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mercredi, 30 décembre 2015

Cimes cinéphiliques 2015

 

Qui succède à Alleluia de Fabrice du Welz au titre de meilleur film de l'année ? La réponse dans notre habituel top 10, suivi de son flop 10 tout aussi subjectif.

 

Au sommet cette année

 

1) Il est difficile d'être un dieu d'Alexeï Guerman : sarabande macabre

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2) Mia Madre de Nanni Moretti : le retrait du monde ne dissipe pas l’amour des siens

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3) Mad Max: Fury Road de George Miller : metal hurlant

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4) It Follows de David Robert Mitchell : le passage à l’âge adulte est un jeu d’enfant terrifiant

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5) Pasolini d’Abel Ferrara : le dernier chant du poète avant la chute

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dimanche, 27 décembre 2015

Sarabande macabre

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Article initialement publié dans Le Comptoir

 

Si Mad Max figure le délire flamboyant des corps virevoltants, Il est difficile d’être un dieu représente le songe ténébreux des damnés d’une terre sans ciel. Pour son sixième film en cinquante ans de carrière, Alexeï Guerman s’est donc attelé à l’adaptation d’un roman de science-fiction des célèbres frères Arcadi et Boris Strougatski (auteurs notamment du fameux Stalker, porté au cinéma par Andreï Tarkovsky en 1979). Résumer l’histoire semble impossible au vu de son insondable complexité. Nous savons simplement que Don Rumata, sorte de chevalier errant mélancolique, est envoyé sur la planète Arkanar, bloquée dans un Moyen Âge violent et humide, afin de comprendre les tenants et les aboutissants de la persécution des intellectuels (les « raisonneurs ») par la cohorte obscurantiste des « Gris ».

 

Le film d’Alexeï Guerman est une danse infernale éprouvante dans laquelle cohabitent, avec une promiscuité étouffante, les corps sales, puants et dégoulinants d’une cour des miracles d’un autre monde illustrant « à merveille » notre propre enfer médiéval. Un univers de folie fangeuse qui prend explicitement ses sources dans les visions diaboliques de Jérôme Bosch et Pieter Brueghel. Les démons arpentant Le Jardin des Délices, Le Christ aux Limbes, La Dulle Griet ou Le Portement de Croix prennent ainsi vie dans un capharnaüm grotesque et écœurant. Nulle trace de grâce divine dans ce labyrinthe de boue et de sang, si ce n’est dans la virtuosité technique des plans-séquences qui composent chaque tableau de cette implacable mise en scène à la rigueur délicieusement soviétique.

 

En somme, Il est difficile d’être un dieu est une rude épreuve pour tout spectateur peu enclin à endurer une œuvre au propos métaphysique obscur (on ne comprend strictement rien à l’histoire), suffocante à force de coller au plus près des personnages et d’une durée conséquente (le film dure trois heures !). Ce calvaire est contrebalancé par une beauté plastique exceptionnelle, magnifiée par la photographie d’un noir et blanc pénétrant. S’il est donc ardu d’“entrer” dans un film dont le récit invite à la glose infinie, il sidère surtout par sa puissance visuelle, sublime dans sa répugnance.

 

Sylvain Métafiot

dimanche, 20 décembre 2015

Métal hurlant : Mad Max Fury Road de George Miller

Mad max.jpeg

 

Article initialement publié dans Le Comptoir

 

Après trente ans d’absence, Max Rockatansky reprend la route d’un monde dévasté sous la férule de George Miller, créateur de la série qui sent bon l’ultraviolence et l’huile de vidange en 1979. On le croyait assagit après la réalisation des deux films d’animation gentillets Happy Feet, il n’en est rien. À l’heure où les productions Marvel déferlent sans discontinuité sur nos écrans avec plus ou moins de réussite, papy Miller, à 70 ans, nous offre tranquillement le blockbuster le plus frénétique de la décennie. Un western de feu et de sang au royaume des fous du volant. Une cavalcade monstrueuse et steampunk qui déchire le bitume au rythme des hortatorēs endiablés. C’est peu de dire que lorsque Mad Max reprend le volant tous les autres films d’action semblent à la traîne…

 

Aux prises avec une tribu de fanatiques motorisés ne craignant pas la mort, Max s’engage dans une course-poursuite sauvage en compagnie de l’Imperator Furiosa (Charlize Theron, magistrale) cherchant à sauver les « épouses » du chef du gang, Immortan Joe. On aura évidemment beau jeu de railler le scénario qui tient sur deux pages, l’intérêt premier du film n’est pas là. Pourtant, ce monde apocalyptique et stérile, où l’eau, les armes et le pétrole sont contrôlés par trois seigneurs de la guerre, et les femmes réduites en esclaves reproductrices, n’a rien à envier aux meilleurs dystopies de science-fiction.

 

Mais la prouesse du film tient surtout dans sa manière de faire du corps le catalyseur de l’action, renouant ainsi avec le langage le plus primitif, mais le plus expressif, du cinéma. Les véhicules étant le prolongement corporel des personnages – étreinte tragique et abominable de l’homme et de la machine – la narration se focalise davantage sur les affrontements homériques des chevauchées métalliques. Et dans ce domaine-là l’ingéniosité est à son comble. Max compense ainsi son mutisme par un déferlement d’acrobaties pyrotechniques à faire pâlir les génies du burlesque comique. Portées par une mise en scène tourbillonnante, les chairs mutilées, brûlées ou contaminées s’entrechoquent dans le fracas des armes et s’unissent dans le sacrifice. Notons que dans cet univers guerrier, les femmes sont en première ligne face aux War Boys ; le seul fait d’arme remarquable de Max se déroulant en hors-champ.

 

Bref, un déluge de vitesse et de rage qui, tout en reprenant à son compte la mythologie du renégat dans un monde en perdition, propulse Mad Max : Fury Road et sa folie incandescente au  sommet du Valhalla des films à (très) grand spectacle.

 

Sylvain Métafiot

vendredi, 18 décembre 2015

Pasolini : comment la culture a tué l'art

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Pour Pier Paolo Pasolini, l'art n'était pas un mot doux susurré aux oreilles des bourgeois et ouvrant miraculeusement les vannes des fontaines à subventions. C'était une matière vivante, radicale et désespérée. Une pâte à modeler les désirs et les rêves issues de la triste réalité. Une exception fragile face au règne de la culture. Ou tout du moins de la nouvelle culture moderne.

 

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Le nouveau pouvoir consumériste impose ainsi un conformisme en accord avec l'air du temps utilitariste : la morale, la poésie, la religion, la contemplation, ne sont plus compatibles avec l'impératif catégorique de jouir du temps présent. L'art qui se nourrit des passions humaines les plus tragiques et les plus violentes n'a plus sa place dans un monde soumis aux stéréotypes médiatiques et aux discours officiels. À quoi servent encore des livres qui transmettent une représentation d'un monde passé dans une société exclusivement tournée sur elle-même ?

 

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Poète irréductible, cinéaste enragé, Pasolini s'est toujours élevé contre les normes oppressantes du vieux régime cléricale-fasciste, bouleversant les codes et les styles. Mais tout à son irrespect aux désuètes hiérarchies imposées par le pouvoir il est un des rares à avoir compris que le sacré (l'art), débarrassé de sa léthargie bourgeoise, possédait une aura de subversion scandaleuse. Que dans un monde spirituellement desséché et ricanant, il ne faut « pas craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches. »

 

Dans la lutte cruelle, et pourtant vitale, de l'art contre la culture (le cinéma contre la télévision, le poète contre l'animateur, le théâtre contre les créatifs, l'érotisme contre la transparence, la transcendance contre le matérialisme) la voix de Pasolini, tranchant l'air vicié de la publicité et de la vulgarité, rejoint celle d'un autre grand cinéaste mécontemporain italien, Federico Fellini : « Je crois que l’art est la tentative la plus réussie d’inculquer à l’homme la nécessité d’avoir un sentiment religieux. »

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur le site Profession Spectacle