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lundi, 22 août 2011

Spleen cosmique

Spleen cosmique, Melancholia, mélancolie, Lars Von Trie, Kristen Dunst, tristesse,humeur noir, dégoût, fin du monde, apocalypse, chef d'oeuvre, rSylvain Métafiot,

 

C’est l’été. Sea, sex and sun comme le veut la coutume. Détente, baignade et cocotiers. Relaxe, voyages et plage dorée. Ah, l’été…

 

Ceci-dit, la saison veut aussi, pour une raison qui m’échappe encore, que l’on débranche son cerveau autant que faire se peut, car, c’est bien connu, il ne faut pas se « prendre la tête » en vacances. Et cette injonction implicite – ma foi, largement partagée par une grande partie de la population – revient tous les ans, telle une malédiction, comme le Tour de France. Ainsi, la presse nous abreuve de numéros « spécial sexe ! », ce qui en terme de racolage ferait passer TF1 pour un couvent. Pour les publicités journaux gratuits l’actualité n’existe plus. On emporte un bon gros bouquin sur la plage (si possible un classique) tout en sachant que c’est Gala, Closer, leur quizz « Suis-je une garce avec mon mec ? » et leur débat mode « Bikini léopard : tendance ou grosse pouffe ? », qui finiront par être lus. Quand au cinéma, ah mes enfants !, nous sommes gâtés : Hollywood nous astreint à une cure intense de blockbusters. La mode étant au super-héros, cet été est un véritable défilé (ou un carnaval, cela dépend du point de vue).

 

Pourquoi ces prolégomènes inutiles sur certaines coutumes estivales que Lévi-Strauss n’aurait pas dénié étudier ? Parce que ce qui va suivre est, en quelque sorte, le contraire de ce qui vient d’être décrit.


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Melancholia de Lars Von Trier, ce n’est pas l’insouciance festive, la sexualité débridée et la gaîté ensoleillé. Ce n’est pas les ballades (ringardes) en petit train touristique, les parties de pétanque au camping, le pastis, les glaces à l’italienne et la reprise de la Ligue 1. Melancholia n’est pas un film en 3D divertissant, agréable et racoleur. On ne vient pas le voir pour se détendre, décompresser et rigoler entre amis. C’est un film exigeant et sidérant qui ne s’adresse pas à la masse mais à l’individu. C’est un film à voir seul pour ne pas être forcé d’en débattre à la sortie mais pour le digérer difficilement. Ce n’est pas un film d’été, mais un film d’automne. Un film de pluie, non pas parce qu’elle ressemble à nos larmes, mais parce qu’elle est inlassable. C’est un film de fin du monde sans suspense artificiel. C’est l’anti-2012, l’anti-Armageddon, l’anti-Planète des singes. La plus belle fin du monde jamais portée à l’écran : inéluctable et d’une tranquillité effarante.

 

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Tout commençait pourtant si bien pour les jeunes mariés, Justine (Kristen Dunst, parfaite) et Michael (Alexander Skarsgård d’une naïveté touchante), arrivant en retard à la splendide réception tenue dans la maison de John (Kiefer Sutherland, qui se démarque enfin de Jack Bauer) et Claire (Charlotte Gainsbourg, tourmentée à souhait), la sœur de Justine. La fête bat son plein, l’alcool coule à flots, le gâteau est énorme, le service est impeccable, les invités sont ravis, les mariés sont heureux, tout est bien dans le meilleur des mondes possibles. Vraiment ? Non, bien sûr que non. Tout le monde se doute que cela va dégénérer : les spectateurs mais surtout la mariée elle-même, rongée par la peur, le doute et le dégoût de cet univers mondain et « normal ». Empreinte de cette nostalgie de l’instantané qu’on nomme mélancolie, Justine va, sans aucune raison apparente (la mélancolie est à elle-même sa propre cause), tout faire basculer, sans éclats de voix, sans esclandre, sans scandale. Comme portée par un souffle immuable, elle envoie valser son travail par haine enfouie de l’entertainment et de la publicité (« Rien c’est déjà trop pour toi, Jack »), elle grippe la mécanique bien huilée de la réception à plusieurs reprises tandis que ses parents (John Hurt et Charlotte Rampling, impeccables) règlent leurs comptes en public (on pense à Festen de Thomas Vinterberg). Enfin, ne pouvant supporter la promesse illusoire d’un amour éternel, elle délaisse son mari au profit d’une petite mort fugace sur le terrain de golf. « Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance ! » disait Baudelaire, poète mélancolique par excellence, et dont le film est inspiré par la sombre beauté.

 

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Et pendant ce temps-là, la planète Melancholia, dissimulé par le soleil, se rapproche lentement de la Terre, faisant planer l’ombre de la fin. Sublime métaphore des ténèbres enfouis sous la jovialité apparente des êtres. D’un bleu apaisant et amical, Melancholia terrifie Claire et laisse indifférente Justine. Une dualité irréconciliable de la conception du monde, illustrée en deux parties. L’histoire de deux sœurs qui appréhendent différemment l’apocalypse finale : refus absolu de quitter cette existence faite de petits bonheurs d’un côté, face à la résignation calme et apaisée de voir disparaître un monde dont on n’attend plus rien. Justine a l’intuition désagréable que tout se joue avant de se vivre et cela la dégoûte. A l’instar d'un de ses coups de sang à la réception lorsqu’elle remplaça les illustrations d’art abstrait du bureau de John par des peintures classiques, comme pour retrouver une vérité perdue. Par ailleurs, ce délicieux cauchemar, baigné dans le romantisme allemand, se joue exclusivement en famille.

 

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Lars Von Trier nous enferme dans un cadre champêtre très délimité : nous ne sortons jamais de l’immense et luxueuse propriété de John et Claire. Il semble aussi difficile d’y entrer (le passage avec la limousine) que d’en sortir (Justine n’arrivera jamais à franchir le pont qui mène au village). Impossibilité d’échapper à un destin borné. A se demander si le reste du monde existe. Quand Justine répète à Claire, d’un ton las, « nous sommes seuls », son constat désabusé semble s’adresser davantage aux seuls habitants du manoir qu’à l’humanité isolée dans l’univers. "Le monde est beau, et hors de lui, point de salut" disait Albert Camus. Le monde est peut-être beau répondra Justine mais la vie qui l'habite est mauvaise. Et dans tous les cas, aucun salut, ni pour cette famille, ni pour personne.

D’où la catastrophe vécue sur le mode intimiste et individuel. Totalement à l’opposé des superproductions américaines où l’humanité est figurée dans un gigantesque patchwork consensuel qui, du gamin birman, au trader new-yorkais, en passant par tous les clichés touristiques internationaux, nous donne à voir une conscience collective du drame et devient magiquement soudée quant à l’espoir de sa survie (généralement incarnée par un bon gros héros bourré de testostérone). Dans Melancholia, l’humanité se reflète dans le regard angoissé de Claire, dans celui innocent de Léo (le fils de Claire), et dans celui éteint de Justine. Elle « sait les choses » : nul happy end à espérer, nulle rédemption salvatrice, nul paradis dans l’au-delà. Comme le dit Kristen Dunst : « Quand vous atteignez un état dépressif poussé, vous êtes au-delà de la peur ou de la tristesse. L’idée de la mort ne vous effraie pas, elle peut même s’avérer rassurante ». Au point de s'offrir corps et âme à la planète calamiteuse.


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« La mélancolie, selon Raphaël Enthoven, est une folie sans fièvre, un délire serein. Un dégoût de la vie, mais sans désir de la mort. Un « à quoi bon ? » sans révolte, un dépit sans colère, un repli sur soi qui n’en veut à personne. » L’existence, aux yeux de Justine, « n’est pas un drame, mais une errance dans l’incurable, une persévérance que rien ne justifie. » Plongée dans une infinie tristesse, Justine sait que sa vie est un vide abyssal : son humeur noir en la cause autant que la conséquence. « Suicidaire ? Pas vraiment. La mélancolie ne conserve du suicide que l’art de contempler le monde avec l’indifférence curieuse d’un mort en sursis, dont le tempérament de spectateur fait de chaque geste le transfuge d’un tableau. » Avivé par les plans-tableau surréalistes du prologue, mêlant allégorie et onirisme, Melancholia distille le parfum amer de la vie désenchantée dans une pièce tragique et neurasthénique dont personne ne sortira vivant.


 

Transformée en dépression d’une gravité écrasante, la mélancolie peut détruire un être de l’intérieur, à l’image de la planète Melancholia qui, dix fois plus massive que la Terre, détruit l’humanité, sur un ultime air de Wagner.

 

- Voir aussi le très bel article de Christophe Lefevre.

 

Sylvain Métafiot

 

Commentaires

 

Et quand est-ce qu'il sort au Mexique l'expert ;-) ?
Très bel article - un des meilleurs selon moi - ça donne encore plus envie de voir le film que la bande annonce.
Belle description des personnages et de leur sentiments sur la situation à venir.
Et voila, je vais le rater...merci de m'avoir mis l'eau à la bouche !

 

Merci Margaux.
Tu devrais tout de même guetter les programmes des cinéma de Xalapa, on ne sait jamais.
Sinon, pour le coup, un p'tit téléchargement et hop (en cas de force majeure c'est justifié).
Quoi qu'il en soit, si tu le vois, je pense que le contraste entre l'esthétique romantique allemande du film et les paysages mexicains risque d'être intéressant...

 

Regarde Margaux, moi j'ai attendu cette semaine pour le voir au ciné en Espagne, donc ne désespère pas...
Et je suis d'accord avec Margaux, c'est l'un des plus beaux articles que tu aies écrit, plein de poésie et de sentiments, merci pour ce morceau de bravoure (entaché cependant d'une grosse faute d'orthographe mais qu'on te pardonne...)

 

Sacrebleu ! Laquelle ?

 

Tu reliras ton article mais à un moment, tu veux mettre en opposition deux éléments et tu as écrit "quand" alors que dans ce cas là, on l'écrit avec "t" et donc "quant"... "quand" avec un "d" ne s'utilise que pour indiquer une notion de temps et pour marquer une opposition on utilise "quant"...

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