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mardi, 28 février 2012

[Critique de Livre] - Nicolas Bouvier - L'usage du Monde

Hit the road, Nicolas


Un récit de voyage à faire pâlir Kerouac ?

 

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En 1963 paraissait « L'usage du monde », de Nicolas Bouvier, récit d'un voyage réalisé en 1953 et 1954 entre la Yougoslavie et l'Afghanistan avec le peintre Thierry Vernet, un ami. Doté d'une écriture ciselée et poétique où les mots s'accordent de manière surprenante, Nicolas Bouvier contait dans son premier ouvrage l'Europe de l'Est, la Perse (actuelle Iran), l'Afghanistan. Dans une forme hippie ou beatnik ? Argumentaire et morceaux choisis du livre. 

 


 

En 1963, la radio télévision suisse (RTS) s'intéresse - elle est la première - au roman de Nicolas Bouvier, « L'usage du monde » ; ce dernier est reçu par le journaliste Maurice Huelin. Questions brèves et assez aigries (peut-être simplement caractéristiques d'une époque, et étant alors trop jeune, je suis naïvement trompé par l'écart de générations...), plans et réalisations peu avantageux pour l'écrivain : devait-il imperceptiblement se défaire, déjà, d'une image de « hippie » traçant la route sans autre motivation ? 

 

 

« Se faire plumer par le voyage », « Ce n'est pas moi qui ai du talent, ce sont les mots qui ont du talent », « La poésie c'est quand un mot en rencontre un autre pour la première fois » : avec justesse, Bouvier répondait aux interrogations du journaliste sur sa perception du voyage et son style d'écriture. 

 

C'est plus de l'humilité que l'on perçoit lors de l'entretien de l’écrivain, une vraie sincérité quant à son besoin de mouvement ; la recherche permanente d'un échappatoire pour un étudiant ayant achevé ses études, pas encore prêt à plonger dans une société dans laquelle il ne se reconnaît pas pleinement. 

 

« La vie nomade est une chose surprenante. On fait quinze cents kilomètres en deux semaines ; toute l'Anatolie en coup de vent. Un soir, on atteint une ville déjà obscure où de minces balcons à colonnes et quelques dindons frileux vous font signe. On y boit avec deux soldats, un maître d'école, un médecin apatride qui vous parle allemand. On bâille, on s'étire, on s'endort. Dans la nuit, la neige tombe, couvre les toits, étouffe les cris, coupe les routes...et on reste six mois à Tabriz, Azerbaïdjan. »

 

 

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Comme Kerouac, le roman de Nicolas Bouvier ne connaîtra qu'un succès postérieur à sa parution, lors de sa réédition en 1985. Le scénario – c'est à dire la bourlingue et les galères qu'il décrit avec talent -, une recherche de la poésie constante et un maniement des mots extraordinaires en font un ouvrage d'une intensité rare, qui du début a la fin jamais ne lasse. Nicolas Bouvier décrit la rencontre avec les populations locales, leur hospitalité (ou non) et la chaleur des échanges ; l'assimilation dans une ville, souvent réussie par le fait d'y travailler. Et même si les histoires se répètent, les pays changent, et le vocabulaire de l'écrivain semble infini, outil magique utilisé pour peupler l'imaginaire européen d'histoire des milles et une nuit remises au goût du jour et parfumées des impressions lucides d'un jeune homme passionné. 

 

 

« L'agrément de ces longs voyages en pleine terre c'est – l'exotisme une fois dissipé – qu'on devient sensible aux détails, et par les détails, aux provinces. Six mois d'hivernage ont fait de nous des Tabrizi qu'un rien suffit à étonner. A chaque étape, on relève de ces menus changements qui changent tout – qualité des regards, forme des nuages, inclinaison des casquettes – et, comme un Auvergnat montant sur Paris, on atteint la capitale en provincial émerveillé, avec en poche, de ces recommandations griffonnées sur des coins de table par des pochards obligeants, et dont il ne faut attendre que quiproquos et temps perdu. »

 

" L'Éternel sifflera les mouches qui sont à l'extrémité des canaux d'Egypte (L'Ecclésiaste)."

 

Il a du les siffler d'ici. Je dirai une fois ce qu'il faut penser des mouches d'Asie. On a de l'ombre, un bruit de fontaine, de tapis moelleux, l'épuisement : tout est réuion, on va pouvoir dormir. Mais qu'une seule mouche survienne et il faut remettre ce projet. Moi, en tous cas, il faut que j'y renonce et lorsque l'on a quatre ou cinq nuits de retard, il n'existe pas de frustration plus cuisante. (Thierry, lui, dormait comme une souche et le spectacle de ce sommeil me remplissait d'une véritable haine). On n'a plus alors d'autre ressource que de travailler dans l'espoir de s'épuiser complètement : nettoyer les vis platinées, les bougies, et graisser les ressorts. Refaire le bagage, remplir le bidon d'eau potable, mettre un manche à notre pelle. Marchander quelques vivres au bazar, en remarquant que les femmes en oripeaux noirs et bleus, qui flânent lorsqu'elles marchent à l'ombre, bondissent en traversant les zones de soleil pour ne pas se brûler les pieds, ce qui donne à la rue un rythme absurdement brisé. » 

 

 

Au fond, n'était-ce pas, ça, les hippies ? Abandonner une certaine forme de société de consommation au profit d'un semi-nomadisme ayant vocation à découvrir de nouvelles choses, partir sur les routes en se libérant de toute attache pour mieux comprendre le monde, s'ouvrir à l'Art ? L'absence d'entrave plane et reste permanente dans « L'usage du monde » et elle fait du bien. 

 

Je ne crois pas que Nicolas Bouvier se serait (soit) revendiqué hippie, mais si Jack Kerouac a pu insuffler un vent de fraicheur en Amérique, qui dit que le premier n'aurait pas alors pu déclencher un ouragan ? 

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 La fiche Amazon du livre : www.amazon.fr/Lusage-du-monde-Nicolas-Bouvier/dp/222889401X

 

 

Nicolas Bouvier est né en 1929 au Grand-Lacy (Suisse) et mort en 1998 à Genève.  

 

Julien Loisel

 

 

Commentaires

 

Dommage que je ne trouve pas ce livre au Pérou, sinon je l'aurai acheté les yeux fermés ! Merci pour ton article Julien, un véritable voyage à lui tout seul !

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