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mardi, 27 mars 2012

Au Havre tout le monde vous entend crier

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Brrrr… Malgré la chaleur estivale je n’arrive pas à me dépêtrer de ce frisson qui me parcoure l’échine. Mon sang est comme glacé. Si vous craignez les grosses chaleurs allez donc vous réfugiez dans une salle obscure pendant 1h45 avec 38 témoins pour vous tenir froid. Résultat garanti. Le dernier film de Lucas Belvaux est l’adaptation libre d’un roman de Didier Decoinmais (Est-ce ainsi que les femmes meurent ? issu d’un fait divers à New-York qui a abouti à la création du 911) mais n’ayant pas lu l’ouvrage en question il ne sera pas fait état, ici, de la comparaison entre le livre et le film. Prenons plutôt l’œuvre de Belvaux telle qu’elle vient : rampant lentement vers nous, trouble et grimaçante, puis se dressant calmement pour nous pétrifier d’horreur.


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38 témoins c’est le récit d’un meurtre, sauvage, celui d’une jeune femme dans une rue du Havre. Non pas un terrain vague, une rue habitée, en plein centre ville. Mais lorsque la police vient interroger les habitants aucun ne parle, tous dormaient à poing fermés la nuit du crime, y compris Pierre Morvand (Yvan Attal). Mais Pierre décide de dire la vérité, de briser la loi du silence tacite qui s’est instaurée dans le quartier, quitte à se mettre à dos sa communauté. Si les « témoins » ne parlent pas ce n’est pas par peur de représailles de la part du tueur (l’identité de ce dernier importe peu, on ne verra pas l’aboutissement de l’enquête) mais par honte. Honte d’être tombés si bas. Certains arrivent à faire avec. Pas Pierre. Il ne croit pas au pardon mais à la justice. Incapable de vivre avec un tel poids il se rend à la police, vêtu de son uniforme de la marine marchande. Il parle. Pour pouvoir reprendre corps avec la réalité.

 

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Après Rapt, Belvaux fait montre, encore une fois de sa grande maîtrise formelle. 38 témoins est froid et démonstratif, ce qui constitue son point fort tout autant que son point faible. Sa force car il ausculte et donne à voir, de façon méthodique et implacable, la lâcheté ordinaire, notamment grâce à une excellente mise en scène de la ville (le port, l’église, les voitures) et du quartier plus particulièrement (les rues, les façades, les appartements, les cages d’escalier).

 

De fait, le film interroge nos choix moraux : qu’aurions-nous fait dans la même situation ? Certes, ces 38 témoins qui ne témoignent pas sont des lâches mais, vous et moi, avons-nous le courage de dépasser la peur qui tétanise ? Quand on craint de demander à une personne de baisser la musique de son MP3 dans le métro, en public, peut-on s’interposer entre un tueur et sa victime dans une rue déserte en pleine nuit ? Pourquoi ne pas seulement appeler à la police ? Difficile question qu’illustre parfaitement le face-à-face entre la journaliste (Nicole Garcia) et le procureur Lacourt (Didier Sandre). Ce dernier, soucieux de préserver l’ordre public, souhaite éviter un procès inutile et tente de dissuader Sylvie Loriot de révéler l’affaire au grand jour : « Vous voulez comprendre, lui dit-il en substance, c’est pratique, cela évite de juger, de se mouiller. Et, de toute façon, que comprendrez-vous ? Que révèlerez-vous ? Que l’être humain est faible, lâche, indifférent, qu’il devient sourd et aveugle quand cela l’arrange. Belle découverte. Ce sera un triste spectacle et un procès pour rien. » Rien de nouveau, certes, mais il faut tenter de résoudre la difficile équation du vivre-ensemble, inlassablement.

 

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Mais à trop vouloir être réaliste le film s’en trouve affaibli : les personnages passent au second plan, derrière la démonstration chirurgicale appuyée, et presque aucune empathie ne se dégage d’eux. A l’exception d’Yvan Attal qui interprète un monsieur-tout-le-monde tout en souffrance, hanté par le remord et son propre dégoût au point de n’avoir plus le sentiment d’exister (« C’est moi qui n’existe plus »), les autres protagonistes sont assez fades bien que non caricaturaux : Louise, la fiancée de Pierre (interprété par Sophie Quinton) joue franchement mal, son regard est inexpressif et un sourire idiot lui barre le visage presque en permanence ; le capitaine Léonard (François Feroleto) est sympathique comme une porte de prison même si l’on sent qu’il exècre cette bassesse collective ; la journaliste a un côté un peu agaçant malgré sa ténacité et sa propre reconstitution (biaisée) du crime ; le procureur vaut surtout pour son dialogue avec Loriot ; enfin les voisins et voisines (les fameux témoins) ne sont là que pour servir de prétexte à la thèse du film et si quelques exemples de leur mutisme sont abordées (le stress, la fatigue, le bébé à garder, etc.) on ne plonge jamais dans l’âme de l’un d’entre eux.


 

Le film n’est donc pas exempt de défauts sur la forme (trop de bavardages et de didactisme). En revanche – cela a été dit ça et là, avec raison – l’introduction et, surtout, la conclusion sont d’intenses moments de cinéma. En quelques plans fixes, le cadre, le contexte et l’intrigue sont mis en place. L’ambiance est lourde, les plans sont sobres, le ton est donné. Pierre va faire ses aveux, déchirants, à sa femme endormie…

 

Mais c’est dans le dénouement, lors de la reconstitution du meurtre, que l’horreur fait jour et que nos entrailles se nouent. Rarement au cinéma je n’avais ressenti une telle frayeur. Non pas celle des teenage movies horrifiques qui fait sursauter à coups d’effets sonores prévisibles mais celle de la détresse absolue, perdue dans la nuit, sans aucun secours. On voudrait se boucher les oreilles, on ne peut pas. Ecoutez : le silence du quartier est assourdissant. Le silence sur lequel rebondit ce cri effroyable.

 

Sylvain Métafiot

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