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jeudi, 23 juillet 2009

Le totalitarisme au concret

Politiques du logement en RDA

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Attardons-nous un peu sur cette thèse ardue (désolé pour les néophytes) de Jay Rowell, chercheur au CNRS et membre du Groupe de sociologie politique européenne à Strasbourg. Ses travaux portent en général sur la sociologie de l'Etat communiste et l'histoire urbaine en Europe. Le présent ouvrage (cf. le titre de l'article) traite donc du régime politique de la RDA à travers la socio-histoire des instruments de domination bureaucratique et notamment des politiques du logement.

 

Depuis 1989, l'historiographie du système politique de la RDA a été marquée par un retour en force du paradigme totalitaire qui a placé le parti, l'appareil policier et l'idéologie au cœur de l'analyse. Cette lecture de la RDA comme un système dominé de manière absolue par le parti ne peut que reproduire, bien qu'à partir d'autres prémisses théoriques et normatives, les formes d'objectivation que le système produisait sur lui-même. Or, il semble que cette conception d'une domination « déjà-là », reposant in fine sur la contrainte physique, ne permet pas d'appréhender d'autres dimensions de l'histoire  politique et sociale plus « quotidiennes ».


L'examen des politiques du logement permet de relativiser la portée de l'interprétation selon laquelle le Bureau politique constituait le seul centre d'impulsion décisionnel. D'une part, les politiques du logement sont redéfinies à plusieurs reprises entre 1945 et 1989 : l'objet matériel et social de l'intervention se déplace : les problèmes identifiés, les objectifs et les solutions posées varient fortement selon une conjoncture spécifique à ce domaine d'intervention. D'autre part, ce qu'on peut appeler de manière générique une politique du logement, se décline en une politique de l'offre fortement centralisée et une politique visant à réguler la demande, qui elle, n'est pas mise en forme par une institution centrale conduisant à un éclatement des compétences.

 

Rowell place au cœur de son analyse les pratiques et les interactions qui permettent de constituer les incertitudes et les calculs des acteurs, les fluctuations de la valeur des ressources principalement constituées, ainsi que l'appropriation, la contestation et les arrangements concrets et quotidiens avec les techniques déployées à l'intérieur d'une organisation, entre deux organisations, ou entre une organisation et son public. Cette proposition d'ouvrir la « boite noire de l'Etat », en étudiant les transactions et interactions dans leur contexte cognitif, institutionnel et social conduit donc à réfléchir sur l'opportunité de faire un usage précautionneux d'un ensemble d'outils d'analyses forgées pour étudier les politiques publiques et la sociologie de l'Etat dans les systèmes pluralistes.

 

Dans la première partie du bouquin, « La sociologie de l'action publique en RDA : catégories, acteurs et instruments des politiques de construction de logements », Rowell étudie les déplacements successifs du référentiel d'action dans les politiques de construction de logements (1950, 1955 et 1973). Le concept de référentiel, en tant que système de normes et de représentations produit par et dans l'interprétation, permet une analyse plus sociologique des réseaux d'acteurs et de la relation entre les stratégies professionnelles, collectives et individuelles et la mise en problème d'un secteur d'intervention politique. Dans cette partie, il montre de quelle manière (et jusqu'à quel point) les orientations successives des politiques de construction sont tributaires des logiques de concurrence pour l'appropriation de la reconnaissance sociale et politique des compétences économiques et sociales spécialisées.

 

La deuxième partie, intitulée « Un régime hypercentralisé ? », présente un glissement de l'objet et du principe fédérateur, en plaçant les politiques d'attribution de logements et la structuration des rapports de domination entre le centre et la périphérie au cœur de l'analyse. Cette partie sert à sonder la portée et les limites des textes normatifs et des catégories statistiques dans la structuration des rapports entre les institutions du centre et de la périphérie. On constate une absence d'institution capable d'imposer une vision unifiée des objectifs et des moyens en matière d'accès aux logements. De fait, un processus de négociation est visible entre les ministères et les collectivités territoriales, qui entérine et stabilise la diversité des pratiques mises en place par des acteurs concurrents dans la première décennie après la fin de la 2nd guerre mondiale. Cet éclatement du pouvoir distributif et la diversité des catégories de population privilégiées par chaque filière d'accès au logement permet de comprendre les mécanismes de l'accès différentiel aux bien convoités qui s'éloignent fortement des intentions déclarées de la politique d'attribution.

 

Enfin, la troisième et dernière partie, « La dynamique périphérique », privilégie les transactions entre les acteurs institutionnels périphériques à la fois dans la relation avec les institutions centrales et dans leur perméabilité aux logiques sociales. Rowell intègre la « périphérie » dans le cadre de l'analyse à la fois comme point d'observation et comme espace d'action ayant des règles spécifiques modelées par les rapports au centre politique et les interactions avec les différents publics ciblés par l'action. A partie de l'étude du Berzik (districts allemands) et de la ville de Leipzig, il démontre l'existence d'une « pacification » des rapports entre l'appareil du SED (Parti socialiste unifié allemand) d'un côté, et les entreprises et administrations du Berzik et des communes de l'autre, avec la mise en place de circuits d'échange visant à maximiser l'accès aux ressources distribuées par le centre politique. Dans un 2ème temps, il montre comment l'utilisation des auxiliaires administratifs comme relais au sein de la population dépendait de la mise en place d'une économie de rétribution dans laquelle les « bénévoles » conditionnaient leur mobilisation à l'obtention de biens symboliques et matériels. Enfin, à travers l'analyse des usages individuels et étatiques des Eingaben, sorte de pétition individuelle sous forme de lettre, il montre d'une part comment les scripteurs construisent un rapport particulier à l'Etat en jouant sur les espaces interstitiels et d'autre part, comment les destinataires pouvaient mobiliser cette parole pour rappeler à l'ordre un subalterne au sein du dispositif étatique.

 

En conclusion, une lecture difficile d'accès, mais qui permet de dépasser l'opposition entre une histoire politique « par le haut » et une histoire sociale « par le bas », en apportant un éclairage original des régimes communistes. Il permet aussi de sortir de la nostalgie de l'ancien système dans les nouveaux Länders, bien illustré par l'excellent film Good-Bye Lenine (à voir aussi : La vie des autres).

 

Sylvain Métafiot

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