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dimanche, 12 avril 2009

Navire Night : nuit blanche de l’université Lyon 2 (suite)

La suite du riche programme de conférences lors de cette nuit exceptionnelle.


 

  • Science et société par Igor BABOU et Joëlle LE MAREC (ENS-LSH Lyon, Laboratoire Communication, Culture et Société/CNRS)

Les réformes libérales économiques nous font faire un bon de 300 ans en arrière. Au XVIIIème siècle se développa l'empirisme. Jürgen Habermas situe l'espace public d'abord en Allemagne puis au Royaume-Uni grâce au développement d'une sphère bourgeoise se réunissant dans des salons, des cafés entre philosophes et littéraires. Il assuraient l'opinion publique éclairée. Selon Bacon, les faits scientifiques sont universels. Selon Dominique Paistre, dans Les domaines des savoirs, le régime de savoir entre la fin du XIXème siècle et la fin de la guerre froide est révolu. La recherche est dominée par les avocats d'affaires (ancienne profession de notre Président bien aimé), le NASDAQ, les fonds de pension, etc. Cette privatisation des savoirs ne concerne pas que le secteur privé. On peut entrer dans le détail d'une pluralité de modes de production de savoirs. Au-delà des analyses économiques et juridiques on constate que les communications sont le poison et le contre-poison en même temps. Il y a le rêve d'une théorie générale de la communication. La société de communication est un programme politique. Parallèlement au développement de l'information de la connaissance, se développe des professionnels de la communication. La rationalité marche comme retombé de la pensée scientifique. Le Comité Consultatif d'Ethique fait même appel à une agence de communication et ce, à des fins d'efficacité.

 

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  • Réformes néolibérales en Amérique latine et marge de manœuvre des gouvernements de gauche par David GARIBAY (Université Lyon 2, faculté de Droit et de Sciences politiques, UMR triangle Lyon 2/ENS/IEP)

Dans les années 70 on assiste à l'instauration de régimes militaires du fait de coups d'Etats au Chili en 1973, en Argentine en 1976. La terreur d'Etat est mise en place, ainsi que la disparition des opposants, le contrôle du pouvoir par les militaires. Dans les années 80, c'est la démocratisation : en 1979 en Equateur, en 1981 au Chili, on observe le retrait progressif et négocié des militaires. Le processus est pacifique malgré une faible mobilisation de la population. Des élections libres et pluralistes sont mises en place. Mais demeure le problème de la reconnaisse de la violation des droits de l'homme pendant les dictatures. De plus, une récession économique majeure et durable est à l'œuvre : le PNB (produit national brut) par habitant entre 1981 et 1989 diminue de 8,3 % en Amérique Latine. S'ajoute à cela l'hyperinflation : +3000 % en Argentine en 1989, +8000 % en Bolivie en 1985, +1000 % au Brésil en 1988. Cette période de crise touche surtout les pays pauvres : les Etats-Unis et la France gardent une bonne croissance. Les raisons de la crise économique : la dette des pays pétroliers (Mexique, Venezuela, etc.) et celle des pays émergents (Brésil entre autres). Pour résoudre la crise financière internationale on rend public les dettes des banques. Afin d'empêcher de nouvelles crises on applique le consensus de Washington, à savoir : les plans d'ajustements structurels et la réduction du rôle de l'Etat dans l'économie. On appel cela la « thérapie de choc » qui a eu des effets sociaux désastreux : augmentation des inégalités et paupérisation des classes moyennes. Les réformes sont réussies grâce à la conversion des élites par l'éducation des universités américaines et aussi par la conviction temporaire des masses (fin de l'hyperinflation et croissance retrouvée). Mais cela engendre des excès : corruption, népotisme et populisme et crises financières au Mexique (Salinas 1988-1994), au Brésil, au Pérou (1990-2000), etc. On a des contestations atypiques contre les Présidents et certains démissionnent comme en Argentine, en Bolivie ou en Equateur. De fait, on assiste à une contestation par les urnes : une vague rose/rouge depuis 2006. Depuis 1990, le PS chilien gouverne, en 2000 Chavez est élu au Venezuela, en 2002 Lula au Brésil, Morales en Bolivie, Ortega au Nicaragua. Le Mexique et la Colombie restent à droite mais la gauche progresse. Ils ne contestent pas le modèle économique mais exerce une emphase sur la politique sociale. Quel impact sur les universités publiques ? Avant 1960 les universités étaient élitistes et se sont confrontés à la massification des années 70 où elles étaient gérées par les militaires avec une hausse des droits d'inscriptions et une réduction des salaires. Dans les années 80 on voit l'émergence d'universités privés et une crise de financement dans les universités publiques en plus du maintien des réformes autoritaires. Cela déboucha sur de grandes grèves, comme celle du Mexique qui dura dix mois. C'est d'ailleurs dans ce pays qu'une université organise un tirage au sort pour l'entrée des étudiants.

 

  • Écologie politique et scientifique par Marc PHILIPPE (Université Claude Bernard Lyon 1, Écologie/Paléontologie)

On peut faire remonter l'écologie à Carl Von Limé (1753) avec son ouvrage Economie de la nature. A cette époque (XVIIIème siècle), les gens voyageaient beaucoup, et étaient désireux de classer les plantes et les animaux. On avait une vision religieuse de la nature. Alexander Von Humboldt (1807) dit que « Les plantes sont réparties sur la Terre en fonction de leur préférence physico-chimiques ». Charles Darwin (1859) dans L'Origine des espèces développe l'idée de la sélection naturelle. Les espèces évoluent à cause de l'environnement. Mais il y a un cercle vicieux. Il établit une correspondance avec Ernst Häckel en 1868 : « Par écologie nous entendons la totalité des espèces ». Jackson Mivart propose le terme d'hexicologie en 1880 et Eugenius Warming celui d'écologie en 1909. Mais il existe de graves dérives de l'écologisme : eugénisme, antisémitisme, racisme, etc. En 1971 l'UNESCO lance son programme écologique et la conférence de Stockholm suit en 1972 avec son mot d'ordre « Think globaly, act localy ». Le premier parti écologique apparaît en Nouvelle-Zélande la même année. En France il faut attendre les élections de 1974 pour voire René Dumont se présenter avec le mouvement écologique. Il réalise un mauvais score mais est très médiatisé : c'est le début de l'écologie politique. On distingue les écologues (spécialistes de l'écologie), les scientifiques et les écolos (partisans de l'écologie). Une science ne donne que des résultats et des hypothèses. Elle ne peut pas imposer un choix politique. L'écologie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux mains des écologistes. D'accord mais lesquels ?

 

  • Changement d'échelle pour une balade dans l'univers par Hubert HANSEN (Université Claude Bernard Lyon 1, Physique)

On passe d'un big-bang quantique à un big-bang astrophysique. Rappelons d'abord qu'il n'y a plus que huit planètes dans notre système solaire : Pluton n'est plus une planète. La spirale de notre galaxie serait barrée selon les dernières observations. Etant donné que la dizaine d'étoiles se trouvent au centre de la galaxie vont à une vitesse relativement élevée on en déduit qu'un trou noir y demeure. Une galaxie naine comporte quelques centaines de millions d'étoiles « seulement ». Les galaxies interagissent avec l'hydrogène et elles se regroupent en clusters (amas). Il existe aussi de grands vides, de la matière noire et encore plus d'énergie noire. Mais l'univers n'a pas de centre.

 

  • Le gothique, mode nocturne par Jocelyn DUPONT (Université Lyon 2, Lettres/Anglais) Absent

 

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  • Les pensées du montage (Warburg, Benjamin, Bataille, Brecht) par Luc VANCHERI (Université Lyon 2, Arts du spectacle, Études cinématographiques)

Le montage a une valeur subversive et peut susciter une pensée critique. Jean-Luc Godard est un maître en la matière. Il retrouve une pratique de l'image comme Berthold Brecht. Pour lui, monter des images c'est confronté une pratique nouvelle avec une pratique ancienne (épigrammes d'images) : « le simple fait de rendre la réalité ». Il faut construire quelque chose d'artificiel. Georges Bataille crée en 1929 la revue Documents avec une philosophie agressive et anti-idéaliste. C'est un travail de montage d'images, irritant et sauvage. Walter Benjamin conçoit un projet fou en 1935-1940 : Paris, capitale du XIXème siècle. Dans les années 1940-1945 le montage devient vite le problème majeur des théories de l'art. Il devient un mode de connaissance par l'image. On applique le montage à une méthode historiographique. Le problème n'est pas tant esthétique qu'épistémologique. Chez tous ces penseurs, le concept d'image ressort à une économie visuelle de la pensée. L'image est soumise à l'examen du montage. Selon Benjamin « L'image est une fulgurance ». L'université est le lieu de ce gai savoir visuel. Selon Brecht il faut « être pédagogue en temps de guerre ». Cette pensée de l'image ne pouvait se poursuivre que dans le cinéma. Etudier le cinéma c'est rendre compte de cette mutation.

 

  • De l'incompatibilité entre mépris et littérature par Dominique CARLAT (Université Lyon 2, Lettres, Directeur de Passage XX-XXI)

On trouve dans la littérature d'ancien régime des descriptions du mépris. C'est moins évident dans celle du XIXème et du XXème siècle. Ce mépris est une passion définitive sans retournement, une « passion triste » selon Spinoza ? Ce mépris, comme la bêtise, est immobile, statique. Si l'admiration est la première des passions selon Descartes, le mépris en est le degré zéro. C'est un silence désaffecté. En discréditant son interlocuteur le sujet méprisant s'adresse à un tiers. La pente de la conversation convient à narguer sa victime. Jean-Paul Sartre dit qu'il faut opérer un retournement funambulesque : retourner le mépris. Cocteau parle de « la voix humaine ». Devant l'irrespect, Jean Genet propose le « furtif ». La littérature récuse la scène juridique : contre l'opinion publique et son utilisation. Paul Ricœur propose, lui, « le soi comme respect » contre l'irrespect, le mépris pensé en terme d'identité fixe (idem). Quand on est capable de changer on est capable de respecter l'autre.

 

  • Des usages du comique en temps de crise par Mireille LOSCO (Université Lyon 2, Arts du spectacle)

Dans un monde utopique le rire n'aurait pas lieu d'être : « le rire n'existe pas au paradis ». Il y a un vif regain pour le comique ces temps-ci. La crise de 1929 avait aussi favorisé l'essor de la comédie hollywoodienne. Donc les Français veulent rire. Ce lien est affirmé mais il exclu tout objet du rire : on « rit à... » plutôt que « rire de... » c'est-à-dire se confronter au monde. Le comique à la mode est un exercice de pur divertissement. L'art de la comédie est un art de la fuite : les parcs d'attraction en sont le parfait exemple. Au Japon le Disneyland fonctionne à plein régime : « tout le monde sourit, c'est réconfortant ». Le comique n'est plus qu'un cache-misère : on se remonte le moral en endormant toute conscience politique. Le rire à beau être excellent pour la santé il convient d'en méditer l'usage : les ouvriers japonais riant de bon matins sont plus productifs la journée. Il y a une idéologie derrière la comédie. Le rire est donc mutilé. C'est l'air d'un humour de masse qui tue le comique. On sombre ainsi dans la médiocrité de la pensée. Il faut parfois trouver un humour noir. La critique semble passer par le regard comique. Avant le bouffon renversait le roi. Les figures du pouvoir étaient dotées de prestige. Mais comment faire lorsque l'homme politique est sa propre caricature ? Le travail de dramaturge fait donc froid dans le dos car il inverse l'effet comique. Bush et Ben Laden forment un duo de bouffon exemplaire. On est dans un comique de découverte. Après le lieu commun de se moquer de Bush dans les années 2000, on trouve une image scénique Sarkozy en tant que « Lapin duracel » selon Angela Merkel. Louis de Funès semble s'emparer de notre Président bien aimé au moment les plus méprisants. C'est une arrogance de la bêtise décomplexée.

 

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  • Petite phénoménologie de ce qui arrive par Hervé MICOLET (Université Lyon 2, Lettres/Passages XX XXI)

On s'intéresse ici aux micro-phénomènes du mouvement : les « je ne sais quoi », les « presque rien ». Jankélévitch parle du Kairos comme l'aubaine, la juste visée, le bon endroit. Les phénomènes touchant aux structures d'espaces : ce dernier se dilate, s'agrandit. Cette réinvention des libertés quotidiennes est contrainte par une société du bio pouvoir (administrer chaque part de la vie). Les situationnistes parlaient de « dérive » au sens de la reconquête de l'espace public. Un art souterrain est transféré dans la vie quotidienne. La « dérive » est liée à la psycho-géographie. Les phénomènes touchant au temps le font sortir de ses gonds, des agendas, des plannings. Cela crée des évènements. Ce qui manque à l'évènement c'est le temps présent. La prise de parole (le motif fort de mai 68 dans l'émancipation) se traduit par le fait que la parole n'est pas donnée d'avance, on la prend. Michel de Certeau dit qu'à cette époque « nous nous sommes mis à parler ». Il y a des effets de personnes, de foule aussi, qui prennent la parole. Le mouvement actuel, dans son caractère de dérive et de foule, ne cède pas à l'instinct grégaire dessoudant la conscience critique. Il se méfie de l'endoctrinement, des personnalités autoritaires (ressort du fascisme). La psychologie de masse procède d'une fureur, de l'humour, d'une distance critique. Le soulèvement de la parole fait preuve de qualités nouvelles : « un pessimisme de force » selon Nietzsche. Les collégialités improvisées ne sont pas prenables. Cette expérience est et n'est donc pas prenable comme en 1968. Le pouvoir de la langue est inhérent à la langue même. Nous sommes parlés plutôt que nous parlons. Georges Orwell parlait de novlangue dans son chef-d'œuvre 1984 : cela ne semble plus vraiment une fiction. Il faut lutter contre les putschs linguistiques. C'est une lutte mots à mots. « La langue, selon Léon Blois, peut déchaîner des catastrophes ». Le soin de la langue s'appelle la littérature.

 

  • La nuit et le moment par Bérengère DURAND (ENS-LSH Lyon/Université Paris IV-Sorbonne, Lettres)

 

Finalement, ce grand rassemblement nocturne fut couronné de succès puisque les étudiants y étaient présents en grand nombre du début à la fin. Le Grand Amphithéâtre fut toujours plein à craquer, obligeant une foule de curieux à demeurer à l'extérieur où, heureusement, ils pouvaient se divertir grâce à des lectures de contes en plein air, des concerts, des jeux, des expositions de photos, etc. mais aussi se rassasier et ingurgiter toujours plus de café pour tenir le coup. L'aube approchant, les insomniaques se firent plus rares et les paupières s'alourdirent mais la bonne humeur et la concentration persistèrent.

Les podcasts sont disponibles à l'adresse suivante : http://podcast.univ-lyon2.fr/groups/nuitblanchealuniversi...

 

Espérons que cette nuit fabuleuse n'est que la première d'une grande lignée. Une telle réussite est vouée à se pérenniser. Sortir d'un tel évènement (l'un des meilleurs de Lyon 2 à ce jour, si ce n'est le meilleur) en se sentant moins bête est si grisant et précieux qu'il nous tarde de remonter à bord.

 

Sylvain Métafiot

 

 

 

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