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vendredi, 20 juin 2014

Du trop de sport

 

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Contre le spectacle sportif omniprésent, contre cette ère du vide qui soumet le corps et l'esprit à l'impératif compétitif, contre l’abêtissement médiatique et intellectuel qui en découle, il faut lire Annie Le Brun et son remarquable essai Du trop de réalité :

 

« Et pour qui voudrait se représenter de quelle façon est en train de se transformer un monde de plus en plus investi par le "vivant stérile", la sacralisation universelle du sport, justement en dépit des affaires concernant l'argent sale qui le fait fonctionner, en donne une idée hautement significative. La rationalité de l'incohérence règne déjà en maître sur ses masses, parquées dans les stades par des dispositifs de police mais multipliés à l'infini sur les écrans de télévision, prêtes à tuer et s'entre-tuer à l'occasion d'un affrontement aussi fictif que répétitif, agglutinées jusqu'à déborder ces espaces clos où vient se concentrer tout le sordide du monde sous le masque abject des bons sentiments.

La voilà, l'unique métaphore d'un monde sans métaphore, où le trop de réalité n'a d'autre fin que son automusculation proliférante.

 

Voudrait-on l'ignorer, en n'ouvrant ni journaux, ni radio, ni télévision que c'est devenu impossible. Les villes et les campagnes en sont transformées où gesticulations et hurlements des supporters forcent à compter avec ce qui est désormais beaucoup plus qu'un spectacle.

Car sa reconnaissance unanime en fait le nouveau rituel à travers lequel le trop de réalité célèbre ses fondements : la force du nombre exaltée de la compétition à la redondance infinie d'une masse qui n'existe que de pulluler ; la normalisation de la différence avec la production de ses héros d'élevage fabriqués pour se soumettre ; et enfin le mensonge systématique comme base d'une idéologie du consensus servant à camoufler chauvinisme éhonté, crapulerie financière et criminalité endémique.

 

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André Masson - Dans la tour du sommeil - 1938

 

En fait, béats devant "ces sportifs qui font rêver", les médias saluent en eux une réussite de "l'art de créer le pur-sang humain" dont l'ignoble baron de Coubertin s'était voulu le propagateur. Et ils ont raison, ce sont bien eux les héros de ce temps, eux dont le corps désérotisé ne témoigne que de "la passion de la docilité" qui leur a été inculqué par "l'entraîneur-dompteur", à la façon dont le prévoyait il y a trente-cinq ans Radovan Ivsic. Et il n'est pas jusqu'à leur recours inévitable au dopage comme à l'alimentation modifiée qui n'en fasse l'incarnation la plus achevée du "vivant stérile".

 

Seulement, on se tromperait beaucoup à les placer aux antipodes du grand battage culturel. Ils en sont le complément sinon le modèle.

Comme il a été attenté à leur corps pour en faire des organismes programmés pour la répétition, il y va d'une agression comparable contre l'esprit afin d'y susciter la même soumission à un monde où le corps comme les idées sont condamnés à la même insignifiance.

Il faut y voir le désastreux triomphe de la pensée célibataire qui nous gouverne. Pensée de l'efficacité qui n'a d'yeux que pour elle-même, pensée de la manipulation qui prétend se préserver de tout ce qui n'est pas elle, pensée de la stratégie qui n'a d'autre fin que d'imposer sa solitude pour prévenir tout embrasement passionnel. »

 

Sylvain Métafiot

vendredi, 29 mai 2009

Looking for Ken

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On cherchai Ken Loach, c'est au festival de Cannes qu'on l'a trouvé. Et à 72 ans, en bonne forme le bougre ! Après le dramatique et sublime It's a free world, Loach repasse derrière la caméra pour nous livrer une comédie assez inattendue et légère : Looking for Eric.  Inattendue car, jusqu'ici, Loach nous avais habitué aux drames personnels poignants (My name is Joe, Sweet Sixteen) et à la critique féroce de situations politique hostiles et dérangeantes (Land and Freedom, Bread and Roses, The Navigators, Le vent se lève palme d'or 2006). Inattendue également car c'est mister Eric Cantona la guest star du film et il se montre particulièrement convaincant en coach philosophe essayant de sortir la tête de l'eau d'Eric Bishop (Steve Evets), véritable (anti)héros de l'histoire. Celle-ci peut se résumer à la vie de ce looser pathétique qu'est Eric Bishop, écartelé entre son boulot de facteur monotone, ses deux beaux-fils difficilement supportables, ses potes qui essayent de le faire sourire, sa fille qu'il a du mal à aider et surtout  son ex-femme dont il brule encore d'amour. Seul The King Cantona semble pouvoir l'aider à remonter la pente à l'aide d'une thérapie imaginaire à base d'aphorismes bien placés...

 

Sans mériter le prix d'interprétation masculine, le légendaire numéro 7 de Manchester United, s'en sort remarquablement  bien devant la caméra, parfaitement guidé par le réalisateur dont il apprécie, par ailleurs, l'engagement politique dont il fait preuve dans ses films. Excellant dans l'auto-parodie et la maîtrise de soi, Cantona insuffle une énergie et une bonne humeur communicative, autant à Eric Bishop qu'à nous, simples spectateurs amusés et désabusés par tant de second degré so british.

 

Ecoutons Ken Loach : "Est-ce que Cantona incarne l'inconscient de mon héros ? Je n'ai pas trop envie de creuser la question... Moins j'en sais sur mes propres films, plus je peux imaginer les suivants librement. Je laisse les autres analyser. Je sais simplement que le film raconte à quel point cet homme n'est pas devenu la personne qu'il aurait pu être. Il montre comment il en est arrivé là, et comment il peut s'en sortir... Avec Cantona comme référence. "Looking for Eric" c'est surtout le portrait d'un homme qui est aussi grand-père. C'est un homme qui, au départ, est déconnecté de tout et de tous. J'observe comment il redevient un élément moteur au sein d'une famille. Avec la certitude d'avoir Cantona à nos côtés, ce qui devenait le plus important, c'était finalement moins de chercher un sujet que de trouver quel pouvait être le coeur du film."

 

En fin de compte, ce que cherche Eric Bishop ce n'est pas Eric Cantona, l'idole à qui il donne vie, mais lui-même. Retrouver la confiance qu'il détenait auparavant, la  joie de vivre et la force de surmonter les obstacles lui barrant la route de son bonheur propre et familiale. L'unité permet de supporter les difficultés.

 

Ken Loach encore : "Dans la vie, comme au foot, ce qui fait le plus progresser, c'est l'équipe. Pour marquer, il faut qu'un autre vous passe la balle. Il y a peut-être des gens qui s'accommodent de leur solitude mais je pense que l'homme est fait pour avoir quelqu'un qui l'aime à ses côtés, des amis, un entourage... [l'homme est le seul animal politique] Et que les uns et les autres, on se fait des passes. On devrait en tout cas. Et "Lookin for Eric", c'est ça."



 

 

Encore une fois, malgré la rupture de genre, Ken Loach nous prouve son savoir-faire indéniable pour créer des univers à la fois terriblement réels et attachants. Sans atteindre la qualité de ces précédents films « pessimistes » (drames politiques sur fond de réalisme social), on passe un bon moment devant cette comédie parfois hilarante (la séance de psy collective, la scène du pub ou l'opération Cantona). Pas question de chercher de chercher des invraisemblances suspectes ou un message fort, tout est question d'humanité. Don't forget: « it's not a man, it's Ken Loach ! »

 

Sylvain Métafiot