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vendredi, 06 avril 2018

Éloge de l’androgyne par Joséphin Péladan

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Joséphin Péladan (1859-1918), mystique et néo-catholique dont la carrière littéraire est empreint de romantisme et d’occultisme – il se surnommait lui-même Sâr Mérodak, titre hérité, selon lui, d’un ancien roi babylonien –, proche des symbolistes, entourés d’esthètes (Gary de Lacrose, Elémir Bourges, Saint-Pol Roux) qui, comme lui, rejettent les laideurs induites par la civilisation industrielle, dresse ici, à la faveur de son immense culture, une théorie plastique de l’androgyne à travers l’étude des doctrines et des ouvrages du passé. Extraits.

 

La beauté se manifeste au commun des hommes, sous les traits de la Concupiscence. On dit une beauté pour désigner une femme, quoi qu’il n’y ait aucun rapport réel entre le beau et le sexe. Des siècles de littérature et de galanterie ont sexualisé l’esprit occidental, qui a renversé la pure statue des initiés pour installer sur son piédestal le banal symbole de l’instinct.

 

Pour découvrir l’opinion du plus grand nombre, il suffit de presser les expressions courantes et d’en faire jaillir, purulence de bêtise, l’idée de ceux qui ne pensent pas. Les clercs abominent les nudités, comme si le nu était par lui-même vicieux.

 

Au Moyen Âge et plus spécialement au XIVe siècle, une spiritualisation étonnante se produisit dont saint François le systématisé avait été l’initiateur radieux ; les mystères des confrères de la Passion se réverbérèrent dans l’œuvre d’art, qui cherche le pathétique exclusivement. On pleurait trop devant les Piéta pour songer à la beauté du corps : les larmes voilaient le regard, tourné à l’intérieur, contemplant une autre beauté : mais distribuer des caleçons dans le Jugement dernier de Michel-Ange, c’est un acte de pusillanimité qui contredit en même temps, à l’esthétique et à la foi. À l’époque de l’art pour l’art, et moins que cela, de l’art pour le métier, on croit que les Grecs faisaient du beau pour du beau : ces formes que nous admirons sans les comprendre comme le terrassier dont la pioche rencontre une inscription aux lettres magistrales, les apprécie sans pouvoir les lire ni les traduire, – ces formes ne sont pas que des corps, comme celui que pétrit Prométhée sur les sarcophages et les camées. Athénée, déesse védique de l’Aurore et de l’intelligence donnera l’âme. […]


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La graisse est une gangue, elle ne plaît qu’aux Chinois, ces décadents et aux Turcs, ces barbares, et qui dans toutes les races va aux hommes stupides et bestiaux. Rien de plus contraire à l’art véritable que la viande de premier choix des Flamands et ces chairs de boucherie dans le domaine allégorique. La vulgarité et l’embonpoint vont de pair : ils disconviennent à la réserve et à l’action. Une figure trop charnue ne se sauve que par un nom illustre. On accepte la tête de satyre de Socrate, mais si on ignorait que c’est lui, on refuserait d’y voir la face d’un philosophe.

 

La race qui jugeait qu’il fallait la course, l’équitation, le lancement du disque, la lutte corps à corps, et la lutte du ceste (gantelet plombé) pour la perfection d’un athlète, devait juger aussi qu’il fallait plusieurs traits pour représenter un olympien : le premier était la jeunesse, le second la force et le troisième la grâce. N’oublions pas qu’Achille à Scyros se trouve mêlé aux vierges, ce qui démontre que dans l’esprit d’Homère, l’Androgyne, le jeune homme gracieux existait déjà, comme conception. […]

 

Une figure a deux raisons d’intéresser parce qu’elle est ou parce qu’elle fait. Or la beauté n’a point à agir pour s’affirmer : saint Georges n’a qu’à paraître, il est saint Georges, comme Jason et Thésée sont eux-mêmes, sans symbole. Être beau c’est être et agir au plus haut point, par le rayonnement ; le mouvement pathétique n’est que pour tenir la place de la beauté pure, soit à cause de l’impuissance de l’artiste, soit à cause de la grossièreté du public. Celui qui ne voit pas dans la forme d’un sein ou d’une cuisse un monde de relativités, peut être lettré comme Erasme, il ne sent pas le beau, il ne le voit même pas. Plus une société devient démocratique, plus les femmes sont femmes et plus les hommes sont hommes, c’est-à-dire laids. La beauté d’un homme c’est ce qu’il a de féminin, la beauté d’une femme c’est ce qu’elle a de masculin, dans une proportion informulable, mais conceptible, si on ne perd jamais de vue que la barbe d’un côté et le développement du ventre de l’autre sont incompatibles avec cet idéal corporel. […]

 

L’Androgyne comme à l’enfant de chœur, au premier communiant et ne passe pas l’adolescence : sept années, de 13 à 20, telle est la vie brève de ce miracle : mais un Lohengrin n’a pas d’âge, pas plus qu’un Achille, il est jeune, Chérubin du Mariage de Figaro, après un an ou deux de garnison ne sera plus qu’un grand garçon juaesque, un hardi cavalier sans aucun intérêt esthétique. Certains généraux de la Révolution donnent l’autre, la face Achilléenne. […]

 

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C’est une opinion de marchand de vin de considérer les fables comme de grossières imaginations proposées à la masse qu’ils voulaient dominer. Aucune croyance ne vit sans une adhésion sincère bien différente de l’obéissance.

 

Il y a autant de façons de croire que de degrés d’intelligence : il n’y a qu’une façon de nier, celle des sots. Nier suppose une certitude et l’athée n’en a point. Opposer son idée personnelle à l’esprit humain cela manque vraiment de gaîté, comme plaisanterie. Sans doute, on a le droit de dire que la formule du pape ne satisfait pas et de repousser l’explication, mais nier un fait !

 

Or les idées permanentes dans l’espèce sont des faits. Dieu et l’âme sont vivants depuis qu’il y a des hommes et alors même que les définitions qu’on a données seraient fausses, la préoccupation universelle témoigne en faveur de ces notions. Celui qui ne reconnaît pas le mystère dans tout ce qui dépasse l’expérience et qui supprime les points d’interrogation posés par les premiers hommes et que poseront encore les derniers, celui-là est stupide : jamais il ne s’expliquera comment le génie suit les mêmes règles aux plus divers climats et comment l’androgyne grec ressuscita sous la forme de l’ange chrétien.

 

Descendons aux catacombes d’où sortira un nouvel art. Orphée en costume phrygien, et le jeune David et Daniel, le bon pasteur, sont de jeunes hommes en tunique qui illustreraient exactement un texte d’Hésiode. La chasteté des premiers chrétiens écœurés des mœurs sales des Romains devait fatalement se plaire à ces formes épurées de l’androgyne, qui signifient, dans l’héraldique des idées, la croyance à la résurrection primitive, base des mystères orphiques émanés eux-mêmes des temples égyptiens. […]

 

On aime l’androgyne, mais à moins d’être de la race de Méphistophélès, on ne le désire pas au sens possessif. Le vieux diable prussien ne voit que les reins des cohortes célestes : c’est là sa façon de sentir l’immatérialité : il ravale la beauté du ciel à un frisson de Sodome. En art, ce cuistre est homosexuel et son œil déforme la pure vision en image lascive, conception diabolique et vile par conséquent.

 

On dirait qu’il n’y a qu’un poème, qu’un roman et qu’un drame, à voir l’amour remplir de ses accents, de ses descriptions et de ses cris toute la littérature. En vain Pascal et Bossuet, nos plus grands écrivains, traitent d’autres matières, en vain Racine fait son chef-d’œuvre d’une pièce où l’on n’aime point, l’amour reste maître des arts parce qu’il pose la formule synthétique du bonheur et que ce problème seul passionne la totalité des êtres. Or le type le plus aimable qui soit pour des civilisés, c’est l’androgyne ou l’ange selon que l’on parle grec ou chrétien. Ce type spiritualise tout, même le bal de l’Opéra, même la lithographie de Gavarni où la Débardeuse semble une gamine, selon Platon. […]

 

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Chevalier de la lune et chevalier du soleil ont perdu leur prestige pour des générations lectrices de L’Assomoir : mais pour ceux qui ne se désaltèrent pas avec du vin bleu, l’idée d’une vierge capable de porter le casque et la lance et celle d’un héros qui peut passer pour une princesse, reste la vision la plus belle et la plus pure de l’espèce humaine.

 

Cette hésitation pour le sexe irrite et scandalise les esprits rudimentaires et ils l’abominent comme un départ de vice, alors qu’elle vaut au contraire pour la moralité qui en résulte.

 

L’admiration purifie le désir et le transpose en clef mentale : il faut être malade pour sentir érotiquement une œuvre d’art, si elle est belle. Aucun voile ne cache tant la chair que la beauté ; être beau c’est appartenir à un troisième sexe, impassible, intangible. Aux vitrines, vous ne verrez point un antique parmi les petites femmes enchiffonnées ; le passant n’a point affaire d’une déesse mais bien d’une gouge.

 

Plus un être est beau, plus il s’élève au-dessus des sens qui ne sont pas juges d’une idéalité. Tomber sous le sens a bien son sens littéral, quand il s’agit d’art. Un degré plus élevé s’adresse à l’affectivité et agit pathétiquement ; mais le plus haut point d’action est assurément la spiritualité ou de l’idée pure.

 

Le dramatisme d’un Michel-Ange, d’un Tintoret, d’un Rembrandt, si intensément qu’il agisse, ne mérite pas la même louange que la calme Joconde qui ne représente rien, mais qui offre un miroir au contemplateur où il découvrira son propre reflet.

 

L’androgyne nous transporte hors du temps et du lieu, hors des passions, dans le domaine des Archétypes, le plus haut où atteigne notre pensée. […]

 

La combinaison de deux termes en produit un troisième, formé des deux premiers : voilà la formule ridicule et exacte de la science proprement dite.

 

L’idéal du corps humain résulte de la fusion de la pucelle et du puceau à leur période florale ; voilà la formule lumineuse et précise de l’esthétique.

 

Et l’androgyne est vraiment l’Archétype. […]

 

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Hymne à l’androgyne

 

Homme qui charmes et demain œuvreras, Siegfried qui s’ignore, Chérubin s’éveillant et page d’aujourd’hui, écuyer de demain, bachelier étonné et musant au bord de l’adolescence ; premier duvet aux lèvres et premier trouble au cœur ; joli balbutieur qui découvre un cou nu blanc comme un bras de femme ! Los à toi !

 

Femme qui penses et demain aimeras, c’est Desdémone qui s’ignore et Juliette avant le bal ; effort de réflexion aboutissant au rêve ; Pandore curieuse qui demande à la lune d’éclairer le désir tapi à l’ombre de son cœur, Bradamante ingénue qui s’endort parmi ses tresses longues et semble Endymion au corps vermeil et fier ! Los à toi !

 

Sylvain Métafiot

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