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mercredi, 28 juillet 2010

De part et d'autre de l'Atlantique (VI)

Chapitre 6

 

Le vent en donnait l’impression mais il ne faisait pas froid, plutôt une  moiteur angoissante dans une atmosphère électrique. Le ciel virait au gris de caractère et les nuages chargés étouffaient le rayonnement du soleil qui perçait encore pour frapper et relever les couleurs chaudes qu’offrait le quartier. L’orange de la façade de l’immeuble ici, le rouge du store de l’épicerie qui lui faisait face et le jaune teinté de la tulipe ouverte juste ici. Le reste dans la pénombre. Un clair obscur déphasant comme on le peint et l’écrit.


La pluie discrète s’affirma de plus en plus. A l’instant où l’une de ses ventrues émissaires s’écrasa sur le front, un volant noir à l’affût dissipa un croassement inquiétant, perceptible mais diffus. Je me suis retourné la tête en l’air, sinon une feuille décharnée qui tournoyait,  je n’ai rien aperçu. Je l’ai encore une fois entendu cette fois sur ma droite. Nouvelle rotation instinctive. Rien non plus. Je continuais de marcher. La pluie n’est point outrageuse,  les corbeaux, en temps normal ne m’intimidaient point  mais l’atmosphère m’était malsaine, désagréable. J’accélérais le pas un journal à la main pour parer la pluie juste au dessus du regard.

 

J’ai fini les sept derniers mètres en courant et, décélérant sous la devanture de l’Hôtel, me suis essoré. L’orage passait tambour battant. La main dans les cheveux détrempés, je me suis retourné, j’ai jeté un œil, pas plus, au voiturier et je suis rentré, rentré voir Vicky.  L’ascenseur vers le 5ème.

 

Sur le palier je me suis dirigé vers la porte râpée, travaillée par le temps qui des deux n’indiquait ni prénom, ni nom que je ne connaissais pas. Je lui ai asséné de deux jointures de phalanges quelques petits coups sans craindre un instant de faire sauter une écaille de verni supplémentaire - et pourtant.

Elle m’a fait rentrer sans m’embrasser mais non sans convivialité. Son sourire de me signifier la combinaison du plaisir de me retrouver, le sérieux de notre rendez-vous et le reproche du temps que j’ai mis à donner signe de vie à propos de  l’intimité de notre histoire et de la proposition qu’elle m’avait faite et qui allait nous occuper ici. J’ai répondu par une moue homologue.

 

«- Sers toi un verre si tu veux.

- La vodka me tente bien. Merci. »

 

Elle a repris ma veste mouillée que j’avais laissée amoncelée sur  le siège pour l’étendre sur son dossier, s’est saisie d’une cigarette et l’a portée à ses lèvres extatiques relevées d’un mauve généreux. Elle s’est adossée sur le mur qui nous séparait de la salle de bain et a commencé.

 

«- Comment t’en sors tu ?

- Pas trop mal. J’ai ce qui m’est nécessaire pour vivre, du moins pour quelques temps, sans trop m’inquiéter de savoir si je pourrai m’offrir ou non une tourte à la viande et un bol de Jelly. Je tente de manger sainement, de faire un peu de sport pour garder la forme et éviter de choper je ne sais quoi. Le département de la santé n’est pas trop compréhensif et les médecins humanitaires ne sont pas tous londoniens. Mais on a nos travers, dis-je en tirant sur ma cigarette.

- Vois-tu seulement encore du monde ? Elle savait bien que non.

- Les soirées dans la masure n’ont plus le claquant de nos sauteries de lettres et d’esprit c’est évident. Ils m’ont souvent planté sur le canapé, engoncé dans mon incapacité à contredire leur appréciation facilement débonnaire sur la fraicheur du dernier Newbery. Ou juste en dire trois choses pour en avoir lu un peu plus. Au demeurant j’ai eu le temps de le lire ces derniers temps. Dommage que le salon ne me soit plus ouvert…

- Arrête…

- T’inquiète pas. De toute façon je suis plutôt d’accord avec la chronique qu’ils en ont faite. Faudrait que tu me donnes le programme des prochaines semaines, histoire que je les épate… Peut-être qu’il me paieraient mon Glenfiddich. Ça me changera du lait et de ma paillasse.

- Où habites-tu maintenant ? »

 

Je ne savais pas trop quoi lui répondre. J’imaginais qu’elle s’en moquait. Elle montrait son intérêt parce que deux verres, trois soirées et autant d’orgasmes créent des liens particuliers qui obligent ces circonvolutions policées mais elle n’était pas d’une nature attendrie ou apitoyée. Sans les ignorer ni sans s’en moquer, elle laissait les anomies mobiliser les exclus s’ils en avaient le courage  et les déviants demander leur reconnaissance s’ils le souhaitaient. Elle menait ses affaires prohibées avec philosophie disait-elle, celle qui donne à savoir et qui se suffit à elle-même, résolue à renoncer par fatalisme, indépendance mais en proie avec sa conscience.

 

Déviante elle-même ? Non. Si peut-être, répondait-elle, mais le tout faisait système : le métro dès sept heures, le combat associatif pour les mal-logés, la démocratie d’un côté ; la prostitution, la musique en pleine nuit, les traders de Wall Street de l’autre. Par éthique ou effet inéluctable  d’une concurrence frénétique et dynamique du marché racontait-elle, elle arrêterait probablement un jour, suffisamment friquée et retirée pour ne plus s’embarrasser jusqu’à ce que le Père lui dresse son ardoise punitive et définitive, ou plus rapidement, les mains bleutées et crispées, la tête comprimée sous un oreiller.

 

«- A l’entrée de l’East of London. L’avantage du loyer, une réputation encore soutenable et un bon dinner à deux pas qui te fait des breakfasts suffisamment copieux pour une journée. Les critères ne sont plus les plus exigeants maintenant.

- As-tu trouvé un truc ?

- Non. Pas de job encore. Je suis pas venu là pour ça. J’ai bien rendu un service une fois à Eliot mais servir des bières à des femmes alors que je suis venus ici pour m’asseoir avec elles. Ça va bien une semaine. Et puis quoi, me retrouver au Tesco en bleu pour m’excuser auprès des pauvres que le bacon en promo n’est plus en rayon… Merci. Pour l’instant j’ai ma chambre, elle est dégueulasse c’est certain. C’est pas pour rien que je n’y ai jamais rencardé qui que soit. On dira que ça me suffit.

- Je sais bien que non. Anna m’ a dit qu’elle te gardait certaines de tes affaires parce que tu manquais de place. Elle m’a aussi parlé de ta chambre. Si j’ai compris, j’aime autant qu’on se voit chez moi. Et si j’étais toi je préfèrerais me laver ailleurs qu’à côté des assiettes. Je t’ai proposé un service. Ça te dépannera facilement pendant quelques mois. »

Elle tient sa voix suave et posée et s’approche de moi.

« - Et puis ça ne fera pas de toi un homme sans âme. Tu vois le vide dans mes yeux ? Tu ne sens plus mon cœur ? Tu crois que je me délecte devant les bombardement du JT ? Ta conscience te rappellera à la bonne heure. Et puis de toute façon ne fantasme pas trop. Tu t’apprêtes à porter des colis et à conduire une voiture dans Londres.

- Hum. Pas très aguichant comme malfrat. »

 

Elle s’écarta, se tourna un peu. Je la retins, la main sur son ventre et une chaleur sensible dans ma poitrine. Elle s’est arrêtée et puis s’est retournée. Ses yeux hésitaient mais sa poitrine trahissait son désir. Nous ne nous quittions plus du regard. Licencieux et d’une volupté maitrisée, je lui caressait la poitrine. Ses yeux noirs profonds m’embrassaient et sa poitrine se soulevait de plus en plus fréquemment. En dégrafant le bouton de son jean nos bouches se sont rapprochées. J’entendais, je sentais  sa respiration plus qu’haletante. Entre ses cuisses je sentais qu’elle succombait. Nous nous sommes adonnés.

 

Je me rongeais à Philadelphie, je suis venu ici pour l’oublier pensais-je. Je n’ai pas trop rêvé, quoi qu’un peu, mais se libérer de l’aliénation post-industrielle pour se retrouver perdu dans un grenier éculé à risquer de s’enfiler un corned-beef parce que je ne peux prendre rien d’autre. Non, merci.

 

Après que nous ayons fait l’amour, elle s’est assoupie. Elle dormait, belle, dans une lumière du milieu d’après midi. Au pied du lit, dans la poche de mon pantalon j’ai attrapé la lettre qu’elle m’avait écrite il y quelques semaines :

 

« Bonjour Matthew,

Cela fait quelques temps que je ne te vois plus. Le café la lecture, peu m’importe. Mais moi, nous. Tu me manques.

Je suis au courant de tes problèmes. Comment comptais tu me le cacher ? Ne sois pas trop fier pour me demander de l’aide. Le temps de ce que la virilité t’impose si tu veux, mais pas trop longtemps, ce serait absurde.

Tu dois connaitre ce que je fais, on n’en parle pas mais les gens en parlent. Ils entendent, disent qu’ils ne savent pas, s’étonnent puis en discutent, s’interrogent et recommencent le même cycle avec un peu moins de sincérité et toujours plus curieux à chaque fois.

Ce qu’ils disent est probablement vrai. Un peu exagéré peut être. J’ai entendu une de ces nuits que je prenais aujourd’hui sur l’Homme la revanche sur ce que mon père m’aurait fait. Je mets des hommes sur le trottoir parce qu’ici ça rapporte, que je connais les hommes, que je connais les nuits. Ils gagnent de l’argent et j’en gagne aussi.

Mon père est mort dans un accident. J’avais 7 ans. Il n’a pas eu trop de temps pour me faire quoi que ce soit de mal.

On a nos problèmes Matthew. Je te fais cette confidence par envie et en confiance. Je suis là pour toi. Pour t’écouter et t’embrasser, pour t’aider aussi.

Ce ne sera pas aussi excitant et illégal que le suggèrent ceux qui t’en ont parlé. Appelons ça relation client et prospection de marché. J’ai cru comprendre que tu savais faire.

N’hésite pas à venir me parler.

Je t’embrasse.

PS : je ne suis pas paranoïaque, mais évite je te prie d’encadrer cette lettre dans ton salon.»

 

Les dernières chaleurs du soleil, un léger courant d’air. Elle était allongée dans le lit. J’y étais assis. Son torse était découvert, ses yeux fermés, d’une respiration sereine elle semblait apaisée. J’ai allumé une cigarette. Je la regardais puis je jetai un œil sur la lettre. Je la pliai soigneusement et la remis dans la poche ; j’embrassais l’épaule de Vicky et me faisais à l’idée d’assister une femme qui jouait au mac, une femme complexe, élégante mais sombre, amoureuse et indépendante, plurielle et singulière.

 

Bertrand Colin

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