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mardi, 03 mars 2009

Le paradoxe du comédien : moins on sent, plus on fait sentir

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En ces temps d’Oscars et de César en-veux-tu-en-voila, l’occasion est trop belle pour évoquer une curiosité propre à la profession de comédien et mis en lumière par un penseur du même nom.


Ce paradoxe, inventé par Diderot, tient au contraste existant entre l’expression évidente du corps (mimiques, gestes, attitudes exprimant des émotions violentes, amour, haine, joie, désespoir, etc.) et l’absence d’émotion ressentie de la part de l’acteur. Celui-ci joue sans éprouver. Il rit sans être gai, pleure sans être triste. Il se sert de son corps comme d’un instrument. Le paradoxe peut aller jusqu’à l’affirmation qu’un bon acteur est précisément celui qui est capable d’exprimer des émotions qu’il ne ressent pas. Il est par conséquent dans la position du calculateur ou encore dans celle du manipulateur, la marionnette en l’occurrence étant le corps lui-même.


Cette conception est aux antipodes de celle qui considère l’action dramatique comme une identification hystérique (l’acteur fait plus que jouer son rôle, il l’habite, le vit, l’incarne. A la manière d'Heath « Joker » Ledger dans The Dark Knight). A la limite, dans cette théorie, il n’y a plus de jeu (lequel suppose un écart – voir le sens du mot menuiserie lorsqu’on dit que le bois joue).


Le paradoxe du comédien met en évidence l’écart qui peut exister entre le corps et le psychisme. Il sert d’argument aux adversaires de la théorie physiologique des émotions, qui voient dans celles-ci des impressions ressenties à partir des expressions objectives du corps (ainsi, selon William James, qui fut un défenseur de cette théorie, la peur est l’impression consécutive à un mouvement de fuite ou de protection déjà esquissé par le corps).


Qu’en pensent les New-Yorkais de l’Actor’s Studio ?

 

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Sylvain Métafiot

vendredi, 05 septembre 2008

Le Joker, théoricien hilare du chaos

bfjokera.jpgVous l’aurez compris, nous allons nous intéresser au dernier volet des aventures de Batman : The Dark Knight. Après la naissance du héros chauve-souris dans l’excellent Batman Begins, Christopher Nolan place la barre encore plus haute avec l’apparition du nouveau génie du mal et bad guy emblématique de la saga : le nihiliste Joker. Heath Ledger (mort d’une overdose juste après le tournage) reprend le rôle autrefois joué par Jack Nicholson dans le tout premier Batman réalisé par Tim Burton en 1989 et lui donne une dimension hallucinée et meurtrière beaucoup moins kitsch et bariolé que son prédécesseur. Son affolante prestation porte le film en reléguant au 2nd plan le mono-expressif Christian Bale. C’est dire…

L’analyse de Jean-Baptiste Thoret (il est bon ce petit) vaut le détour : « Le Joker aspire le récit vers les abîmes du chaos et théorise un monde hanté par la trouille du terrorisme, de l’horreur arbitraire et de l’apocalypse tranquille. Tourné à Chicago, The Dark Knight continue d’explorer les arcanes criminels de Gotham City, passé en deux films du style néo-baroque des années 1980 à la froideur géométrique d’une ville sous tension, en proie à une vague d’attentats meurtriers et d’assassinats en chaîne. Etats d’alerte, séquences de panique, hyperviolence du bonhomme, le Joker s’invite dès l’ouverture du film afin d’en fixer les nouvelles règles. […]

Via l’escalade de la violence entropique et irrationnelle perpétrée par un psychopathe qui doit autant à Mabuse le joueur qu’à Ben Laden le barbu. The Dark Knight enterre sur le mode tragique un rapport au Mal pré-11 septembre 2001 et qui inaugure l’ère d’une menace indéchiffrable (pourquoi ? Comment ? Dans quel but ? sont des questions qui ne traversent pas l’esprit du Joker) et imprévisible. Fini le temps de la mafia et de ses morfalous en costards Soprano, fini le temps du Bien et du Mal avec chauve-souris au centre, le Joker incarne d’emblée une menace nouvelle, amorale, gratuite qui ne vise qu’à installer pour le plaisir le spectacle d’un chaos intégral. Face à lui, un flic aussi déterminé qu’impuissant (Gary Oldman), un procureur intègre, qui finira défiguré par un désir de vengeance (Aaron Eckhart), et notre héros capé, alias Bruce Wayne, lancé comme une boule de billard tonitruante mais impuissante sur le tapis de jeu du Joker. Un triel d’individus et de forces complexes, donc, qui atomise très vite le schéma type du comics movie (very nice guy versus very bad guy) pour un attelage étrange et plutôt réussi entre une franchise à honorer, un génie du Mal et du troisième type qui parie sur la part sombre des individus (formidable séquence cornélienne de deux ferries dont les populations otages doivent choisir entre eux et les autres) et trois hommes déboussolés qui ne comprennent pas le principe de l’action démotivée. Ici, les intérêts permutent au fil des minutes, les mains propres se salissent en un coup de téléphone, les héros de la loi tombent de leur piédestal comme des mouches, les contre-attaques de Batman et consorts se transforment en opérations suicides.2008-the-dark-knight-batman-movie-poster-8.jpg

Christopher Nolan ne se limite pas au fantôme du 11 septembre qui hante son film et développe le paradoxe d’un film de superhéros [sans super pouvoirs ce qui le démarque des autres « extra-humains » de DC ou Marvel] profondément inadapté à un monde dont la logique lui es t désormais étrangère [lumineuse métaphore du majordome Alfred, magnifique Michael Caine, sur un bandit dans la jungle]. Batman s’efface à mesure que le Joker se densifie, tente d’installer à sa place un héros légitimé par la loi, ses coups d’éclat ressemblent à des coups d’esbroufe et son armada technologique ne lui confère plus aucune supériorité tactique sur son adversaire solitaire. Batman ressemble à un pompier pyromane, soit la version catastrophe d’une Amérique qui se voudrait encore providentielle, mais qui n’est plus qu’impuissante. »

Un film couleur ébène où le rire d’outre-tombe du clown fou s’apprécie en version originale. Alors, « Pourquoi autant de sérieux ? » Souriez…

Sylvain Métafiot