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mercredi, 30 novembre 2011

« Le livre numérique n’apporte rien à la lecture »

Interview d’Olivier Poivre d’Arvor

 

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Au terme de la conférence « Internet écrit-il la fin du livre ? », vendredi 26 novembre, dans le cadre du forum Libération à Lyon, en présence d’Alexandre Bompard (Président de la Fnac), de Philippe Colombet (Responsable de Google Livres) et d’Olivier Poivre d’Arvor (Directeur de France Culture depuis 2010), ce dernier a accepté de nous en dire un peu plus.

 

Pourquoi le patron de France Culture, un média exclusivement audio, vient débattre du livre ?


Je ne l’ai pas dit, mais nous sommes les premiers médias prescripteurs de livres. Une enquête récente a montré que nous étions celui, de tous les médias audio-visuels, qui faisaient vendre le plus de livres. Une énorme partie de nos programmes, près de 70% de nos programmes sont faits à partir de livres. Et pour nous, la matière écrite, pour la recherche (que ce soit en histoire, en philosophie) est la base de plusieurs émissions. Et pas uniquement pour les émissions sur les livres. Nos émissions sont faites parce que les livres existent. C’est ce qui est assez extraordinaire dans cette chaine qui gagne des auditeurs.

 

C’est pour ça que je pense que ce discours « les frontières qui disparaissent », tout le monde le tient. L’immatériel… Mais c’est juste constater que l’eau coule. Ce discours est vraiment adapté, d’autant plus que l’on voit bien que nous avons eu 100 000 auditeurs en deux mois, que nous avons un peu transformé nos programmes, on les a ouverts. Le livre est fondamental. Sans le livre, cette chaine n’existerait pas. Et notre matinale de 7h à 9h du matin, elle est faite, la moitié du temps, à partir d’un livre qui a été publié par un auteur.

 

 

Oui, à travers des chroniques, des revues de presse…


J’avais envie de faire entendre un autre point de vue.

 

 

C’était tout de même un peu consensuel…


D’accord. Mais j’ai essayé d’apporter une voix un peu discordante.


La Fnac c’est loin d’être la première librairie indépendante.


On ne peut pas laisser uniquement des acteurs économiques parler du livre, ce n’est pas acceptable. C’est comme si on parlait de la faim dans le monde en invitant uniquement Monsanto, Nestlé ou Mc Donalds pour parler du sujet. Non, ce n’est pas possible. Le livre est un sujet de valeur qui est porté par une histoire, un patrimoine.

 

 

Ce n’est pas un objet comme les autres…


Non ce n’est pas un objet comme les autres. C’est un objet dit de première nécessité. C’est tellement un objet de première nécessité que c’est, avec l’alimentation, un des deux-trois objets qui vous accompagnent toute votre vie. Enfin, pour certains, pour ceux qui ont la chance d’avoir un livre à 2-3 ans dans leur vie.

 

 

Ce qui ne sera peut-être plus le cas avec les livres numériques.


C’est possible que non. Moi je ne suis pas du tout conservateur, je suis à gauche et très engagé. Mais en même temps, il y a un discours économique marchand, évident. Google en sonne la rime, et particulièrement la question du livre et des contenus. Ils veulent juste mettre de la publicité en acquérant l’ensemble du patrimoine. D’un patrimoine qui a été construit par des générations du monde entier, dans toutes les langues. C’est un travail de milliards d’humains dont Google prétend pouvoir s’emparer parce qu’en effet ils investissent, ils mettent de l’argent. Enfin, les investissements de Google pour la numérisation, l’Europe pourrait très bien se le permettre, la France non toute seule. Mais l’Europe des 27, si elle s’organisait, oui.

 

 

Mais il faut une volonté politique.


Même sans volonté politique. Je n’incrimine pas les acteurs étatiques mais les acteurs politiques, et alors les français qui avaient une tradition là-dessus sont très coupables. Les acteurs politiques ne sont pas du tout engagés sur cette question là depuis quelques années. Surement parce qu’ils n’ont pas été eux-mêmes très bercés par le livre, y compris chez moi à gauche. Je vois vraiment que beaucoup de leaders, des grands leaders de la gauche et du PS, pour eux le livre est un élément d’agrément, un supplément. Ça n’a pas été très constructif.

 

 

Et à ce propos, M. Colombet [Responsable de Google Livres, ndlr] de Google disait que livre est un objet social et que le numérique permettrait une sociabilité. C’est faux, le livre c’est égoïste, misanthrope, solitaire. C’est un discours [celui de Colombet] qui tranche beaucoup avec une vision un peu conservatrice qu’on pourrait avoir.


La musique ça peut se partager. Le livre c’est un moment de concentration, de retour sur soi, de solitude. On ne peut pas vivre en permanence dans le partage, dans l’interactivité… C’est ça le discours aujourd’hui : tout partager. Non.

 

Cet élément de miroir qui est devenu, dans le fond, un élément extrêmement indispensable. C’est comme le sport, pour la constitution d’une personnalité. Et si on ne donne pas de livre aux enfants, c’est comme si on ne leur donnait pas de lait, ils ne vont pas bien se développer.

 

 

Une maison sans livre, sans bibliothèque, c’est une certaine tristesse. Avec une tablette, même numérique, on sort de l’aspect du livre comme objet sensible.

Est-ce que la crainte ce n’est pas aussi que les générations qui sont élevées par le numérique ne connaitront pas le livre en tant qu’objet ?


Quand vous n’avez pas besoin de cet objet là, vous pensez pouvoir l’avoir dans votre iPad ou dans votre liseuse. Vous pensez l’avoir, mais l’avoir n’est pas le lire. D’ailleurs les livres ne sont pas toujours lus dans les bibliothèques. Mais quand vous pensez l’avoir, dans le fond, vous n’attachez pas beaucoup de prix au fait de véritablement vous en servir.

 

 

La relation avec un livre n’est pas du tout la même qu’avec une tablette numérique.


Non bien sur. Pour l’instant la tablette numérique, le livre numérique, n’apporte rien à la lecture. Il n’enrichit pas. On ne va pas annoter Proust. Lisons-le puis après on peut prendre des notes à côté. Le sujet n’est pas de pouvoir rajouter des phrases à Proust, ni d’envoyer un chapitre de trois pages de Proust à un copain ou une copine. On peut faire ça, mais enfin, ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est de pouvoir lire une œuvre. C’est entrer dans un imaginaire. L’imaginaire c’est un rapport de concentration. Et dans l’univers numérique où vous pouvez à la fois lire un livre, accéder à l’information, aller vérifier la messagerie, aller sur les réseaux sociaux...

 

 

Concernant France Culture, est-ce que la prochaine ligne des programmes aura de grands bouleversements ?


Non, on en a fait pas mal déjà en septembre. On a eu nos résultats mi-novembre de la nouvelle grille. On a gagné 15% d’auditeurs, ce qui est considérable et ça veut dire qu’il y a de la place pour un média de ce genre là. C’est la plus grosse progression de toutes les radios en France. Mais évidemment nos chiffres sont petits, on a un million d’auditeurs par jour. On est la 14ème radio la plus écoutée de France.

 

 

Est-ce que ce n’est pas dû aux podcasts également ?


Non, ça c’est l’écoute en direct, uniquement en direct. Le podcast fonctionne autrement. Nous sommes la 14ème radio en terme d’écoute en direct, mais nous somme la 3ème ou 4ème selon les mois, d’écoute en podcast.

 

 

En termes de téléchargements.


C’est assez exceptionnel, ça veut dire que dans le fond nos concurrents qui sont RTL, Europe 1 et France Inter. Europe 1 et RTL, ce qui est téléchargé 3 ou 4 millions de fois (nous on est à 2,5/2,9 millions), mais ce qui est téléchargé, ce sont des chroniques d’humour de 5 minutes, des choses très courtes. Nous, ce qui vaut un téléchargement sur Europe, c’est une heure de programme d’une émission de philosophie ou d’une lecture de texte. C’est une autre durée d’écoute.

 

 

C’est une autre patience aussi.


Oui, ça n’a rien à voir. Ma conviction, mon combat, c’est que je pense qu’il y a une place dans ce marché qui semble dématérialisé où tout le monde veut faire du fric sur tout le monde en ne respectant rien. Il y a une place, en France, pour ce genre d’objets culturels qui sont les livres, qui sont France Culture, qui sont Arte. Et je crois beaucoup au service public pour ça. Si le service ne fait pas de la culture, ça ne fonctionnera pas.

 

Interview réalisée par Sylvain Métafiot

Prise de son par Emilie Kauff


Interview déjà publié sur le blog du forum des étudiants

 

Commentaires

 

Wahou elle interview je reste scotche, beau boulot !

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