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mardi, 12 janvier 2010

Une offre qu’il ne pourra pas refuser

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Il fait chaud, trop chaud, dans cette immense plaine aride qu'on appelle l'Australie, ce pays au bord de l'explosion. La chaleur suffocante semble figer les corps sur place ainsi que leur environnement exceptionnel (« foutu pays ! »). La sueur crasse se mêle au dégout qui se lit sur les visages du capitaine Stanley (excellent Ray Winstone) et de Charlie Burns (Guy Pearce). Ces deux hommes déterminés, aux deux extrémités de la loi, passent un marché secret et décisif. C'est le début de ce western impitoyable, The proposition, déployant une énergie féroce et mortifère.

 


Nous sommes à la fin du XIXème siècle, dans l'arrière-pays australien. C'est ce monde sauvage, sans foi ni loi (ou presque), que Stanley, missionner par la reine d'Angleterre, s'est juré de civiliser. Les provinces reculées sont le théâtre d'un violent conflit entre les populations lors de la colonisation du pays. L'Empire britannique y a envoyé un certain nombre de ses prisonniers afin de désemplir les geôles d'Angleterre, tout en entreprenant un processus de « civilisation » du territoire.

 

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A l'issue d'une ouverture pour le moins nerveuse, les hommes de Stanley capturent deux des quatre frères irlandais du gang Burns : Charlie et le jeune Mike (Richard Wilson). Les bandits ont été jugés responsables de l'attaque de la ferme Hopkins et de l'assassinat de toute une famille. Arthur, criminel lunatique et sanguinaire, le plus âgé des frères Burns et chef du gang, s'est réfugié dans la montagne, tel un loup sauvage, mi-homme mi-animal comme aime à le raconter les vieux aborigènes. C'est alors que Stanley propose un marché à Charlie : retrouver son frère ainé en échange de son pardon, et de la vie sauve pour le jeune Mike. Cruel dilemme que de choisir quel frère devra vivre et l'autre mourir. D'autant que Charlie n'a que neuf jours pour mener sa sinistre tâche à bien...

 

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La suite de l'article dévoile quelques séquences de l'intrigue. Dans la grande lignée des Sam Peckinpah et autres Sergio Leone, John Hillcoat (réalisateur de Ghosts...of the Civil Dead en 1988 et de La Route, l'adaptation du roman éponyme de Cormac McCarthy) signe un western crépusculaire, perdu sous le soleil australien, jonché de sales gueules, balafrées, puantes et brutales. Transpirant la volonté de survivre ou de s'éteindre dans un déluge de feu. Nick Cave assure le scénario désespérant et sans concession ainsi que la musique sublimant la représentation de la violence. L'alliance du lyrisme sublime et de la sauvagerie fait, par ailleurs, penser à Jeremiah Johnson de Sydney Pollack. Les plans sont parfaitement travaillés, alternant gros plans et plans fixes, tant pour confronter à l'humanité désarticulée des protagonistes que pour les immerger dans un paysage rude et sec.

 

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La complexité n'est pas à chercher dans les relations entre ces funèbres personnages mais dans leur damnation mentale exacerbée par l'enfer du désert. Une certaine dose de folie semble émaner tant, par exemple, chez les gardiens de prison trompant leur ennui dans la torture, que du chasseur de prime Jellon Lamb (formidable John Hurt), aux apparences trompeuses, cachant sa dangerosité sous des airs de doux-dingue, qui s' « offre » une mort poétique et ignoble. Le capitaine est, lui, confronté à ses démons, pris entre deux feux (les « braves gens » et les criminels) du fait d'un pacte dangereux et secret qu'il pourrait bien payer au prix de sa mortalité. La proposition met à mal les valeurs morales de chacun. A noter que les Bushrangers, les hors-la-loi australiens pendant la colonisation étaient souvent des prisonniers évadés, survivant dans le bush, attaquant les banques des petites villes ou les diligences. Mais ils ont de plus en plus de mal à échapper à la traque, et les pendaisons se multiplient...

 

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Les aborigènes ont remplacés les indiens mais la tension avec les « nouveaux arrivants » est palpable. S'ils ne sont pas spécialement mis en lumière on ne peut s'empêcher de se dire que les « sauvages » ne sont pas ceux que l'on croit. Refrain connu du « vous traitez ceux qui ne vous ressemblent pas de barbares mais ce sont vous les enragés » qui fonctionne ici, encore que la violence imprègne tous les individus de cette épopée sanglante. Les personnages indigènes ne font pas partie du simple décor, ils sont essentiels au climat mystique du film et constituent un lien ambivalent entre les deux camps qui s'affrontent ici : les bandits et les représentants de la loi. Qu'ils soient violemment écrasés par la domination des Blancs ou contraints à accepter la soumission qu'on leur impose, ils demeurent tous animés par un esprit de rébellion contenu mais inébranlable. Nick Cave affirme que « les acteurs indigènes étaient ravis de figurer dans un film où ils avaient la possibilité de riposter ».

 

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Aucune bonne âme (à l'exception de la femme du capitaine, Martha Stanley, délicatement interprété par Emily Watson), uniquement des anti-héros difficilement capable d'une once d'humanité. La mention de la cruauté revenant tout de même aux « civilisés » avides de châtiments expéditifs et nauséabonde envers un des frères Burns Et si la vengeance des frérots semble justifiée, elle n'en demeure pas moins épouvantable. On a rarement vu une violence aussi crue dans un western. Nick Cave observe d'ailleurs que « dans chacun des films que nous avons faits ensemble [avec Jonh Hillcoat], il y a l'idée que la moralité est un luxe qu'on ne peut se payer qu'en des temps moins difficiles. Au sein de situations et d'environnements extrêmes, la question de la moralité devient très importante ». Une certaine mélancolie envahie l'image lorsque l'homme se confronte à la nature, perdu dans l'immensité de son propre désespoir, cherchant une issue à une fatalité dramatique, forcément dramatique. Une des plus belles visions pessimistes d'un coucher de soleil sur le devenir d'une poignée d'hommes s'entredéchirant.

 



« On ne voulait pas donner l'impression d'un western américain catapulté en Australie. L'identité australienne possède aujourd'hui une forme de platitude derrière laquelle se cachent en vérité une sauvagerie et une cruauté. L'humour ici est aussi sec que le désert » conclue Nick Cave. The proposition a reçu le grand prix du jury de Valenciennes en 2009. Récompense mille fois mérité pour cette plongée fiévreuse de l'outback australien qui nous redonne le goût (du sang) pour les westerns tragiques et brut de décoffrage. Entre lyrisme mystique et sauvagerie détonante, ce film transcende le genre brulant du western, se faisant l'expression la plus radicale d'une humanité déboussolée. La sensation de fondre doucement en sanglot lorsqu'un monde s'achève dans un souffle de poussière et avec lui ses légendes noires.

 

Sylvain Métafiot

 

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