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jeudi, 27 octobre 2022

Sa Majesté des rats : La Peste à Naples de Gustaw Herling-Grudziński

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Écrivain, journaliste et critique littéraire polonais Gustaw Herling-Grudziński fut l’un des premiers à décrire de l’intérieur l’univers concentrationnaire du goulag dans Un monde à part paru en 1951 (et dont il faudra attendre 1985 pour le découvrir en France grâce à Jorge Semprun). Interdit de séjour en Pologne, exilé à Rome, Londres, Munich et Naples où il finit sa vie, il rédigea des nouvelles, des essais et des articles dans divers hebdomadaires italiens et dans la revue Kultura qu’il cofonda en 1947. La Peste à Naples est tirée du recueil L’Île et autres récits paru en 1992 chez Gallimard. Il relate l’instrumentalisation de l’épidémie survenue en 1656 à des fins politiques antirévolutionnaires.

 

Sous-titré Relation d’un état d’exception, ce court texte se veut la suite du Miracle (1983) récit de l’insurrection populaire napolitaine contre la Couronne espagnole en 1647 avec sa tête le pécheur Tomaso Aniello d’Amalfi dit « Masaniello ». Sous l’autorité du duc d’Arcos, Masaniello fut arrêté et assassiné. Sa rébellion stoppée dans son élan. En contrepartie, sa légende naquit et enfla non seulement chez le peuple napolitain mais dans toute l’Europe : « Qu’on en eût conscience ou non, Masaniello annonçait la révolution, il fut la flamme approchée des trônes et éteinte de justesse avant un embrasement général. »

 

C’est pour éteindre les dernières braises de la révolte que le comte Castrillo, représentant disgracieux mais bon diplomate de Philippe IV, fut nommé vice-roi de Naples, succédant au duc d’Arcos et au comte d’Ognatte. Son objectif était de calmer les ardeurs de la populace par une étrange « douceur paternelle » qui n’oubliait pas le recours à la force armée. Lorsque la peste venant de Sardaigne menaça la cité, il décida de séparer le Palais et la garnison du reste de la population. La maladie fut d’abord minimisée par les autorités politiques, interdisant de la nommer telle quelle, et répandant le bruit que le responsable serait « l’Antéchrist Masaniello, qui dans l’au-delà tramait de nouveau contre le bonheur de la ville ». De son côté, l’Église trouva là un moyen de faire fructifier son entreprise de purification des âmes afin d’échapper au « fléau de Dieu » qui s’abattait sur la ville.

 

Il ne semble pourtant faire aucun doute que la maladie fut apportée par des soldats espagnols venus de Cagliari sur un navire marchand. Le vice-roi les ayant envoyés en ville, la peste pris naissance dans un bordel du quartier de Lavinaio et se répandit dans les venelles alentour. D’où l’affirmation de Herling que Castrillo a fait sciemment venir la peste à Naples pour exterminer une partie du peuple et mettre les survivants à genoux, tuant « le sentiment de solidarité que Masaniello avait, selon lui, inoculé à la plèbe napolitaine ». Résultat, plus de la moitié des habitants périrent durant les huit mois de l’épidémie, tous les liens sociaux et familiaux furent anéantis. Le vice-roi, barricadé dans sa forteresse, était satisfait. « La peste avait détruit, pour les rescapés, leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, le goût, la valeur et la dignité de la vie collective avec toutes ses splendeurs et ses misères. »

 

De nos jours, c’est une autre peste, brune, qui ressurgit en Italie. Celle qui porte les nostalgiques du fascisme au plus hauts sommets du pouvoir.

 

Sylvain Métafiot

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

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