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samedi, 26 juin 2010

Attention, chiens méchants !

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Euphémisme ? « Méchants » c’est en effet le moins que l’on puisse dire à propos des délinquants en culotte courte qui hantent les couloirs de la prison d’Enola Vale aux Etats-Unis. La féroce description d’un univers carcéral particulier par un p’tit gars de chez nous. Un cri de rage dans la torpeur cinématographique du moment.

 

Dog pound (prix du Meilleur Nouveau Réalisateur 2010 au festival de Tribeca fondé par Robert De Niro à New York) est le deuxième film du français Kim Chapiron. Après avoir fondé le collectif Kourtrajmé avec Romain Gavras (fils du grand Costa) en 1995 et réalisé le dispensable Sheitan en 2005, il plonge avec fracas dans le grand bain pénitencier. C’est donc à Enola Vale que nous séjournerons, en compagnie de trois jeunes voyous (quoique Davis…) : Davis donc, 16 ans, trafic de drogues ; Angel, 15 ans, vol de voiture avec agression ; et Butch, 17 ans, violence sur un officier de probation. Trois cas différents, une seule prison. Où l’ultraviolence règne. Suivez le maton.


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Premier constat, la mise en scène est brute de pomme : les plans, découpés au fil du rasoir, s’enchaînent assez rapidement (sans être frénétiques) et sous-tendent une sauvagerie prête à exploser à tout instant. Chapiron prend le temps d’insérer sa caméra dans ce centre de détention juvénile pour filmer ce monde sous tension à la manière d’un documentaire sans concessions. Le jeu des acteurs (inconnus) est flamboyant et criant de vérité, notamment celui d’Adam Butcher en enragé près à démolir le premier emmerdeur venu. Si la caméra se place principalement du côté des détenus pour filmer leur sordide quotidien, la vie des gardiens nous est également dévoilée dans toute sa froideur et ses coups durs (vie familiale désastreuses, échec des thérapies, meurtres involontaires, dépassés par la situation, etc.). Mais, l’empathie ou le dégoût n’arrivent pas complètement à s’installer chez le spectateur. On aurait aimé connaître davantage le passé des protagonistes ou, du moins, plongé plus profondément dans le tréfonds de leurs âmes torturées. Mais rien n’y fait…

 

 

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Effectivement, outre sa durée un brin trop courte (au terme d’une heure et demi on a simplement l’impression que la première partie du film s’achève, brutalement), le réalisateur fait le pari de ne pas prendre parti. Ce choix, discutable, permet, certes, de ne pas stigmatiser ses personnages comme victimes ou bourreaux, de refuser ainsi tout manichéisme, d’aborder le thème difficile de l’incarcération de façon quelque peu neutre et impartiale, tout en affirmant, paradoxalement, que la prison rend les individus bien plus violents et marginaux qu’ils ne l’étaient au départ. Chapiron se joue très bien des codes hollywoodiens, mais sans véritable contreparties. Cette quasi-objectivité dans la façon de filmer fait l’impasse sur la dimension narrative d’un récit qui peine à se dessiner. Il n’y a pas vraiment d’histoire dans Dog pound, seulement une radiographie, efficace, de la vie pénitentiaire avec ses caractéristiques propres : tensions entre détenus, rivalités, bizutages, rackets, humiliations, vengeances, loi du silence, bouffe dégueulasse, contestation de l’autorité, discipline exigeante, affrontements avec les matons jusqu’à l’émeute générale, etc. Bref, comme le remarque justement le critique Romain Le Verne, le long-métrage de Chapiron ressemble moins au Prophète de Michel Audiard qu’à Scum d’Alan Clarke et à Ghosts of the Civil Dead de John Hillcoat. Les ressemblances avec le film de Clarke sont en effet si frappantes qu’on se demande si Chapiron n’a pas réalisé un remake à la sauce XXIème siècle.

 

 

Bande-annonce


 

 

Dog pound est un bon film. Âpre, violent, radical, dérangeant, désespérant (pas de happy end), sans militantisme excessif. Il manque pourtant une dimension romanesque poignante, une esthétique lui conférant une identité propre, un schéma narratif digne des grandes productions de ce nom permettant de ressentir dans sa chair l’horreur carcéral. Kim Chapiron vient cependant de prouver qu’il débordait de talent (il était temps), ce qui augure du meilleur pour la suite de son parcours cinématographique. En attendant n’hésitez pas à franchir le seuil d’Enola Vale. Il ne faut pas avoir peur de se faire mordre de temps en temps.

 

Sylvain Métafiot

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