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mercredi, 27 mars 2019

Filiation de nuit et de sang : Ranpo Panorama de Suehiro Maruo

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Cela tombe sous le sens. Que le père du mouvement artistique Ero-guro, l’écrivain Edogawa Ranpo (1894-1965), soit l’influence principale du mangaka Suehiro Maruo, spécialisé lui aussi dans cette veine sombre et palpitante qu’est l’érotisme grotesque. De son vrai nom Taro Hirai, Ranpo publie sa première nouvelle, La Pièce de deux sen, en 1923, dans la revue Shinseinen. C’est avec les histoires du détective Kogorô Akechi et des nouvelles comme La Chaise humaine qu’il acquiert une notoriété et un succès grandissants. Maruo fut quant à lui très tôt fasciné par les revues Shônen King et Shônen Magazine au point de vouloir devenir dessinateur professionnel. Malgré le refus de Shônen Jump de l’accepter dans ses pages, il publie à 26 ans son premier album Le Monstre aux couleurs de la rose. Depuis, de mangas en illustrations sa renommée et son talent ont explosés, dépassant les frontières du Japon.

 

Maruo a toujours eu une prédilection pour les adaptations des récits de Ranpo (La ChenilleL’ïle panorama, deux récits datant de la fin des années 1920) faisant entrer le manga dans une nouvelle dimension, plus adulte, plus dérangeante. L’on découvre ainsi, dans ce bel ouvrage d’art édité au Lézard Noir, plus de cinquante œuvres en couleur parfois jamais publiée (affiches de théâtre, collages et peintures, publicités, couvertures de CD…) inspirées par l’univers du maître du roman de détectives japonais. À l’exception du court récit « La danse du nain » (adaptation inédite d’une histoire de 1926 inspiré par le Hop-Frogd’Edgar Allan Poe), le recueil est composé uniquement d’illustrations où l’on retrouve tous les thèmes de la poésie macabre qui traversent l’œuvre des deux artistes : violence funèbre, monstruosité des corps, perversions sexuelles, vampirisme, cannibalisme, terreurs nocturnes… Derrière le coup de crayon virtuose l’on perçoit ainsi clairement le filigrane du Marquis de Sade, Georges Bataille, Lewis Caroll, Van der Weyden, Bram Stoker et, évidemment, Edgar Poe, influence majeure entre toutes.

 

Sylvain Métafiot

lundi, 18 mars 2019

L’héroïne des temps modernes : Les rêveries du toxicomane solitaire

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Article initialement publié sur Le Comptoir

 

Il y a du Baudelaire dans ce texte écrit par un anonyme français de la fin du XXe siècle. Du haschisch des paradis artificiels de 1860 à l’héroïne de 1980, c’est une semblable dissection de l’âme droguée, entre fuite onirique hors de la société et création poétique intérieure. Mais cette opération n’a d’autre but que de témoigner de son expérience particulière, rien de plus. Ni pardon ni rédemption ne motivent son écriture élancée et fière : « chacun reste toujours seul avec ses démons familiers. » Tout son corps est tendu vers les délices de l’héroïne dans une quête désespérée et extraordinaire, le faisant roi en ses rêves, traversant le cosmos, jonglant avec les étoiles, distordant le temps en le faisant vivre à des époques révolues (au début du XVIIe siècle, dans l’Angleterre de 1810, la France Fin de Siècle, le Berlin de 1920…). Cette expérience littéralement stupéfiante dura sept ans.

 

L’héroïne fut pour lui une « ascèse barbare » le détachant de la médiocrité du réel environnant. Un coup de sifflet mental annonçant le départ pour mille voyages intérieurs. L’aiguille permit de le détourner des objets du monde pour faire face au seul objet digne de son obsession : son corps, catalyseur de ses plaisirs infinis. Et si la drogue, les moyens de s’en procurer, les réactions physiques de l’injection constituent les seuls sujets de conversation du junkie, ceux-ci ne demeurent pas plus abêtissants que les discussions continuelles des braves gens autour de l’argent, du travail ou des médias. Dépouillé de toute vanité, il erre ainsi dans son propre désert pour fuir la civilisation : « Ce fut tout de suite une expérience mystique. J’ai joué ma vie en solitaire. Jamais je n’entrai dans le ghetto des consommateurs de la chose. Ce cloaque relationnel, je n’en prenais connaissance qu’à travers les articles à scandale des journaux. La distance me séparant de ce pandémonium était de l’œnologue au pochard. Par l’aristocratie des veines, je sus trouver un farouche moyen de me scruter corps et âme. J’ai agi en conséquence, et j’ai focalisé mon attention sur ces altérations de conscience dont le mystère me séduisait. J’entendis le fracas d’antiques batailles. Des voix inouïes parlaient un langage incendiaire. »

 

Sylvain Métafiot