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lundi, 14 décembre 2009

Le principe de cruauté

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La cruauté, à la différence de la violence qui peut être utilisée à des fins justes pour empêcher un mal plus grand, reste un acte de démesure sans d'autres visées que l'excès. Et dans sa démesure elle échappe à tout discours, à toute pensée. Ce qui explique qu'on la relègue à la part inhumaine de l'homme, à quelque chose qui serait contre nature. On pense généralement que la cruauté relève du monstrueux donc de l'inhumain. Or n'est-elle pas, au contraire, un propre de l'homme dans la mesure où on ne la retrouve pas dans le reste de la nature, chez les animaux par exemple : les animaux sont violents uniquement pour la possession du territoire, pour la possession des femelles, mais jamais gratuitement.


La cruauté est une notion paradoxale, une notion enfouie, une notion cachée dans la culture occidentale. Chez Aristote elle est la trace de l'excès, elle n'a pas de langage, elle n'est pas pensée. Elle arrive lorsque les hommes oublient la vertu. De la même manière chez Platon le mal n'existe pas, il n'a pas d'être. Ce qui est surprenant c'est que la cruauté est une sorte de principe. Mais un principe dissimulé, intransitif. La cruauté est quasiment sans objet réel.

 

 

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Il y a une scène rapportée par Primo Levi, dans Si c'est un homme : lorsqu'il arrive à Auschwitz il se saisi d'un morceau de neige glacée pour se rafraichir, un soldat SS arrive et lui arrache le morceau de neige. A ce moment-là Primo Levi lui demande « Mais pourquoi ? », et le SS lui répond « Ici il n'y a pas de pourquoi ». Cette situation dit, au fond, l'essence énigmatique, l'essence impensée, sans langage : « il n'y a pas », c'est négatif. Il n'y a pas non plus de colère, ni de haine dans ce cas. La cruauté n'est pas forcément associée à la haine. Ce qui est la grande leçon du livre de Primo Levi : la violence des gardiens sur les détenus est exercée sans haine. La cruauté n'a pas de but, pas de finalité. Ou alors elle a cette finalité de tuer deux fois. Michel Foucault, dans Surveiller et punir, rapporte beaucoup de situations dans lesquelles les bourreaux exercent la violence avec cruauté. Il ne s'agit pas seulement de tuer mais de tuer une seconde fois.

 

 

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Dans les années 1950, l'Angleterre s'est interrogée sur la peine de mort, et à cette occasion il y a une enquête parlementaire et le bourreau de la majesté est venu témoigner. Ce témoignage est ahurissant car il affirme que, pour lui, la mort est une chose normale, une simple technique. La mort était administrée par pendaison et procurait parfois d'horribles souffrances lorsque la corde ne tuait pas sur le coup, et le bourreau s'étonne que les condamnés n'aillent pas à la mort de façon gracieuse. Il y a là, dans le fait de donner la mort au nom de la loi, une sorte de pulsion qui jaillie, sans raison absolue. Cette pulsion c'est la pulsion cruelle, ce que Michel Erman appel le principe de cruauté.

 

Mais même si la cruauté n'a pas d'intention, elle a, tout de même, une volonté pure de faire le mal. C'est-à-dire qu'elle n'a pas d'objet précis dans une passion, dans une intention. Exemple du terrorisme : pour le terroriste, est coupable celui qui est mort, mais il n'y a pas, au départ, de finalité immédiatement politique. Si ce n'est celle d'accéder au ciel... Au fond le terroriste veut faire le bien, le mal est toujours tourné vers un fantasme du bien.

 

 

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Cette analyse de la cruauté montre qu'il n'y a pas de bien et de mal en soi. Il n'existe que des situations dans lesquelles l'individu éprouve la liberté de commettre ou non des actes de cruauté. Au départ, il a fallu nommer la cruauté dans le monde des idées. Quels termes ont été employés ? La barbarie et le sadisme. Mais ces deux termes ont toujours donné lieu à des explorations des causes. Alors que le principe de cruauté fait apparaître une cause innommable. On peut donner des explications pulsionnelles, passionnelles. On peut parler de l'oubli de soi, en termes sartriens du pour soi qui nierai le pour autrui. Mais toutes ces explications constituent une sorte de mosaïque sans cesse changeante.

Article également paru sur le site de l'IRED.

 

Sylvain Métafiot


Michel Erman, La cruauté. Essai sur la passion du mal, PUF - septembre 2009

 

 

 

Commentaires

 

J'aime beaucoup cet article, tu m'as donné envie de lire le bouquin, pourrais-je te l'emprunter un de ces quatre, stp?...

 

Mais avec grand plaisir mon cher Jérem.
C'est un très bon ouvrage, tant pour spécialiste que pour néophytes (il ne déborde pas de notes de bas de pages).
Je vais essayer de creuser un peu plus la question du "mal" pour le blog

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