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lundi, 26 avril 2021

Florian Balduc : « Ne nous laissons pas tenter par une forme d’abandon. »

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C’est en 2014 que Florian Balduc fonde les Éditions Otrante, animé d’un désir d’arpenter, au gré de ses envies, d’autres chemins que ceux de la production littéraire actuelle. S’inscrivant dans la lignée du célèbre roman gothique d’Horace Walpole (« Le Château d’Otrante », 1764), les premiers ouvrages exhumaient des spectres oubliés du répertoire fantastique et romantique (Hoffmann, Charlotte Dacre, Pétrus Borel, Lamothe-Langon, Byron…) ; tandis que ce sont des essais traitant de la représentation du paysage dans les arts, du rythme amoureux des poèmes ou de l’évolution théâtrale entre la Belle Epoque et les Années folles qui ont pris la suite d’un catalogue qui ne sacrifie rien à l’exigence.

Le Comptoir : Avant d’être une maison d’édition, Otrante était une librairie de livres anciens, manuscrits et autographes, créée en 2004. Qu’est-ce qui vous a donné envie de franchir le pas de l’édition ?

Florian Balduc : Plusieurs raisons, sans doute, et aucune en particulier… Je n’aimais pas la ou disons une tournure que prenait le marché du livre ancien, reflet de l’évolution des goûts de la société, ainsi qu’une envie de changer, de faire quelque chose d’autre ou plus simplement « à côté » puisque l’idée initiale n’était nullement de devenir éditeur. Aucune ligne prévue, aucun objectif, simplement, à l’image des libraires éditeurs des siècles précédents, publier quelques titres en marge de la librairie ancienne. Le temps consacré à la recherche pour les éditions et les ventes des différents titres ont fait évoluer la chose même si, officiellement, la librairie ancienne est toujours là.


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Aviez-vous en tête des éditeurs de référence (de par leurs choix éditoriaux, leurs relations aux écrivains, leur intransigeance peut-être…) en lançant votre propre maison d’édition ?

Prenant la suite de la réponse précédente, non, rien en tête qui soit lié au monde de l’édition puisque ce n’était pas ce que je visais. La seule règle posée était la sobriété, ou une forme de, tant pour la forme que pour les contenus ainsi que, bien évidemment, la volonté de ne pas publier de textes qui ne me plaisent pas ou ne correspondraient pas, plus encore qu’à mes goûts, disons à un cadre ou à mes principes.

 

Quant aux relations avec les auteurs, les livres se font avec eux et la chose ne se limite pas qu’à la réception, mise en page, publication du livre. Pour évoquer le cas le plus « extrême », pour à A. peut-être en vers (2019), Pierre Magnier (auteur de ce travail de recherche) et moi avons échangé de nombreux mails quotidiens pendant plus ou moins six mois, temps d’invention de la mise en page très spécifique pour ce volume, de réalisation et de tentative de reproduction au plus proche des feuillets du manuscrit de Mallarmé.

 

« La seule raison d’être de ces différents volumes était une forme tant de constat que de résistance et une dénonciation des dérives de la science, l’hybris, la quête de fortune ou de gloire prévalant sur la valeur d’une vie et la mise en garde contre la déshumanisation. »

De quoi se compose le corpus de vos lectures personnelles ? Quels auteurs ou quels genres ont vos préférences ?

Je vais choisir, comme pour d’autres sujets, de laisser les lectures personnelles dans la sphère privée mais peux néanmoins dire que je lis majoritairement des essais et que pour la part littérature il ne s’agit dans tous les cas jamais, je crois, d’auteurs français contemporains. Mais les essais, notamment ceux parus depuis le début de l’année 2021 et ceux à venir, viendront je pense apporter quelques réponses quant à mes lectures personnelles.

Les premiers ouvrages publiés dans votre maison d’édition appartiennent au genre du romantisme noir (ou roman gothique), regroupant des récits vampiriques et sadiens, des danses macabres, des nouvelles fantastiques, des contes faustiens… Quelle volonté a présidé à l’exhumation de ces textes oubliés ?

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De malentendus en associations ou conclusions erronées j’ai cessé, fin 2017 je crois, de publier des textes relevant de ces domaines avec un dernier titre, Saint-Léon (2017), de William Godwin, le père de Mary Shelley, car j’estimais qu’il permettait de boucler ce « cycle » en révélant que l’unique centre d’intérêt ou la seule raison d’être de ces différents volumes était une forme tant de constat que de résistance et une dénonciation des dérives de la science, l’hybris, la quête de fortune ou de gloire prévalant sur la valeur d’une vie et la mise en garde contre la déshumanisation.

 

Si rien ne demeure (2018), paru après Saint-Léon, a permis de prouver que nous avions changé de genre et laissait le temps de préparer l’arrivée d’essais souhaités depuis le début mais qui ne pouvaient être mis en place du jour au lendemain.

Vos dernières parutions sont principalement des essais, ceux de Serge Martin, Nathalie Coutelet ou Damien Ziegler. Concernant la dernière publication, comment s’est construite la réflexion de Béatrice Munaro à propos de son travail sur la Destruction et la métamorphoses du corps dans l’enfermement chez Primo Levi, Perec et Beckett ?

Plutôt que de tenter, maladroitement, de parler en son nom, laissons Béatrice Munaro répondre à votre question : « Ma réflexion s’est construite autour d’une interrogation sur le pouvoir que pouvait posséder la littérature pour dire l’indicible. Face au traumatisme physique et psychique, l’écriture offre des images, des contournements, mais présente aussi des déchirures, des blancs, qui disent la violence et la transmettent. Les œuvres de Primo Levi, Georges Perec et Samuel Beckett ouvrent des pistes de réflexion fécondes sur une écriture hantée par l’anéantissement et l’inhumain. Elles permettent aussi d’interroger la manière dont l’auteur cherche à se recomposer lui-même à travers le texte. »

Malgré la crise sanitaire, arrivez-vous à organiser des événements autours de vos nouvelles parutions ? Est-ce difficile de se faire connaître quand on est un petit éditeur ?

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« Les conséquences, tant économiques que psychologiques […] vont se révéler bien plus graves et bien plus générales et durables que pour les simples secteurs de l’édition ou de la culture au sens large. »

 

Quant aux événements annulés, je ne saurais que dire. Les séances de dédicaces et autres lectures ou rencontres concernent plus la création littéraire, romans ou poésies que les essais, mais il est évident que le contexte actuel les rend de toute façon inenvisageables. Se profilent ici ou là quelques pistes ou suggestions de remplacement sous la forme de visioconférences, nous verrons, dans tous les cas il s’agira alors de solutions par défaut et pas d’un choix.

 

Je pense en revanche que la destruction, progressive, massive et organisée – pour ne pas évoquer plus simplement une grande braderie et mise à la casse, tant de l’édifice culturel que d’autres domaines – pousse plutôt à se demander, non pas « comment procéder sans salons ou rencontres », mais plus simplement restera-t-il quelque chose à la sortie de tout ceci ? – Le « tout ceci » n’ayant nullement commencé avec cette pandémie, mais bien avant, cet épisode ne venant que confirmer qu’il était « encore déjà trop tard ».

 

La situation de l’édition peut en effet être préoccupante, inquiétante voire mauvaise en raison du contexte, mais les conséquences, tant économiques que psychologiques, sur lesquelles vont inévitablement venir se greffer des changements d’habitudes, ainsi qu’un système imposant d’oublier ses désirs ou envies et de se conformer en priorité aux injonctions de travail, obéissance et surveillance, vont se révéler bien plus graves et bien plus générales et durables que pour les simples secteurs de l’édition ou de la culture au sens large – pensons pour ne citer que ces quelques exemples aux milliers de postes d’enseignants supprimés à la rentrée prochaine, au travail d’anéantissement minutieux de l’Université ou, pour la touche humoristique, à la suppression de lits d’hôpitaux en plein cœur d’une crise sanitaire qui n’a fait que révéler que notre plus grande faiblesse était, justement, le manque de lits…

 

Je vais ici me permettre de puiser dans l’ouvrage de Béatrice Munaro avec cette citation de Samuel Beckett reprenant le paradoxe d’Eubulide : « Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas. »

 

Dans l’attente de… l’essentiel est de poursuivre de notre côté et de ne pas nous laisser submerger ou tenter par une forme d’abandon. Salons ou rencontres ne reprendront sans doute pas dans les mois qui viennent mais l’essentiel des ventes, nous concernant, passe en réalité principalement par des achats en direct sur le site des Editions, ce qui nous permettra peut-être d’être moins touchés que d’autres, peut-être… Nous n’avons pas changé notre rythme de travail, même si nous avons dû décaler des parutions en raison du contexte, et de nombreux titres sont en préparation. À part les actes du colloque de Cerisy consacré à la revue Critique de Georges Bataille parus en janvier et Destruction et métamorphoses du corps dans l’enfermement de Béatrice Munaro paru il y a quelques jours, et pour n’évoquer que les livres achevés, un ouvrage titré Surréalisme. Résister, réinventer la langue paraîtra normalement fin mars ou début avril 2021, et un Levinas ou l’héritage de Karl Marx à l’automne. Poursuivons, en nous adaptant, avec ou sans événements culturels extérieurs.

 

Sylvain Métafiot

 

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Article initialement publié sur Le Comptoir

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