouvoir éducatif. Le pouvoir pédagogique. Tout se passe dans le monde selon les règles de la compétition. Par exemple, les médias accordent une place et une valeur énorme au foot, aux courses de Formule 1, aux premiers de la classe… ça c’est l’idéologie de la compétition pour monter dans l’échelon politique et même de la connaissance. À l’intérieur des universités, par exemple, c’est terrible la lutte pour monter en haut. Les médias ne remettent pas ça en question. Ils ne sont pas comme le vôtre qui essaie d’ouvrir les yeux des gens. Ils sont au service du système et ne mènent qu’un travail de maintien de ces valeurs en donnant tout son poids à la compétition. Jamais à la coopération. [13min55]


Une de vos voisines au Venezuela, la présidente de Vive Television disait : « Comment changer le monde sans changer les médias ? » Est-ce que finalement les médias dont vous parlez, les médias dominants, ne sont pas une arme de manipulation massive ? [14min10]


Totalement ! D’ailleurs, les armes de destruction massive sont très dangereuses mais les armes de cooptation massive sont plus dangereuses que ça. Et les médias font de la propagande pour le commerce. Le commerce qui nous fait croire qu’il faut avoir une troisième voiture, qu’il faut acheter chaque fois plus, qu’il faut paraître chaque fois plus beau, être des consommateurs jusqu’au bout. Ça ce sont des armes de cooptation massive. Le système domine le monde parce que maintenant tout le monde ne veut qu’acheter. Acheter le plus beau, vivre de façon plus confortable que son voisin, avoir plus de choses que lui et être mieux vu que les autres. Donc changer les médias ça dépend de l’ensemble. On ne change pas les médias d’en haut, par un ordre d’un ministère ou autre. Les médias vont changer si les gens qui travaillent dans les médias les changent de l’intérieur. Ils ne vont pas non plus changer leur entreprise mais ils vont au moins introduire des nouvelles valeurs et des nouvelles questions.


Par exemple, au-delà de la question des médias, prenons le choix de la profession : si je dis « je suis contre les armes nucléaires » mais que je travaille dans une entreprise qui fabrique de telles bombes je suis incohérent. Si dans l’armée il n’y a que des objecteurs de conscience il n’y aura plus de soldats et l’armée ne peut rien faire sans soldats. Si tous les soldats se réveillaient en refusant d’être de simples machines à tuer des gens mais en se voulant citoyen. C’est ce genre de changements qui sont en train de se passer dans le monde entier. Dans le monde entier il y a des objecteurs de conscience et les grands médias, à ce moment-là, disent « ce ne sont pas des patriotes. Ce sont des gens qui sont contre la patrie alors qu’elle est en danger devant l’ennemi ». Tout cela se mêle et c’est un problème culturel et d’action de chacun. [16min52]


J’ai l’exemple incroyable de la fille d’un ami qui fut invitée à travailler à Matra à un poste très spécialisé. Quand elle a su que Matra fabriquait des armes, elle refusa le poste. Elle a certainement pris un emploi beaucoup moins rentable mais elle était plus heureuse avec sa conscience. Ce genre de changement est du même calibre que les objecteurs de conscience, que ceux qui vivent de la simplicité volontaire pour ne pas être des consommateurs à outrance. Ce sont des gens qui pensent à l’écologie dans leur vie commune et il y a pas mal de gens qui sont déjà dans cette perspective. [17min33]


Des professeurs de l’université de Berkeley, aux États-Unis, ont fait une enquête pour étudier le comportement des Américains dans leur vie quotidienne. Leurs résultats étaient mauvais, ils ne comprenaient pas certaines réponses et il y avait des inconsistances statistiques. Ils ont approfondis leur enquête et ont pris la partie qui sortait des moyennes normales et recoupés leurs résultats avec d’autres enquêtes et ont découvert que 16% des Américains vivent déjà selon un modèle différent de l’ « American Way of Life ». C’est-à-dire qu’ils ne vivent pas pour acheter des voitures ou n’importe quoi. Ils ont une conscience sociale plus développée, ils s’intéressent au reste du monde, etc. Ce n’est pas l’Américain typique. 16% ! Ça fait environ 50 millions de personnes aux États-Unis ! Le seul problème c’est qu’ils sont isolés. Ce sont de petites communautés ou des personnes isolées. Le but pour nous c’est de les lier entre eux et leur faire comprendre qu’ils sont une force beaucoup plus grande que ce que l’on pense. Le système nous domine en tant que masse et ces gens qui sortent de la masse sont isolés et n’ont pas la force suffisante pour résister.


Mais cette même enquête a été faite avec les mêmes méthodes en France et au Japon et a donnée le même résultat : autour de 16% des gens vivaient déjà marginalement. Ces gens sont appelés les « créatifs culturels ». [19min30]


L’autre jour je parlais à quelqu’un qui, comme moi, s’est engagé dans la lutte anti-nucléaire. Il m’a dit : « si vous venez en France, venez chez moi, l’électricité n’est pas celle d’EDF ». C’est-à-dire qu’il a une maison qui utilise un système d’électricité éolien ou solaire. S’il se lie à d’autres on aura une masse de gens qui seront en dehors des 98% de ceux qui constituent le système. Et peut-être un jour on pourra voir le soleil naître différemment. [20min42]


Comment on lie tous ces gens ? Comment on fait ce réseau ? Est-ce que le forum social mondial répond à ces questions ? Et une autre question qui va de pair : est-ce que la solution est nécessairement au niveau mondial ou se situe-t-elle à des niveaux plus locaux ? [20min56]


La solution se situe à tous les niveaux : mondial, régional, local. La façon d’organiser cela est différente. Par exemple, le forum social mondial : il a été pensé pour les organisations des sociétés civiles mondiales et internationales. Alors, on crée l’occasion de faire se retrouver des gens dans une ambiance qui n’est pas celle de la compétition mais de reconnaissance, de respect mutuel et de respect de la diversité, pour se reconnaître, pour apprendre les uns des autres et pour articuler des luttes au niveau mondial. Ça c’est le rôle du forum social mondial.


Mais il peut aussi se faire – selon le même schéma et la même méthode – au niveau européen, national, régional et local (d’une ville ou d’un quartier). Si l’on crée des espaces de rencontres non compétitifs où les gens se reconnaissent alors on commence à créer de nouvelles articulations et de nouveaux réseaux. L’idée de réseau – qui existe depuis une trentaine d’année déjà – est nouvelle dans le monde car c’est un type d’organisation non pyramidal mais horizontal où tout le monde doit avoir toutes les informations et où il n’y pas de pouvoir concentré. Ce genre de choses au niveau local se multiplie. [22min23]


Pour être optimiste, je viens de participer à l’Université de la solidarité internationale et il y avait des gens qui travaillent avec les forums sociaux locaux français. Il y a 50 forums sociaux français ! Malgré leurs différences tous essayent de créer des occasions pour les gens de se rencontrer sans compétition, simplement pour se connaître, se reconnaître, apprendre les uns des autres, échanger le savoir. Toutes ces idées qui sont là ensemble, vous imaginez ce que ça peut donner, doucement, doucement, dans la conscience politique des gens. Par exemple quand on élit quelqu’un au moment de contrôler, d’exiger, de faire des pressions, etc. C’est la pédagogie de la citoyenneté active et solidaire. [22min35]


Évidemment, il y a des luttes mondiales. La lutte dans laquelle je suis engagé est celle contre le nucléaire. C’est une lutte mondiale. Chaque jour je découvre un peu plus de mensonges, de de mal-information et de désinformation autour de ce thème. Et ce dans le monde entier. On ne parle pas de ça. C’est une chose très dangereuse de produire de l’eau chaude pour faire tourner les turbines électriques. C’est de la folie ! Et les gens ne savent pas. Si nous étions conscients de combien de camions remplis de déchets atomiques étaient en train de passer autour de nous, nous serions désespérés. Ce serait la panique. Ce qu’il faut ce n’est pas entrer en panique mais exiger que les médias nous donnent ces informations. Cette lutte-là est mondiale. On fait en sorte qu’au Brésil on ne construise pas 50 centrales nucléaires, par tous les moyens, y compris par la constitution. On veut changer la constitution pour qu’elle interdise la construction de centrale nucléaire au Brésil. Mais on ne peut pas faire ça sans rapport avec les Japonais qui sont en train de se battre contre la réouverture des centrales, avec les français du mouvement « sortir du nucléaire » qui se bat contre la culture du tout nucléaire.


En France on a cette fierté de s’être autonomisé après la crise pétrolière grâce aux centrales nucléaires et c’est un dogme qui est devenu absolument indépassable pour n’importe quel politique. [25min42]


Et les gens s’embarquent. Ils ne savent pas quels dangers ils encourent. Si une centrale explose comme à Tchernobyl ce n’est pas forcément à cause de questions techniques ou de sécurité mais d’erreurs humaines : Three Mile Island aux États-Unis c’était ça, Fukushima ce fut en partie ça. Donc il y a un vrai secret autour de ça sinon les gens vont partir.


Vers chez nous, au Brésil, à l’endroit où on été construite nos deux centrales c’est une plage entre les deux principales villes de São Paulo, à deux cent kilomètres l’une de l’autre. C’est un endroit très dangereux, car cette plage a un nom donné par les Indiens qui habitaient dans la région : plage de Hita Horna [à vérifier], ce qui signifie « plage de pierres pourries ». Donc, sans demander leur avis aux Indiens on a construit les centrales sur la pierre pourrie ! La ville qui est à cinq kilomètres de la centrale a 160 000 habitants. Et le rayon de sécurité défini en cas d’accident est de… cinq kilomètres. Alors que selon les normes internationales il doit être de trente kilomètres. Mais si mes camarades et concitoyens qui habitent dans cette ville savaient le danger qu’ils courent ils abandonneraient tout de suite leur ville. C’est une vraie folie !


La solution c’est arrêter. Arrêter la centrale pour évacuer tout danger d’explosion. Ensuite il faudra vingt ans pour la défaire. Pendant cette durée le danger existe mais ne parlons pas des déchets qui sont déjà gardés dans l’usine et qui ont une durée de vie de 900 000 ans. Il existe un documentaire [Into eternity, Ndlr] sur un site souterrain en Finlande où sont entassés des déchets nucléaires. Je croyais que c’était les déchets de toute l’Europe alors qu’il s’agit uniquement des déchets finlandais. Le film commence avec des images intéressantes : la première image nous montre l’Humanité qui a 50 000 ans, la deuxième image nous montre les pyramides d’Égypte qui ont 3000 ans, et la troisième les déchets que nous sommes en train d’entreposer doivent durer 100 000 ans, le double de l’histoire de l’Humanité. C’est de la folie ! [29min09]


Cela s’accompagne de mythes que l’on crée. Tout d’abord le mythe de la sécurité : le nucléaire n’est pas à 100% sûr, on peut toujours craindre le désastre. En plus, nous n’avons pas de solutions pour les déchets atomiques. Vous avez ici en France accumulés 50 000 tonnes de déchets atomiques gardés dans plusieurs endroits dont vous ignorez l’emplacement. Greenpeace a réussi à faire descendre un militant sur une centrale (celle du Bugey, avec un parapente à moteur, Ndlr) pour montrer qu’il n’y a pas de sécurité. Un terroriste plus malin que les autres a plusieurs moyens de faire exploser une usine comme celle-là.


Un type qui avait étudié Tchernobyl a déclaré que si un accident comme celui de Tchernobyl arrivait dans une des centrales nucléaires de Suisse il faudrait évacuer tout le pays. Car trente kilomètres autour de la central il faut tout vider : vider les gens, les routes, les chemins de fer, tout ! Tout abandonner. En Suisse ça fait quand même beaucoup. [30min45]


Justement, sur ces problèmes d’écologie, le sommet de Rio s’est terminé il y a quelques temps et de l’avis général c’est un échec global. Quels enseignements vous tirez de ce genre de sommets ? Et pourquoi n’y a-t-il l’émergence d’une conscience pour faire face aux problèmes écologiques majeurs, notamment via une concertation générale ? Et quels sont les moyens, au niveau local, de changer radicalement les choses, si l’on excepte un certain réseau d’influence sur les politiques et les médias ? [31min31]


J’ai pris pas mal d’enseignements, pas un seul, plusieurs. Beaucoup ont été des confirmations de choses que je savais déjà.


Une des choses que l'on savait déjà c'est que les gouvernements ne sont pas les bons interlocuteurs pour discuter de ces choses-là. Les gouvernements du monde entier sont dominés par les grandes entreprises, ce sont elles qui financent leurs élections. La majorité des gens dans les gouvernements défendent les intérêts de l’économie mondiale capitaliste. On dit « quelle est la position de la France ? Quelle est la position du Brésil ? », mais on ne peut pas parler comme ca. Il faudrait dire : « qu'elle est la position du gouvernement brésilien ? » et demander qui il représente. Théoriquement il représente le peuple brésilien mais en fait il représente plutôt les intérêts des entreprises qui les dominent. Qu'est que l'on peut attendre d'un sommet des gouvernements de ce type. Ils n'arriveront jamais à un accord car ils ne sont pas intéressés par changer les données écologiques. Ils sont intéressés à faire avancer le système.


C'est la conférence officielle qui a été une déception pour la majorité des gens conduis par les médias qui espéraient que les gouvernements arriveraient à un accord au bénéfice de l’humanité. Mais c'était impossible. Ils ont commencé par faire un document aux Nations Unis de 19 pages avec les propositions des gouvernements, de la société civile, qui s'appelait le brouillon zéro. Puis ils ont ouvert ce document pour que les gens fassent des propositions. Le nombre de pages est passé à plus de 270. Ils ont réunis à nouveaux toutes les organisations des Nations Unis plus les organisations de la société civile accréditées pour travailler et réduire le document à 150 pages. Mais c'était encore trop, alors de nouvelles réunions avec des coûts terribles (notamment en frais de transports) furent organisées pour réduire le document à 90 pages. Trois jours avant la conférence, les ministres des 20 ont essayés d'arriver à un document de 30 pages mais ils n'y sont pas arrivés. Alors le gouvernement brésilien, qui était l’hôte, s'est senti dans le droit et le devoir de faire quelque chose pour résoudre cette impasse, où l’on n'arrivait pas à obtenir un document consensuel. Il a tiré un trait sur tout ce qui avait été écrit et présenté un nouveau document final générique que les gouvernements ont acceptés. Au moins il n’a pas rétrocédé mais confirmé les choses de 1992. [35min33]

 

Mais il y a eu autre chose à Rio+20 que la conférence officielle il y a eu quelque chose dont on a donné un très mauvais nom il y a eu le sommet des peuples qui a dénoncé une autre mauvaise intention du document final celle d'introduire dans le monde la notion d’économie verte qui semble être très belle comme notion, l’économie va respecter le vert, non elle va manger le vert c'est à dire faire que tout dans la nature puisse être réduit à marchandise et entrer dans le système de la logique du marché l'eau l'air la foret la biodiversité le carbone tout ca doit rentrer dans le schéma de la logique du système bourse crédit carbone etc. Les gens qui ont fait cet autre sommet Rio + 20 des peuples ont dénoncé ca et cela a permit d’éviter que les gouvernements donnent le mandat qu'ils voulaient pour que le monde devienne vraiment une marchandise totale. Ils ont dont fait un document très générique pour qu'il puisse passé

 

il y a eu un autre truc à Rio une espèce de forum social mondial avec les gens qui venait et travaillait leur propositions. Moi même j’étais dans une tente anti-nucléaire nucléaire on fait un gros travail avec les japonais avec les gens de Tchernobyl avec des brésiliens et on a discuté de ce que c’était le nucléaire, d'autres on parlé d'autres choses il y a eu en tout 1500 activité autogéré à côté mais c’était à nous. Ça non plus ce n’était pas bien car ca n'a pas réussit à arriver des propositions concrète finales mais on savait déjà que cela n'allait pas arriver avec cette méthode. C'est impossible dans un truc de 1500 activité d'arriver à un document final de quelques pages mais c’était bien car on s'est connu on a parlé ensemble La frustration c'est pas déception [37min45]

 

il y a eu une autre chose qui a été un succès formidable à Rio, dans un coin de Copacabana : la puissante fédération des industries de São Paulo, avec la puissante fédération des industrie de rio, avec le média le plus fort au Brésil, TV Globo, ont fait une immense exposition sur la biodiversité, très très belles très très bonnes très très convaincante. Ils ont fait aussi des réunions avec les maires des grandes villes qui ont signés des accords. Cette exposition a eu un succès énorme : ils on réussit à faire passer 170 000 personnes dans cette exposition pendant cinq jours, ce qui leur a permis de prendre conscience un peu de l'existence du problème de la biodiversité. Les chefs d'entreprises qui ont fait cela ce sont félicités d'avoir battus les records d'affluence, leur image s'est beaucoup amélioré, l'image de gens qui savent faire les choses et qui font du bien pour l'humanité. [39 min 20]


À coté des conférences officielles il y avait des activités parallèles (« site events »). N'importe qui pouvait proposer un site « events » qui durait une heure trente. Il avait une salle où on pouvait présenter ses activités : il y a eu cinq cent sites « events » où chacun a pu raconter ce qu'il faisait. Ceux qui avaient des choses à raconter se sont inscrits. Ils étaient très heureux car ils ont pu aller à Rio et raconter ce qu'ils faisaient au monde. Le monde n'a pas entendu car les médias n'était pas là pour ça mais ils ont au moins essayés et il y avait des choses très intéressantes qui ont fait leur chemin et convaincue des gens.


C'est une simplification de dire déception, il y avait aussi des bons résultats. Personnellement sur la question du nucléaire on a eu un bon résultat on a recueilli 1800 signatures pour une pétition pour changer la constitution brésilienne. C'est très peu mais quand même c'est beaucoup par rapport à avant. Rio + 20 est une espèce de mensonge global qui n'est pas tout ce qu'on dit. [41min 32]


Dans le monde il y a deux groupes de pensées : ceux qui disent qu’il faut de la croissance et d'un autre cote ceux qui disent qu'il faut fermer les centrales nucléaires. Croyez-vous que l'on puisse fermer les centrales nucléaires tout en maintenant cette croissance ? [41min53]


L'idée de croissance : est-ce qu'il faut de la croissance ? Des gens disent que non. Qu'est-ce que c'est la croissance ? C'est la croissance de la production, de la consommation pour produire chaque fois plus ou c'est la croissance de la production des biens nécessaires et des services nécessaires ? Il faut de la croissance qui est bien pour le peuple, pas celle qui favorise l’augmentation du capital. La simple croissance économique sans développement, sans redistribution de la richesse crée, on n’en veut pas. « On » c'est ceux qui pensent différemment.


D'autre part, pour la croissance est-ce qu'il faut de l’énergie électrique produite par le nucléaire ? Ce n'est pas nécessaire. Chez nous, au Brésil, on serait capable de répondre à tous les besoins énergétiques des Brésiliens sans avoir besoin de centrales nucléaires. Les deux choses ne sont pas liées, se sont deux choses différentes.


Comment une personne qui a pris conscience d'une consommation responsable peu amener d'autres personnes à changer de comportement ? [43min30]


C'est une belle question, à laquelle je ne sais pas répondre. C'est notre lutte. Quels sont les moyens dont on dispose pour réveiller les gens ? Les radios communautaires c'est un moyen, les témoignages sont d'autres moyens. Convaincre les gens ce n'est pas imposer une nouvelle vérité aux gens c'est faire découvrir au gens ce qu'il y a derrières certains comportements et ça c'est un travail qui devrait commencer à l’école primaire, or notre école fait exactement l'inverse. Cela pourrait être relayé par les médias qui devraient dire la vérité des choses et pas celles que le système leur fait dire.


C'est très difficile d'arriver à changer les mentalités. Par exemple, au Brésil notre ancien président Lula a fait tout un programme pour augmenter le niveau de vie et le revenu des plus pauvres. Il a réussit à faire sortir de la misère des millions de personnes. Sauf que ces gens là deviennent très vite des consommateurs pour gaspiller leur argent dans ce que la publicité leur fait acheter. Ils veulent acheter des chaussures de marques, une deuxième télévision voir une troisième. Là c'est le travail de l’éducation, des médias et des gouvernements qui peuvent changer ça. Seulement s'ils le veulent. On disait à Lula de faire attention avec l'expansion de la voiture car elle diffuse du carbone qui produit le réchauffement climatique. Mais toute l’économie abbevillienne est basé sur l'expansion de l'industrie de l'automobile avec ses sous produits. Lula répondait : « vous dites qu'il ne faut pas acheter de voiture mais une personne qui a vécu longtemps en rêvant d'acheter une voiture un jour à cause de la publicité, le jour où il gagne un peu plus pour l’acheter c'est difficile de lui expliquer qu'il ne doit pas le faire. »


Paul Ariès, qui parle de « simplicité volontaire » dit qu'il faut créer du désir aussi fort que celui véhiculé par la publicité et les médias dominants. Comment peut-on créer, nous-mêmes, le désir d'un autre mode de vie, de changer le monde ? [47min15]


C'est ça le défi que nous avons. C'est la même chose que l'exemple que je donnais de la fille qui a refusé le travail chez Matra. Est-ce que je peux accepter de travailler dans une entreprise de publicité qui ne fait que de créer le désir d'acheter chaque fois plus ou est-ce que je dois refuser ça ?


Si on arrivait, à l’intérieur de la société, à un mouvement pour éviter que les gens ne deviennent des soldats ou des pièces de la machine… c'est par là qu'on change. Mais la machine publicitaire est une des choses les plus incroyables qui existe du point de vue de la cooptation massive de la société.


Pour terminer, peut-on être optimiste aujourd'hui ?


Oui. Charles Péguy a écrit dans Le porche du mystère de la deuxième vertu que la première vertu c’est la foi : on l'a ou on ne l'a pas, ce n'est pas compliqué. La charité on peut la faire ou pas, c'est un choix, là encore c'est simple. Mais l’espérance c'est comme une petite fille très fragile, très petite, mais qui est immortelle. L’espérance c'est ce qui nous fait vivre si on perd l’espérance. Si on perd l'optimisme il vaut mieux se tirer une balle dans la tête. Si on a un sens de vie il faut maintenir l'optimisme pour survivre, autrement on perd l'espoir. Mais l'espoir étant immortel, si on le perd on est mort. Il ne faut pas mourir avant l'heure.


L’article de Médias Citoyens

 

Retranscription de Sylvain Métafiot et Jean-Philippe Bonan

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