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mercredi, 16 février 2022

L’oscillation de l’âme

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« Chers et bons prophètes ! Ne nous touchez pas, n’attisez pas dans nos âmes les sentiments élevés et humains et ne faites aucune tentative pour nous rendre meilleurs. Car, voyez-vous, tant que nous sommes mauvais, nous nous contentons de petites lâchetés ; quand nous devenons meilleurs, nous tuons.


Comprenez donc, bons prophètes, que c’est justement les sentiments d’humanité et d’équité, déposés dans nos âmes, qui nous obligent à nous indigner, à nous révolter, à entrer en fureur. Comprenez que si nous étions privés de ces sentiments nous ne nous indignerions, nous ne nous révolterions pas du tout. Comprenez donc que ce n’est ni la perfidie, ni la ruse, ni la lâcheté de l’esprit, mais seulement l’Humanité, l’Équité et la Noblesse de l’Âme qui nous obligent à nous révolter, à nous indigner, à nous livrer à une fureur vengeresse. Comprenez, prophètes, que le mécanisme de nos âmes humaines – c’est le mécanisme de la balançoire, où le plus grand envol vers la Noblesse de l’Esprit entraîne le plus grand mouvement en retour vers la fureur de la bête.


Cette tendance à lancer la balançoire de l’âme du côté de l’humanité et dont la conséquence constante est le retour à la bestialité traverse, comme une trace merveilleuse et en même temps sanglante, toute l’histoire de l’humanité et nous ne voyons que les époques particulièrement passionnées, qui se singularisent par des élans, réalisés dans les faits, vers l’esprit et l’équité, nous semblent particulièrement terribles par les cruautés et les forfaits sataniques qui s’y mêlent.


Pareil à un ours qui, de sa tête ensanglantée, pousse une bûche suspendue à une corde et qui en reçoit un coup d’autant plus épouvantable qu’il la pousse plus fort – l’homme souffre et se fatigue dans ce va-et-vient de son âme.

L’homme s’épuise dans cette lutte, et quel que soit le moyen qu’il choisit pour en sortir – continuer à balancer cette bûche pour que, au moment d’une poussée particulièrement forte, elle lui brise la tête – ou bien arrêter l’oscillation de l’âme, exister dans une froideur raisonnable, dans l’absence de sentiments, donc dans l’inhumanité et, de cette façon, privé de la chaleur de sa propre image – l’une et l’autre de ces solutions prédéterminent la réalisation de cette Malédiction qui nous apparaît sous la forme de cette bizarre, cette terrible caractéristique de nos âmes humaines. »


Lorsque le silence s’était établi dans la maison, que la lampe verte était allumée sur la table et qu’il faisait nuit derrière la fenêtre – ces pensées surgissaient en moi avec une obstination constante, et elles étaient aussi destructrices de ma volonté de vivre que l’était pour mon organisme ce poison blanc et amer, dans des sachets soigneusement pliés, posés sur le divan, et qui frémissait dans ma tête avec exaltation.


M. Aguéev, Roman avec cocaïne, éditions 10/18, p. 211

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