Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« 2019-07 | Page d'accueil | 2019-11 »

dimanche, 27 octobre 2019

Un sadisme vertueux ? Contes libertins du marquis de Sade

Un sadisme vertueux,Contes libertins,marquis de Sade,Philippe Roger,Stéphanie Genand,Jean Roussel,Le Comptoir,Sylvain Métafiot,

 

Article initialement publié sur Le Comptoir

 

La question peut paraître incongru tant on a fait du divin marquis – dont les textes étaient solidement ancrés dans les théories matérialistes et scientifiques des Lumières – le destructeur le plus radical de toute la morale chrétienne, foulant aux pieds les institutions et les bonnes mœurs, mettant à nu les justifications de tous les crimes possibles : une fois le vernis de la civilisation passé à l’acide ne reste que l’expression des désirs naturels, des plus tendres au plus meurtriers. Comme le dit Philippe Roger, Sade est « un auteur gai, comme on peut l’être quand on piétine toutes les plates-bandes d’une ancienne société, pour y camper une parole neuve, une jeune insolence, un gai savoir. »

 

Et pourtant, l’imaginaire noir et la violence ne sont pas les seuls thèmes chers à l’auteur Sade. Il fut aussi un « expert dans le maniement de l’écriture brève et du comique« , la farce damant le pion à l’effroi au moment de sa vie où il fut en quête de respectabilité littéraire. À l’aube du XIXe siècle, Sade cherchait davantage à séduire le lecteur qu’à le choquer. C’est que nous apprend Stéphanie Genand dans la précieuse préface de l’édition de ces Contes Libertins aux éditions Garnier-Flammarion. La surprise est étonnante : sans jamais négliger sa plume sublime, toujours d’une grande délicatesse (y compris dans ses romans les plus terrifiants), Sade raconte des fables où maris cocus, femmes infidèles, prêtres délurés et autres gais lurons sont plongés dans des situations rocambolesques censées édifier les consciences. Sont ainsi prônées le respect des vertus telles que la pudeur, la piété, la tempérance, la fidélité, la bienfaisance, la pitié, la prudence, l’amour du bien et de la vérité (les mêmes vertus qui seront sévèrement punies par la providence dans l’histoire de Justine…). Il faut donc distinguer, pour reprendre la métaphore de Jean Roussel, le versant diurne de Sade soucieux de notoriété et de visibilité, de ses écrits de la nuit publiés anonymement et qui lui valurent la prison.

 

S’inspirant autant de Diderot, Boccace, Mirabeau, que des romancières expertes dans la forme courte (Mme de Gomez, Mme de Tencin ou Mlle de Lussan), ces quatorze récits composant ce recueil introduisent l’ambivalente « plaisanterie » des Lumières qui, comme le rappelle Stéphanie Genand « loin d’introduire la confusion, épouse au contraire la richesse du projet sadien : entrelacer le rire et la mort, la joie et la frustration, le carnaval gaulois et la soif de reconnaissance ». Le comique sadien transforme ainsi la légèreté en art noble.

 

Sylvain Métafiot

jeudi, 10 octobre 2019

Le théâtre de la liberté : Comrades de Bill Douglas

530966.jpg

 

Article initialement publié dans le 1er numéro de La Revue du Comptoir

 

Idéologie et cinéma font rarement bon ménage. Assujettir l’art à un objectif purement didactique, c’est le transformer en un manuel bien-pensant à destination du parfait petit militant. Dans cette entreprise de propagande culturelle, le réalisme socialiste soviétique et l’anticommunisme hollywoodien des années 1950 sont emblématiques d’un affrontement mimétique barbifiant et manichéen. Pourtant, dans les flots du cinéma politique, émergent aussi des œuvres qui savent allier avec intelligence la férocité du combat politique, l’élégance de la mise en scène et la profondeur des personnages. Parmi eux, un sommet : Comrades, de Bill Douglas, réalisé en 1986.

 

Quelques précisions liminaires. Si nous pouvons citer quelques exceptions notables du cinéma engagé (tels que Le Cuirassé Potemkine de Sergeï Eisenstein, Blitz Wolf de Tex Avery, Pluie noire de Shōhei Imamura, La Belle équipe de Julien Duvivier), il serait vain de dresser la liste de ceux qui représentent de façon emblématique non pas “le socialisme au cinéma”, mais l’empathie pour les petites gens. Tout au plus, pourrions-nous regarder du côté de certaines réalisations de Jean Renoir, Franck Capra, Costa-Gavras, Elio Petri, René Vautier, Chris Marker, Francesco Rosi, Bruno Dumont, etc. Mais c’est du côté de l’Angleterre qu’on trouve certaines des œuvres les plus saisissantes en ce qui concerne la lutte des classes. Des films de Peter Watkins à ceux de Ken Loach, en passant par Mike Leigh et Alan Clarke, la patrie de George Orwell, mère de la révolution industrielle et des crises sociales qui s’ensuivirent, est un terreau fertile à l’engagement en faveur des laissés-pour-compte de la société capitaliste.

 

Comrades a fait l’objet d’une sublime restauration en 2014 et bénéficié d’une ressortie en salles la même année. Le choix, ici, de ce film permet de donner un peu de lumière à un cinéaste quasiment méconnu en France : Bill Douglas. Humaniste, soucieux de la justice sociale, se revendiquant du socialisme utopique, il a réalisé une belle trilogie autobiographique dans les années 1970 : My Childhood (1972), My Ain Folk (1973), My Way Home (1978). Enfin, l’inactualité de l’histoire véridique narrée dans Comrades est plus intemporelle et percutante que les arguties sociologiques récurrentes des mauvais films à thèse (à ce compte-là, la France a subi – et subit toujours – son lot de films débordants de catéchisme révolutionnaire à la petite semaine). Ainsi, à cent lieues d’un certain cinéma qui, d’une “hauteur” journalistique, s’évertue à filmer de la façon la plus laide et lourde qui soit des situations purement démonstratives afin d’accréditer ses théories “transgressives”, nous préférons le lyrisme révolutionnaire qui ne sacrifie pas la beauté visuelle sur l’autel de la cause, embrase l’esprit critique et alimente la flamme de la révolte.

Lire la suite