Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Sale temps pour les journalistes Russes | Page d'accueil | Paris est magique ! »

mercredi, 26 août 2009

Un Tarantino peu glorieux

inglorious_basterds_fake_movie_poster_onesheet.jpg

 

Autant le confesser d'entrée de jeu : Inglorious Basterds (le titre s'inspire du film Une poignée de salopards d'Enzo Castellari en 1978), le dernier bébé de Quentin Tarantino, m'a déçu. Meilleur que Boulevard de la mort mais en deçà de ses réalisations antérieures. Les raisons de la colère ? Prenant le contre-pied de ses précédents long-métrages, et par peur sans doute de se vautrer dans un style pop hasbeen, il nous propose un film classique, dénué de ses traits de génie habituels malgré un savoir-faire indéniable. Voyons plus en détails. Synopsis :

 

Premières années de l'occupation allemande en France. Shosanna (Mélanie Laurent) réchappe de peu au massacre de sa famille. Quatre ans plus tard, à Paris, elle tient une salle de cinéma sous une nouvelle identité. Ailleurs, en Europe, le Lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) rassemble huit soldats pour terroriser et tuer du nazi. Grâce à l'aide de l'actrice Bridget von Hammersmarck, (Diane Kruger) ils vont tenter de mener à bien une mission dangereuse à l'intérieur du cinéma de Shosanna, préparant elle-même un plan d'éxécution. Les destins vont se croiser, par le feu et les armes.


inglorious-basterds-637x0-3.jpg

 

Premier constat : ne pas trop se fier aux bandes-annonces (voire la vidéo plus bas). Celle d'Inglorious Basterds annonçait une œuvre dantesque, lyrique, violente, nerveuse. Publicité mensongère serait-ont tenté de crier ! Car l'action n'est pas vraiment au rendez-vous et ce, à cause d'une mise en scène foutrement classique. Classique, voila le reproche principal ! Ce film est d'un classicisme inattendu et franchement malvenu. On s'en aperçoit dès la scène d'ouverture lorsqu'un officier nazi rend visite à un fermier français soupçonné de dissimuler des Juifs. On pense à Et pour quelque dollars de plus et on jubile devant le face-à-face tendu mais la mise en scène est horriblement standard. Et cela va être le credo durant 2h30.

 

Où est passé Tarantino grand dieu ? Où est donc passée le génie narratif, le délire visuel, qui ont fait le succès et la renommée de ces précédents films (à l'exception de Boulevard de la mort) ? Malgré une division en cinq chapitres, l'histoire est linéaire, le suspense minimaliste et la folie n'imprègne pas les personnages. Et pourtant, il y avait matière à développer la psychologie dérangée des basterds et autres tordus qui gravitent autour. Les qualités ne manquent pourtant pas, à commencer par la prestation extraordinaire du « chasseur de Juifs », Christophe Waltz, véritable héros maléfique du film.

 

inglorious bastards.jpg

 

Si le jeu de Waltz laissera un souvenir impérissable aux spectateurs, on ne peut pas en dire autant des autres acteurs. Non pas qu'ils jouent mal, mais on attend d'eux un jeu à la démesure du réalisateur. Evidemment, Tarantino s'étant fourvoyé dans une mise en scène ultra classique, les acteurs se plient à cette direction. Ils ont donc assez peu de consistance et Waltz les éclipse lorsqu'ils se trouvent dans la même scène. Brad Pitt est très bon en officier américain, ainsi que son compère Eli Roth (réalisateur de Cabin Fever et d'Hostel), Le premier est affublé d'un accent texan à couper au couteau (ce qui vaudra une scène italienne absolument hilarante), le second d'une fâcheuse tendance à prendre la tête des nazis pour des balles de baseball. Mais le reste du casting fait un peu peine à voire.

 

Waltz n'a pas usurpé son prix d'interprétation à Cannes. C'est au terme d'un casting fastidieux que cet autrichien trilingue de 52 ans à été repéré par le cinéaste. Mais le jeu en valait la chandelle : on frémit d'excitation à chacune de ses apparitions, se demandant ce que ce SS machiavélique nous prépare tant ses actions sont imprévisibles mais néanmoins réfléchies. Sans possibilité de prévoir ses moindres mouvements, on reste en permanence sur le qui-vive, ce qui accroit la tension lors de dialogues faussement courtois ou d'interrogatoires déguisés.

Waltz décrit ainsi son rôle : « On ne joue pas un nazi. Il aurait été trop facile et réducteur d'aborder Landa en fonction de son uniforme. L'approcher en tant qu'être humain m'obligeait, en revanche, à sans cesse me remettre en question. Le personnage n'a ainsi jamais cessé d'évoluer, je l'ai découvert au fur et à mesure du tournage. Hans Landa n'a pas le même sens, prosaïque, de la morale que vous et moi. Il ne partage pas la même notion du bien et du mal ». Et ce fascinant personnage est dirigé par une main de maître.

Un des plus grand méchant de l'histoire du cinéma nous est donné à voir, ne le loupez pas !

 

inglorious-basterds-de-637x0-3.jpg

 

Quand à la musique - si belle, si transcendante soit-elle - d'Ennio Morricone, elle ne parvient pas à fusionner avec l'image à la manière des chefs d'œuvres de Sergio Leone. Là où l'ambiance de western spaghetti (combinée à celle de Kun-Fu) fonctionnait parfaitement dans Kill Bill, elle ne parvient pas, ici, à nous faire frissonner de plaisir. Le tort du cinéaste semble de trop vouloir décliner les mêmes thèmes dans chaque long-métrage (le western spaghetti au japon, le western spaghetti durant la seconde guerre mondiale. A quand le western spaghetti dans une love story ou pendant une invasion extraterrestre ?). Les morceaux sont fabuleux mais n'arrivent pas totalement à se fondre dans le contexte de l'action et à habiller les personnages et leurs environnements (même si l'ultime musique nous hante longtemps après le baissé de rideau).

 

inglorious.jpg

 

 

Tarantino est pourtant loin d'être maladroit dans sa maîtrise cinématographique, bien au contraire. Il excelle ainsi dans la construction de dialogues (ou monologues), leurs donnant une dimension hypnotique. Ce talent d'écriture et de direction d'acteurs étant à l'origine de scènes cultes dans quasiment chacun de ses films. Ici c'est Waltz qui transcende ces moments de pur cinéma. Le film vit au rythme de plusieurs langues, ce qui est à la fois un régal pour les oreilles et les puristes et une façon de valoriser le métissage (Shosanna, Juive blanche aime Marcel, un Français noir, etc.).

 

Enfin, remarquons que le réalisateur joue franc jeu dès le début en se plaçant résolument dans le domaine du conte (conte réaliste et violent mais conte tout de même), ce qui lui permet de réécrire l'histoire en se vengeant (thème récurrent) du nazisme par le biais des Juifs eux-mêmes : cette fois ce sont eux qui gravent la croix gammée dans la chair des bourreaux. Vengeance à sa manière, bien entendu : le carnage final faisant explicitement référence à Carrie de Brian de Palma (tiré d'un roman de Stephen King) tout en affirmant la toute puissance de l'art face à la barbarie : le cinéma tue les nazis. Forcément une idée géniale (mais mal exploitée) de cinéphile. L'amour qu'il porte au cinéma est beau et sincère mais maladroitement exprimé : les références aux films de Pabst, Riefenstahl, Clouzot, Linder, le soldat anciennement critique de cinéma, les affiches dans le bar, etc. ne suffisent pas à donner une réelle profondeur à l'œuvre.

 

inglorious 6a00d83451b26169e20115709c78b4970b-800wi.jpg

 

Qu'on ne se méprenne pas : Inglorious Basterds est un bon film, mais loin, trop loin (et trop long) de ce qu'on attend de Quentin Tarantino. On ne sent pas la présence du maître derrière la caméra. Son style, sa manière d'insuffler un souffle de démence sont comme dévorés par un classicisme sans âme et ce, malgré l'inévitable héritage culturel : il ne suffit pas d'ouvrir son film par « Once upon a time... » et de le saupoudrer de Morricone pour devenir Leone. Le cinéaste aura, au moins, permis de dévoiler l'immense talent de Christophe Waltz au monde entier. Ses apparitions représentent les (rares) moments de génie de Tarantino du point de vue narratif et formel. Longue vie au fumeur de grosse pipe !

 

 

 

Conclusion pertinente du critique Jean-Bastiste Thoret : « Demeure un problème propre au cinéma de Tarantino, presque inscrit dans sont code génétique de conteur surdoué : c'est que l'impressionnante maîtrise du récit et du tempo des séquences, l'incroyable qualité du texte donné aux acteurs et le réel plaisir à naviguer sans cesse dans la jungle des citations, ne débouchent pas sur le sentiment qu'une fois le film terminé, si un monde vient de s'éteindre sur l'écran, il survit dans notre esprit. Il manque un double-fond à ce monde séduisant, une ampleur ou tout simplement une vision, absence qui explique sans doute pourquoi ses films vieillissent plutôt mal ».

 

Au bout du compte, Inglorious Basterds aurait pu être réalisé par n'importe quel autre réalisateur talentueux tant il semble que Tarantino ait laissé une simple trace ectoplasmique sur la pellicule. Espérons vite le retrouver en meilleure forme.

 

 

Sylvain Métafiot

 

Commentaires

 

Je suis allé le voir hier soir, et je trouve la critique un peu trop sévère...

On reconnait clairement la pâte de Tarantino dans ce film, par contre, effectivement, il est un peu long. L'action se déroule tout en douceur avec 2-3 moment d'explosion, mais en y repensant il en va de même pour Reservoir Dogs (mon préféré :p ) et la scène de l'Ours Juif et tout à fait comparable à la scène de l'oreille.

Alors certes ce film est un peu en dessous de ses précédentes œuvres (je n'ai pas vu le boulevard de la mort, je ne tiens donc pas compte de ce film), par manque de mouvement et une narration plus lente et moins profonde qu'à l'habitude (je m'attendais à une scène pour le passé de chaque "basterd" façon Reservoir Dogs surtout après la présentation du l'un des "basterds") mais cela reste un très bon film tout à fait digne de Tarantino et de son univers décalé.

Petit détail, même si cela peut sembler évident, il est impératif de le voir en VO, le jeu sur les différentes langues (français anglais allemand et italien) n'a pas du être simple à traduire donc autant éviter de gâcher ce plaisir...et Brad Pitt ressort un peu son accent de Snacth, ce qui est un plaisir à entendre :).

 

*****


J'abonde dans le sens de Sylvain Métafiot.

J'ajouterai que le générique final de Ennio Morricone est la bande son de "La Bataille d'Alger" de Gillo Pontecorvo (1966) qui avait autrement plus de gueule que ce Tarantino.

Tarantino utilise une autre bande de Morricone/Pontecorvo, mais aussi Corbucci (Il Mercenario). Excepté quelques-unes, ce film est un hommage au Morricone Spaghetti car la bande son est pilonnée avec des bandes moins connues que "Il Buono, Il brutto, Il Cattivo.

Je me demande également dans quelle mesure, Quentin Tarantino ne rend pas hommage à l'acteur américain Aldo RAY [1926-1991] (Brad PITT est affublé du nom de Aldo Raine, alors que Bo Svenson dans la version 1978 de Enzo G. Castellari, se nommé Lt Robert Yeager) - Aldo RAY a été un comédien abonné aux rôles de militaires impitoyables. Enorme talent distribué dans des rôles plus souvent de sergent que de lieutenant.

Le film sent l'hommage et la référence à tout bout de champ.
Cela permet à ceux qui ne vont jamais voir "les vieux films" d'avoir une mosaïque de tous ces films en un seul.

Ce que je trouve regrettable, sur le plan historique, est de faire croire - à de jeunes écervelés - qu'une "bande de salopards" aurait zigouillé d'un coup d'un seul , une bande de criminels nazis (Hitler, Boorman, Goebbels, Goering, etc.) dans un seul attentat. Tous ces bourreaux qui ont exterminé + de 20 millions de personnes, dont 6 millions de juifs, alors que ces mêmes américains, glorifiés dans ce film... n'ont jamais levé le petit doigt pour empêcher ces meurtres de masse dans les camps d'extermination ou par les Einsatzgruppen.

Un avertissement historique à la fin ou au début aurait été bienvenu pour dire que Hitler et compagnie ne sont malheureusement pas morts comme montrés dans le film.

Evidemment, la référence ici est faite au film de Russ Meyer, dans lequel Hitler était foutrement bien vivant, dans un coin perdu des USA.



Patrick AUZAT-MAGNE

Pau, 17 janvier 2010



***********************

 

Une critique à la fois explosive et hilarante, ça ne court pas les rues.
C'est pourtant le génie de l'Odieux Connard, qui nous livre sa vision d'Inglorious Basterds :
http://odieuxconnard.wordpress.com/2009/09/15/tarantino-fait-du-lui-meme/

A savourer sans modération !

 

Et soyons juste, voici une très belle défense du dernier Tarantino par une des plus belles "plumes" du Web : http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2009/09/04/une-semaine-de-bonte-mercredi-unglorious-basterds.html

Les commentaires sont fermés.