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lundi, 09 juillet 2018

Le tournant néo-libéral en Europe de Bruno Jobert

Bruno Jobert, Le tournant néo-libéral en Europe, Le Comptoir, Sylvain Métafiot,

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Loin d’être le simple résultat de circonstances extérieures, le tournant néo-libéral qui s’inaugure au tout début des années 1980 s’explique d’abord par l’usure confirmée des modèles anciens et l’élimination rapide d’orientations alternatives. Sa permanence, en revanche, résulte plutôt des modifications en profondeur du climat intellectuel des années 1970 et son ancrage dans un grand dessein européen. L'ouvrage dirigé par Bruno Jobert montre que le processus d’imposition et d’acceptation du changement de référentiel passe par le fonctionnement différencié de plusieurs instances qu’il nomme forums. Il distingue notamment le forum de la communication politique, qui constitue une scène de construction de la réalité sociale sur laquelle vont se modifier les termes de la rhétorique politique dans un contexte de sortie de la guerre froide… Le consensus modernisateur s’efface devant une nouvelle rhétorique exaltant les gagnants de la nouvelle compétition et stigmatisant les blocages sociaux. Le discours néo-libéral adopté par la nouvelle opposition constitue dans un premier temps une stratégie de disqualification de l’adversaire au pouvoir. Ainsi, plutôt que d’opposer la droite à la gauche, il vaut mieux opposer les républicains et les socialistes.

 

Évoquons également l’invasion de la société française par un groupe social qui fera du néo-libéralisme anti-étatique un outil puissant d’élimination de ses concurrents : les économistes d’État. C’est une élite dirigeante dont le camp de base est le ministère de l’Économie (puissant outil de promotion s’il en est), parachevant ainsi la grande reconquête amorcée avec la constitution de la Ve République. Dans ce travail d’appropriation, l’homogénéisation croissante du discours de cette élite a joué un rôle essentiel. Dans les périodes antérieures, le pluralisme des orientations intellectuelles contrebalançait quelque peu la monopolisation des capacités d’expertise de l’État : elle autorisait un accès plus ouvert des différents acteurs du jeu social à ces ressources. L’arrivée de la gauche au pouvoir joue un rôle majeur. Dès le début du septennat de Mitterrand, on assiste à une marginalisation des recettes étatistes keynésiennes mais aussi du modèle néo-corporatiste de la deuxième gauche.

 

De la rencontre entre le néo-libéralisme dominant et les institutions de l’État-providence à la française va finalement résulter un compromis : ni élimination du second ni simple juxtaposition des deux réseaux de politique publique construits autour de référentiels différents. Elle aboutit plutôt à une réinterprétation de cet État-providence qui joue sur la complexité de son organisation et la polysémie de ses principes fondateurs et permet ainsi des reconstructions marquantes. L’expérience de la première cohabitation a marqué les limites du néo-libéralisme doctrinaire, plus particulièrement quand celui-ci prétend passer aux pertes et profits l’héritage de l’État-providence. En cela, on peut noter le poids des institutions. La solution qui aurait consisté à démanteler purement et simplement l’État-providence, bien que réclamée par les ultra-libéraux, n’est pas à l’ordre du jour aussi bien du fait des résistances institutionnelles et politiques que de l’attachement des Européens à leur modèle social. Dès lors, la recherche d’un système de protection sociale qui soit plus favorable à l’emploi est devenue un trait commun des réformes conduites et relayées par les analyses menées au sein de l’Union européenne.

 

Sylvain Métafiot

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