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mardi, 03 février 2009

Orpaillage clandestin en Guyane Française

carte-guyane-orpaillage.jpgMapausecafe.net a la chance d'avoir un lectorat de qualité. Vos commentaires toujous plus nombreux et de grande qualité nous le prouvent tous les jours. Et derrière chaque internaute, il y a des hommes ou des femmes aux profils souvent très différents. Aujourd'hui, c'est Axel, lecteur et commentateur de Mapausecafé qui nous a envoyé un article sur une actualité qui lui est chère. Habitant la Guyane Française et orpailleur légal, il nous fait part d'informations souvent méconnues en métropole. En guise de première approche, vous pouvez cliquez sur la carte de la Guyane ci-contre pour l'agrandir et vous rendre compte de l'emplacement des différents sites d'orpaillage (en vert sur la carte) dont va vous parler Axel.

 

 

[Orpailleur (étymologie) : mot dérivé de harpailleur, mot existant en 1532 dans le Pantagruel de Rabelais désignant un gueux, un brocanteur ou un mineur et ,croisé avec or, pour devenir dès 1611 arpailleur « celui qui cherche de l'or » et vers 1690 « celui qui recherche de l'or sur le bord des rivières » et enfin orpailleur.]

 

La Guyane, département français d'Outre-Mer, coincé entre le Suriname et le Brézil, compte 90 000 km² de forêt pluviale primaire. La seule infrastructure routière existante est développée le long de la côte, l'intérieur est une vaste contrée de non loi, un endroit où les gendarmes ne s'aventurent guère et seulement sur réquisition de l'état, souvent en compagnie de la légion étrangère pour y faire des opérations anti-orpaillage appelées "opérations Anaconda" et depuis février 2008 "opération Harpie".

 

Dans ces 90000 km² l'orpaillage clandestin sévit tranquillement. Les « garimpeiros »* brésiliens y sont chez eux. Leur population est estimée à plus de 10 000 âmes, plus de 10 000 personnes sans papiers qui exploitent de façon illégale l'or sur le territoire français. On croit rêver.

 

Et pourtant, en 2004 au lieu-dit Dorlin, la gendarmerie a détruit au cours d'une opération anaconda un véritable village de clandestins avec plus de 1 000 habitants fixes et des centaines de vagabonds. Les vagabonds sont souvent équipés d'un détecteur de métaux, le piupiu par analogie avec le bruit qu'il émet lors de la découverte d'un bout de métal, avec lequel ils repèrent les pierres incrustées d'or ou bien les pépites, très souvent aussi les vieux clous et boulons rouillés.

 

Ils se promènent dans la forêt de « garimpo » en « garimpo »* parfois plusieurs années d'affilées sans rentrer chez eux ou même retourner à la civilisation pour manger un hamburger ou se faire une toile. Ils se ravitaillent en nourriture et en piles pour leurs engins dans les nombreuses « curuteis »* qui jalonnent leur parcours et souvent traversent la Guyane de part en part, du Brésil au Suriname, et vis versa.

 

orpaillage-guyane.jpg

Les habitants fixes de ces villages clandestins sont les personnes qui travaillent avec une pompe à eau et exploitent les lits des fleuves et les commerçants, tenanciers de bouges où se louent les compagnes d'une nuit, parfois très jeunes et étonnamment jolies, souvent laides et plus très fraîches pour un prix variant de 5 à 20 grammes d'or (75 à 300 euros) au cours actuel de l'or (11/2008). Où la canette de bière brésilienne, 350ml, se vend 0.5 gramme (7.5 euros), la bouteille de (mauvais) whisky surinamais ou brésilien 4 grammes (60 euros), et enfin le poulet congelés de 1.2 kilo 1.5 gramme, cela fait cher le kilo de mauvaise volaille. (Ce sont les prix actuels, 11/2008, pratiqués dans la région de Dorlin). Ici toutes les affaires se règlent en or, le commerçant sort sa petite balance électronique et le client sa « casave »* ou ses pépites. Et l'on découpe l'or en petits morceaux du poids désiré.

 

De plus en plus rare mais encore existant, la cigarette, 1gramme, en contrepoids sur une petite balance à balancier. Un mini plateau relié par une chaînette à chaque extrémité du balancier, sur l'un des plateaux l'or, sur l'autre les cigarettes.

 

Pour être un orpailleur clandestin il ne faut pas grand-chose, mais ce pas grand-chose il le faut en dose massive : du courage, de la ténacité et la capacité de vivre de très longues périodes démuni de tout, dans un milieu hostile. Même si l'enfer vert amazonien n'est pas celui décrit par les aventuriers en chaises longues qui se prélassent sur les terrasses des hôtels de luxe. Vous pouvez oublier les piranhas toujours à l'affut de chair, je me suis souvent baigné nu dans de nombreuses rivières de Guyane, et je suis toujours « entier ». J'ai parfois dû dormir par terre, à même le sol, en forêt parce que ma partie de chasse durait plus que prévu et que je m'étais légèrement trop éloigné du droit chemin vers le camp, et je suis toujours vivant et bien en chair, il ne manque rien.

(Je crois avoir oublié de préciser qu'il y a 13 ans que je suis ce que l'on appelle communément en métropole un « chercheur d'or ». J'ai commencé comme clandestin, ben oui, et je suis aujourd'hui responsable d'un site d'exploitation d'or primaire pour une société cotée en bourse, je sais de quoi je parle pour avoir tâté des 2 côtés de la barrière, je connais le site de Dorlin (latitude N3°45' longitude W53°32') depuis 1997 et j'y suis resté jusqu'en décembre 2007, aujourd'hui je suis à Yaou près de la commune de Maripa Soula.)

 

Pour revenir à nos amis garimpeiros clandestins, ils sont très souvent Brésiliens et parfois d'autres nationalités d'Amérique du Sud, ils sont toujours illettrés mais pas sans sagesse, et ils sont toujours exploités par de plus intelligents qu'eux qui vivent à leur crochet en forêt, j'ai nommé les patrons des boutiques clandestines. Si vous voulez gagner de l'argent en travaillant dans l'or, vendez aux orpailleurs ce dont ils ont besoin au fin fond de la forêt, ils paieront cash pour ne pas devoir perdre leur temps en de difficiles et dangereux voyages vers la ville. (La plus proche de Dorlin est Maripasoula à environ 50 kilomètres à vol d'oiseau, 6 heures de pirogue sur le Petit Inini, avec un barrage de gendarmerie à moins d'une heure de l'arrivée). Et quand bien même, dans les villes du centre de la Guyane, là où l'orpaillage bat son plein, les commerçants sont des voleurs. Par exemple, l'or valait en 2006 10€ le gramme, il vaut actuellement 14 € le gramme mais les commerçant le change toujours à 10 contre leur marchandise. 3 bières au gramme ou bien 3 bières pour 10 euros. Là ils se gavent les enfoirés car tout le monde paye en or, du moins 95% de la clientèle fidèle. Un fût de gasoil acheté pas cher au Surinam peut atteindre le prix de 100 grammes pour peu que vous soyez un rien éloigné des centres de vie et que les gendarmes surveillent un peu les voies d'approvisionnement, souvent les cours d'eau, et 100 grammes au cours du gramme en forêt, revendus en ville plus ou moins 1400€. Belle opération pour 200 litres de gasoil de pas très bonne qualité et souvent mélangé d'eau,... non ?

 

Mais sans gasoil comment faire fonctionner les moteurs des pompes à eau et des pompes à gravier qui 7 jours sur 7 vont aspirer les sables minéralisés des lits des cours d'eau. Il y a ici deux signification au mot lit du cours d'eau : le lit proprement dit, la rivière étant alors détournée par un canal en pied de colline, ou le flat, c'est-à-dire la surface que le cours d'eau occupe lorsqu'il est en crue et où il dépose des sédiments, de pied de colline à pied de colline.

 

*Garimpo : de garimpar en portugais qui veut dire rechercher fouiller. C'est par dérivation l'endroit ou le garimpeiro (chercheur d'or) travaille.

*Curutel, pluriel curuteis : petits villages de commerçants clandestins installés autours des garimpos où l'on trouve de tout à des prix fous.

*Casave : Or amalgamé et dont la quantité de mercure a été réduite à environ 4 à 6%. 100 grammes de casave donnent entre 92 et 96 grammes d'or « pur », parfois moins. La casave est en fait une galette de manioc et l'on a appelé cet or cuit casave en raison de la ressemblance de sa texture avec celle de la casave comestible.

 

Qui sait en métropole qu'il y a des milliers de clandestins qui pillent un seul DOM français ? Qu'il existe dans ce Dom une mafia organisée pour leur fournir tout ce dont ils ont besoin et le leur reprendre par les prix insensés qu'ils pratiquent ? Que pouvons ou devons-nous faire pour interdire de telles pratiques (Non pas pour le pillage des ressources mais pour la servitude dans laquelle ils sont exploités au 21eme siècle) ?

 

Jeudi, un second article vous expliquera les résultats de l'opération Harpie aujourd'hui suspendue...

 

Axel

07:00 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (4)

 

Commentaires

 

Excellent, j'attends la suite avec impatience... merci

 

Nous te l'avions déjà dit par email, mais bravo, en tout cas cela montre encore une fois qu'en Métropole nous ne savons rien.... j'attends la suite !

 

Bonjour et merci pour les commentaires.
En fait on ne peut pas dire que la Guyane soit une région hostile aux forces françaises, il y a même un camp d'entraînement de la légion sur la rivière Mataroni, affluent de l'Approuague, à quelques brasses de la petite bourgade de Régina. Mais la forêt est hostile à toute pénétration non préparée, et les gendarmes envoyés en mission en forêt pour les opérations de type Anaconda ou Harpie sont des mobiles qui viennent passer 3 mois en Guyane et sont plus à l'aise sur les trottoir de Montluçon que dans la broussaille guyanaise. De plus une intervention pour être couronnée de succès nécessite beaucoup de dépenses, transport en hélicoptère de troupes toujours plus nombreuses, ravitaillement aérien dans les villes les plus proches des théâtres d'opération, nombreuses expulsions de clandestins vers leur pays d'origine ... ! La politique de notre gouvernement est plus axées sur les contrats militaires juteux avec notre grand voisin le Brésil que sur le respect de la loi en Guyane.
Quant à l'aspect écologique, une fois de plus je suis surpris par le bruit que l'exploitation de quelques kilomètres carrés de forêt fait en Europe. Personne ne dit que l'installation des Bonis sur la fleuve, installation qui a conduit à la création de la ville de Maripa-Soula est anti écolo. Or ces personnes vidanges leurs moteurs hors-bord dans le fleuve, le système d'égouts et d'épuration des eaux usées est inexistant, la décharge publique est un vaste trou à ciel ouvert et les réserves de gasoil de la centrale EDf sont totalement hors normes !
La société pour laquelle je bosse possède 52 kilomètres carrés de permis, toujours pas libérés, sur ces 52 kilomètres carrés nous allons peut-être en exploiter 5, maximum 6. Depuis 2006 nous travaillons sur notre AEX (Autorisation d'exploitation) qui couvre un petit kilomètre carré, et il en reste encore. Si vous survoler la Guyane, vous ne verrez que de très rares traces de l'orpaillage, qu'il soit légal ou non. Par contre les villes clandestines continuent à contribuer à la perte de la forêt.
Si vous êtes intéressés, j'ai écrit un texte qui s'intitule "Le jour où la France a perdu la Guyane", je vais le remettre au goût du jour et vous le faire parvenir. Il date de la visite en Guyane du Tsar Nicolas 1er de France en février 2008.
En ce moment je me documente sur l'autre côté de la répression, le côté brésilien et la publicité que la presse brésilienne en fait. Si le lectorat le demande, j'essaierai de faire une synthèse aussi objective que possible. (En sachant que l'objectivité n'existe pas car dès que nous émettons un avis nous l'émettons à notre façon, et donc subjectivement.)
Axel

 

Très bon article et commentaires.
Je me coucherais moins bête ce soir (pourtant ce n'est pas gagné dans mon cas...)

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